Langage SMS et compe tences alphabe tiques

Langage SMS et competences
alphabetiques
Compte-Rendu de recherche
dans le cadre d’une étude au collège Pablo Picasso de Montesson (78)
par Antonine Goumi - [email protected]
Maître de Conférences en psychologie cognitive et apprentissages
Etudiantes de Master 1 :
Marion Barens et Mélanie Fleury pour le traitement des résultats
Maëva Catorc et Margaux Duhamel pour l’aide à la récolte des données
Septembre 2014
UNIVERSITÉ PARIS OUEST NANTERRE LA DÉFENSE
200 avenue de la République | 92001 Nanterre Cedex | Tél. 01 40 97 72 00 | www.u-paris10.fr
Nous tenons à remercier Madame Payen, principale adjointe, ainsi que Monsieur
Dalet, principal, d’avoir accepté de participer à cette recherche en nous accueillant au sein
du collège Pablo Picasso de Montesson. Un remerciement particulier aux enseignants de
français qui ont accepté d’ouvrir les portes de leurs classes et enfin bien entendu, aux élèves
de 6e et de 5e ainsi qu’aux parents d’élèves.
2
RESUME
L’objectif de cette étude est d’appréhender le lien qu’entretient le langage SMS et les
compétences alphabétiques chez 153 adolescents de 6e et de 5e. Le rapport présenté ici porte sur un
corpus de 1000 SMS rédigés dans des situations de la vie quotidienne par ces élèves. Ce recueil a
permis d’analyser les SMS en termes de modifications orthographiques des mots, comparé au code
traditionnel de la langue écrite. Le niveau en orthographe et en lecture des élèves a été évalué à
l’aide de tests standardisés. Un questionnaire d’usage du téléphone mobile a permis de mesurer
l’ancienneté de la pratique du téléphone mobile. Les résultats ne montrent aucune différence
significative du niveau en orthographe et en lecture entre les élèves qui possèdent un téléphone
mobile et ceux qui n’en possèdent pas. D’autre part, les SMS rédigés par les élèves correspondent à
l’orthographe traditionnelle de l’écrit dans 70% des cas. Par ailleurs, les relations constatées entre
compétences alphabétiques et modifications de l’orthographe sont celles habituellement constatées
chez l’adulte. Enfin, les résultats montrent qu’il n’y a pas d’influence négative du langage SMS vers la
langue traditionnelle écrite.
3
SOMMAIRE
1.
Etudes déjà réalisées ....................................................................................................................... 5
2.
Les objectifs de l’étude au collège de Montesson .......................................................................... 5
3.
Méthode .......................................................................................................................................... 6
4.
3.1.
Participants.............................................................................................................................. 6
3.2.
Matériel ................................................................................................................................... 6
3.3.
Procédure ................................................................................................................................ 7
3.4.
Codage des données ............................................................................................................... 7
3.5.
Hypothèses de recherche ........................................................................................................ 8
Résultats .......................................................................................................................................... 8
4.1.
Effet de l’équipement en téléphonie mobile .......................................................................... 8
4.2.
Les textismes ........................................................................................................................... 8
4.3.
Relation entre textismes et compétences alphabétiques ....................................................... 8
4.4.
Ancienneté de pratique et compétences alphabétiques ........................................................ 9
4.4.1.
Densité de textismes en accord ...................................................................................... 9
4.4.2.
Densité de textismes en rupture ................................................................................... 10
4.4.3.
Densité totale de textismes ........................................................................................... 10
5.
Discussion ...................................................................................................................................... 10
6.
Conclusion ..................................................................................................................................... 12
4
La communication par SMS (Short Message Service) ou « texto » est devenue depuis une
quizaine d’années une pratique particulièrement répandue chez les adolescents. En France, en 2013,
90% des 12-17 ans sont équipés d’un téléphone mobile et 88% d’entre eux déclarent envoyer 381
SMS en moyenne par semaine (données du Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des
Conditions de vie, CREDOC). Des études scientifiques (dans les domaines de la linguistique et de la
psychologie cognitive particulièrement) se sont penchées sur cette forme de communication. Il
ressort de ces premières recherches une pratique textuelle marquée par des procédés spécifiques :
l’abréviation (pcq pour parce que), la troncation (resto pour restaurant), la siglaison (tkt pour
t’inquiète), la complexification (bonne anniverssaire pour bon anniversaire), la fusion
(jesuisentraindelefaire pour je suis en train de le faire), les smileys ( ;-) )... Ces procédés de rédaction
sont médiatiquement très critiqués. Parmi les accusations qui leur sont faites, une influence négative
sur l’orthographe qui conduirait à une détérioration des apprentissages scolaires. Cependant, les
chercheurs ont difficilement accès à des données basées sur des matériaux authentiques (réellement
recueillis en situations naturelles), qui permettraient de répondre à ces accusations.
1. Etudes déjà réalisées
L’indice de référence des recherches déjà réalisées correspond à la « densité de textismes »,
définie comme le nombre de modifications orthographiques d’un mot par rapport à l’écrit
traditionnel, divisé par le nombre total de mots du SMS. Ces recherchent mettent en évidence :
1/ une absence de relation entre la densité de textismes et le niveau en orthographe traditionnelle ;
2/ une absence d’effet de la pratique des SMS sur l’orthographe ; 3/ une relation positive entre la
densité de textismes et le niveau en orthographe traditionnelle indiquant qu’une forte densité de
textismes est liée à un bon niveau en orthographe, et inversement.
Il s’agit de recherches en langues anglaises et d’une recherche pour la langue finnoise. Ces
recherches concernent des élèves de 8 à 12 ans. Les méthodes utilisées vont du recueil de données
naturelles (rarement) à la simulation d’écriture de mots en langage SMS dans une situation
papier/crayon (fréquemment).
La première recherche concernant la langue française a été publiée en mars 2014 dans le
Journal of Computer Assisted Learning par Josie Bernicot, Antonine Goumi, Olga Volckaert-Legrier et
Alain Bert-Erboul. Cette étude a permis de constituer un corpus de 4524 SMS produits en situation
quotidienne par des élèves de 6e et de 5e. Aucun des participants n’avait utilisé ou possédé un
téléphone mobile avant le début de l’étude. Leurs messages étaient collectés mensuellement durant
une année. Leur niveau en écrit traditionnel était évalué au moyen de tests standardisés. La
comparaison entre le groupe équipé et le groupe non équipé en téléphone mobile ne montre aucune
différence de niveau en écrit traditionnel au cours l’étude. Les élèves forts ou faibles en orthographe
sont restés respectivement forts ou faibles, quelle que soit la densité de modifications
orthographiques contenue dans leurs SMS. Enfin, L’orthographe traditionnelle est préservée pour la
moitié des mots : 52% de mots contenaient des modifications de l’orthographe, 48% de mots étaient
écrits selon les règles traditionnelles.
2. Les objectifs de l’étude au collège de Montesson
Les questions auxquelles nous cherchons à répondre dans la présente étude sont les
suivantes : quelles sont les caractéristiques des SMS des élèves des classes de 6e et de 5e du collège
Pablo Picasso à Montesson (78) ? La pratique du SMS et de ses modifications orthographiques a-telle des conséquences sur le niveau en orthographe des élèves ? Nous traiterons cette question en
mettant en lien chez les mêmes adolescents les caractéristiques de leurs SMS et leur niveau d’écrit
traditionnel. Répondre à ces questions implique d’avoir accès à des SMS naturels, c’est-à-dire
réellement produits par les adolescents dans le cadre de leur vie quotidienne.
5
Nous ajoutons une plus-value à cette recherche : il s’agit de la première en langue française
abordant la question du lien avec le niveau en lecture : décodage, reconnaissance de l’écrit, fluidité,
combinatoire.
3. Méthode
3.1. Participants
Les résultats présentés portent sur 153 élèves de 6e et de 5e : 38 filles et 30 garçons de 6e âgés
en moyenne de 11;6 ans (s=.32) ainsi que 51 filles et 41 garçons de 5e âgés en moyenne de 12;6 ans
(s=.35).
Le groupe expérimental est composé de 100 élèves équipés en téléphones mobiles. La
proposition qui était faite à ces élèves était la suivante : s’engager à «donner» au moins 20 SMS
(rédigés par l’élève lui-même) à l’équipe de recherche qui garantissait l’anonymat. Le consentement
et l’engagement écrits des parents et des élèves ont été obtenus.
Ces élèves sont répartis en deux groupes d’usages en fonction de l’ancienneté de pratique du
SMS : celle-ci est calculée en fonction de l’ancienneté de possession d’un téléphone mobile. Deux
catégories sont distinguées en fonction de la médiane : Pratique Ancienne (supérieure à 1;5 ans de
pratique), Pratique Récente (inférieure ou égale à 1;5 ans de pratique).
Le groupe contrôle est composé de 53 élèves n’ayant jamais possédé de téléphone mobile ni
envoyé de SMS. Ils fréquentent le même collège et les mêmes classes que le groupe étudié.
Tableau 1. Elèves équipés et non équipés en téléphone mobile
Non équipés en téléphone mobile
Equipés en téléphone mobile
(groupe contrôle)
Effectifs Age moyen Ecart-type Effectifs Age (moyen)
Ecart-type
Filles
61
12;3
.53
28
12;0
.66
Garçons
39
12;3
.60
25
11;9
.63
Les participants retenus dans le cadre de cette étude sont tous de langue maternelle française,
non-redoublants et ne présentent aucun trouble du type dyslexie, dyspraxie, dysgraphie,
dysorthographie ou trouble attentionnel.
3.2. Matériel
Le matériel se compose des téléphones mobiles personnels des élèves. Une carte SIM ainsi
qu’une application pour Smartphone, « SMS Back-Up & Restore », permet la réception par les
chercheurs des SMS «donnés» par les participants.
Un questionnaire porte sur les usages du téléphone mobile. Il permet de mesurer l’ancienneté
de la pratique du téléphone mobile.
Deux tests standardisés permettent d’évaluer les compétences alphabétiques des élèves :
- La Pipe et le Rat (Lefavrais, 1986) mesure la fluidité et l’automatisation des processus de décodage.
- Epreuves issues de l’ANALEC (Analyse du savoir lire de 8 ans à l’âge adulte, Inizan, 1998) : une dictée
classique donne lieu à deux scores : orthographe d’usage (/28) et orthographe de règle (/16) ; une
dictée muette (écrire sous des dessins le nom de ce qu’ils illustrent, /18). Le score d’orthographe
total est donc noté sur 62. Deux épreuves de combinatoire : analyse (/22) et synthèse (/23). Le score
total des épreuves de combinatoire est donc noté sur 45.
6
3.3. Procédure
Au mois de février 2014, en classe entière, tous les élèves (y compris ceux ne possédant pas de
téléphone mobile) ont passé les épreuves de mesure des compétences alphabétiques ainsi que le
questionnaire d’usage du téléphone mobile. Ces épreuves se sont déroulées sur une heure de
français en présence de l’enseignant ainsi que de deux étudiantes de Master 1. Les résultats
anonymés des élèves à ces épreuves ont été transmis aux enseignants de français concernés. Aucun
nom ni aucune date de naissance n’ont été transmis.
En petits groupes de 4 à 5 élèves, dans une salle banalisée du collège, les élèves possédant un
téléphone mobile, sur la base du volontariat et avec l’accord de leurs parents, ont été invités à faire
don de leurs SMS. Deux étudiantes de Master 1 accueillaient les élèves et leur demandaient de
transférer 20 SMS qu’ils avaient eux-mêmes rédigés dans le cadre de leur vie quotidienne vers un
numéro de téléphone mobile (l’envoi était donc gratuit à partir du moment où le forfait
téléphonique de l’élève lui permettait d’être en SMS illimités).
Les précautions prises sont les suivantes :
- chaque élève ainsi que ses parents ont reçu un formulaire de consentement qu’ils étaient libres de
désapprouver ;
- les données ont été traitées anonymement : les numéros de téléphone ont été remplacés par un
code (les élèves ne fournissent par leur nom, un code leur est attribué) ;
- les élèves n'ont pas utilisé le téléphone mobile en classe (un moment a été spécifiquement
consacré à ce travail dans une salle à part, sous le contrôle des chercheurs) ;
- les élèves ont pu choisir eux-mêmes, librement, les SMS qu'ils acceptaient de donner aux
chercheurs.
Au final, un total de 2 095 SMS a été recueilli. Les résultats présentés ici portent sur 1 000 SMS.
3.4. Codage des données
Pour les SMS, trois indices ont été pris en compte : la longueur des messages, le type et la
densité de textismes. Un textisme est défini comme un changement dans la forme orthographique
d’un mot par rapport à l’écrit traditionnel. La densité de textismes est égale au nombre de mots avec
changement divisé par le nombre total de mots du SMS. La longueur correspond au nombre de mots,
c’est-à-dire les ensembles de lettres séparés par deux espaces.
Deux types de textismes ont été distingués en fonction de leur accord ou de leur rupture avec
le code écrit traditionnel (Bernicot, Volckaert-Legrier, Goumi, & Bert-Erboul, 2012).
1/ Textismes en accord avec le code traditionnel de correspondance phonème-graphème : pas de
modification de la phonologie des mots et utilisation de formes graphiques qui existent à l’écrit
traditionnel (ex. : donné pour donner, koi pour quoi, fodra pour faudra, sa pour ça). L’élève applique
différemment lorsqu’il rédige un SMS les mêmes règles qu’à l’écrit traditionnel (conversion
phonèmes-graphèmes).
2/ Textismes en rupture avec le code traditionnel de correspondance phonème-graphème : les
changements orthographiques modifient la phonologie (prononciation) des mots et/ou sont réalisés
avec des formes graphiques qui n’existent pas à l’écrit traditionnel (ex. : twa pour toi, pk pour
pourquoi). Lorsqu’il rédige un SMS, l’élève applique ou invente des règles différentes de la
correspondance phonèmes-graphèmes.
Le coefficient de recouvrement inter-codeurs est de 98.4% à partir de 90 SMS tirés au sort et
contenant 266 textismes.
7
3.5. Hypothèses de recherche
Nous faisons deux hypothèses alternatives concernant le lien entre SMS et compétences
alphabétiques. (1) nous supposons que les distorsions orthographiques des SMS n’influencent pas le
niveau en orthographe : les collégiens ayant un bon niveau en orthographe, ou un niveau moyen, ou
un niveau faible, utilisent toutes les formes de modifications de l’orthographe dans les SMS ; (2) il se
peut également que la relation soit positive : plus les élèves produisent des distorsions
orthographiques dans leur SMS, et plus leur niveau en orthographe est élevé, et inversement.
Concernant la lecture, on peut s’attendre à des résultats similaires à ceux déjà observés pour
l’orthographe et les hypothèses sont donc identiques.
4. Résultats
Les résultats sont présentés en 4 parties : l’effet de l’équipement en téléphonie mobile, les
textismes, la relation entre textismes et compétences alphabétiques, l’effet de l’ancienneté de la
pratique du SMS.
4.1. Effet de l’équipement en téléphonie mobile
On compare ici les scores, en orthographe et en lecture, des groupes équipés et non équipés
en téléphone mobile.
Concernant le niveau en orthographe, on observe un effet tendanciel de l’équipement en
téléphonie mobile sur le niveau en orthographe de règle. (F(1,149)=3.43, p=.07, ƞ2=0.02) : les élèves
qui possèdent un téléphone mobile ont tendance à avoir un score moins élevé en orthographe de
règle (moyenne, m=11.97, écart-type s=2.24) que les élèves ne possédant pas de téléphone mobile
(m=12.60, s=2.23). On constate également un effet tendanciel de l’équipement en téléphonie
mobile sur le niveau en orthographe muet (F(1,149)=2.95, p=.09, ƞ2=0.02) : les élève qui
possèdent un téléphone mobile ont tendance à obtenir un score moins élevé (m=12.49, s=2.09)
que les élèves qui ne possèdent pas de téléphone mobile (m=13.02, s=1.84). Enfin, les résultats
montrent un effet tendanciel de l’équipement en téléphonie mobile sur le niveau en
orthographe totale (F(1,149)=3.00, p=.09, ƞ2=0.02) : les élèves détenteurs d’un téléphone mobile
ont tendance à avoir un score plus faible en orthographe totale (m=49, s=4.80) que les élèves ne
possédant pas de téléphone mobile (m=50.22, s=4.54). Aucun effet significatif n’est donc
observé concernant le niveau en orthographe des élèves et le fait de posséder ou non un
téléphone mobile.
Par ailleurs, aucun effet significatif n’a été observé concernant la possession d’un
téléphone mobile sur le niveau en lecture, quel que soit l’indice et l’épreuve considérés (La Pipe
et le Rat ou combinatoire de l’ANALEC).
4.2. Les textismes
Dans notre corpus, 30% des mots produits par les participants dans un SMS présentent un
changement par rapport à l’orthographe traditionnelle et 70% ne présentent aucun changement.
Parmi les mots avec textismes, 14% sont en accord avec le code traditionnel et 16% sont en rupture
avec ce code.
4.3. Relation entre textismes et compétences alphabétiques
Nous analysons ici la relation entre les densités moyennes de textismes et les scores aux tests
standardisés de mesure des compétences alphabétiques (orthographe et lecture).
8
Tableau 2. Corrélation entre les densités de textismes et les scores en orthographe à l’ANALEC.
Orthographe d’usage
Orthographe de règle
Orthographe muet
Orthographe total
Densité en accord
-.09
-.20*
-.14
-.19
Densité en rupture
.09
-.09
-.12
-.06
Densité totale
.03
-.18
-.18
-.15
*
p=.05
Le tableau 2 ci-dessus montre une corrélation négative entre la densité de textismes en accord
et le niveau en orthographe de règle des élèves (r=-.20, p<.05). Autrement dit, plus le niveau en
orthographe de règle est élevé, moins les élèves produisent des textismes en accord avec le code
traditionnel écrit, et vice-versa.
Tableau 3. Corrélations entre les densités de textismes et les scores aux tests standards d’évaluation du
niveau en lecture.
*
La Pipe et le Rat
Combinatoire (analyse)
Combinatoire (synthèse)
Densité en accord
-.11
-.14
-.18
Densité en rupture
-.06
.04
-.14
Densité totale
-.10
.04
-.22*
p<.05
Le tableau 3 ci-dessus montre que les scores à l’épreuve de combinatoire (synthèse) corrèlent
négativement avec la densité moyenne totale de textismes (r=-.20, p<.05). En d’autres termes, plus
les élèves ont des scores élevés à l’épreuve de combinatoire (synthèse), moins la densité totale de
textismes est élevée, et inversement.
4.4. Ancienneté de pratique et compétences alphabétiques
Afin d’approfondir les résultats précédents, nous avons analysé les densités moyennes de
textismes en fonction du niveau des participants aux tests standards de mesure des compétences
alphabétiques (orthographe et lecture, supérieur ou inférieur à la médiane) et de l’ancienneté de la
pratique du SMS (ancienne ou récente). Le niveau en orthographe est déterminé grâce au score total
à l’ANALEC, le niveau en lecture est déterminé à l’aide des résultats au test de La Pipe et le Rat.
4.4.1. Densité de textismes en accord
Les résultats montrent un effet tendanciel du niveau en orthographe sur la densité moyenne
de textismes en accord (F(1,96)=3.81, p=.05, ƞ2=.04) : les élèves faibles en orthographe ont tendance
à produire davantage de textismes en accord (m=0.16, s=.009) que les élèves ayant un bon niveau en
orthographe (m=0.13, s=.009).
On observe un résultat similaire en fonction du niveau en lecture (F(1,96)=2.97, p=.09, ƞ2=.03) :
les élèves faibles en lecture ont tendance à produire davantage de textismes en accord (m=0.15,
s=.009) que les élèves ayant un bon niveau en lecture (m=0.13, s=.009).
Aucun effet significatif n’est constaté, notamment en fonction de l’ancienneté de la pratique.
9
4.4.2. Densité de textismes en rupture
On constate un effet tendanciel du niveau en lecture et de l’ancienneté de la pratique
(F(1,96)=3.06, p=.08, ƞ2=.03). Comme l’indique la figure 1 ci-dessous, lorsque la pratique est récente,
ce sont les élèves ayant un niveau faible en lecture qui produisent davantage de textismes en rupture
(m=.21, s=.02 Vs. m=.15 s=.02 ; F(1,96)=3.79, p=.05). Par ailleurs, les élèves ayant un niveau faible en
lecture produisent une densité de textismes qui ne varie pas avec la pratique (qu’elle soit récente ou
ancienne). En revanche, pour les élèves ayant un bon niveau en lecture, il faut attendre que la
pratique soit ancienne, et donc relativement installée (au-delà de 1 an ½ de pratique) pour que la
densité de textismes en rupture s’élève (F(1,96)=3.96, p=.05).
0,26
0,24
Densité moyenne de textismes en rupture
0,22
0,20
0,18
0,16
0,14
0,12
0,10
0,08
0,06
0,04
0,02
P&R P&R +
0,00
Récente
Ancienne
Ancienneté de pratique du SMS
Figure 1. Densité moyenne de textismes en rupture en fonction de l’ancienneté de la pratique du SMS
et du niveau en lecture (P&R - correspond à un faible niveau en lecture ; P&R + correspond à un bon
niveau en lecture). NB. Les barres verticales indiquent la valeur des écarts-types.
Aucun effet significatif n’est constaté, notamment en fonction du niveau en orthographe.
4.4.3. Densité totale de textismes
Les résultats montrent un effet tendanciel du niveau en lecture sur la densité moyenne de
textismes totale (F(1,96)=3.02, p=.09, ƞ2=.03) : les élèves faibles en lecture ont tendance à produire
davantage de textismes (m=0.36, s=.02) que les élèves ayant un bon niveau en lecture (m=0.31,
s=.02).
Aucun effet significatif n’est constaté, notamment en fonction de l’ancienneté de la pratique
ou du niveau en orthographe.
5. Discussion
L’objectif de cette étude consistait à appréhender le lien entre le langage SMS et niveau de
compétences alphabétiques d’adolescents en début de collège grâce d’une part, au recueil d’un
corpus de SMS et d’autre part, à des tests standardisés.
10
Les données présentées ici sont extraites d’un corpus de 1 000 SMS, produits par 100 élèves
âgés de 11 à 13 ans et scolarisés en classes de 6e et de 5e. Il s’agit de SMS naturels rédigés
spontanément par les adolescents dans des situations de la vie quotidienne et dont les destinataires
sont variés (proche, famille, amis…).
En premier lieu, les résultats ne montrent aucun effet significatif concernant l’effet de
l’équipement en téléphonie mobile sur le niveau en orthographe des élèves. Le niveau en
orthographe n’est donc pas affecté par le fait de posséder ou non un téléphone mobile. Les seuls
effets observés ne sont que tendanciels et n’ont donc pas de valeur statistique pour pouvoir être
interprétés. Concernant le niveau en lecture, aucun effet n’a été observé en fonction de
l’équipement : posséder ou non un téléphone mobile n’a donc ni d’impact négatif, ni d’impact
positif, sur le niveau en lecture des participants.
En ce qui concerne la densité de textismes, nous obtenons une valeur de .30 : lors de l’écriture
d’un SMS, un élève de 11-12 ans respecte l’orthographe traditionnelle dans 70% des cas. Parmi les
modifications orthographiques observées, 14% sont en accord et 16% sont en rupture avec le code
écrit traditionnel de la langue française. Il est rare d’observer une densité de textismes aussi peu
élevée que celle-ci dans la littérature scientifique. Les cas similaires correspondent à des études où
les SMS récoltés ne sont pas issus de corpus naturels mais provoqués expérimentalement dans le
cadre de recherches sous forme de scénarios (les élèves doivent rédiger des SMS à la demande des
chercheurs). Une explication à ce résultat réside peut-être dans la catégorie du collège : 4 sur une
échelle de 5, 5 correspondant à une population très homogène favorisée, selon une catégorisation
de l’Académie de Versailles liée notamment aux catégories socio-professionnelles des familles.
Les relations entre compétences alphabétiques et textismes sont pour ainsi dire nulles : seules
deux corrélations sont observées ; elles sont faibles et négatives.
La corrélation avec l’orthographe de règle, indique que les élèves dont le niveau est
faible en matière d’accords grammaticaux, produisent des textismes en accord avec le code
traditionnel écrit, autrement dit, des modifications orthographiques qu’on pourrait qualifier de
« fautes d’orthographes ». Il ne s’agit pas de modifications de l’orthographe spécifiques du registre
SMS : les règles de l’orthographe traditionnelle y sont respectées, bien qu’appliquées de manière
différente. A l’inverse, les élèves ayant bien intégré les règles d’accords de l’orthographe, produisent
peu de textismes en accord avec le code écrit (ils modifient moins l’écriture de leurs SMS).
La corrélation entre la densité totale de textismes et le score à l’épreuve de
combinatoire (synthèse) indique que plus les élèves sont compétents dans la combinaison
morphèmes/graphèmes, moins ils modifient leur langage lors de la rédaction de SMS. A l’inverse, les
élèves moins compétents dans la combinaison morphèmes/graphèmes produisent davantage de
modifications orthographiques, sans qu’on puisse dire s’il s’agit de modification en accord ou en
rupture avec le code.
Les comparaisons de densités de textismes des élèves, en fonction de leur ancienneté de
pratique du SMS, ainsi que de leur niveau de compétences alphabétiques, ne montrent aucun effet
significatif. Les seuls effets constatés ne sont que tendanciels et ne permettent donc pas une
interprétation statistique fiable.
Concernant le niveau en orthographe, les résultats confirment la corrélation déjà
observée, à savoir que les élèves dont le niveau est faible en orthographe produisent plus de
textismes en accord que les élèves dont le niveau est plus élevé. Comme déjà expliqué
précédemment, ceci concerne donc des modifications de l’orthographe en accord avec le code de
l’écrit. L’ancienneté de la pratique du SMS n’entre jamais en ligne de compte dans aucun des
résultats concernant l’orthographe.
11
Concernant le niveau en lecture, il influence tendanciellement les densités de textismes
en accord et en rupture avec le code écrit traditionnel. La pratique interagit, seulement
tendanciellement là aussi, avec le niveau en lecture des élèves, lorsqu’on mesure les textismes en
rupture avec le code écrit. Autrement dit, les modifications orthographiques les plus caractéristiques
du langage SMS. Pour résumer : les seuls élèves qui produisent peu de modification de l’orthographe
en rupture avec le code écrit sont ceux qui ont un bon niveau en lecture lorsque leur pratique est
récente. Il est donc intéressant de constater qu’une forme d’apprentissage est nécessaire pour ces
élèves avant de pratiquer le langage SMS (au-delà d’un an et demi de pratique). Par ailleurs, le fait
que les élèves ayant un niveau moindre en lecture, produisent davantage de textismes en rupture,
ne se fait pas au détriment de leur moindre niveau : leur niveau en lecture est moins élevé, quoi qu’il
en soit de leur pratique du SMS, ancienne, mais également récente.
6. Conclusion
Cette étude fait apparaître des résultats différents de ceux qui ont déjà pu être observés en
langue française. Particulièrement le fait que les textismes en rupture avec le code écrit traditionnel
de la langue française n’interviennent dans aucun résultat avec l’orthographe. La corrélation
négative entre textismes et orthographe est également intéressante à noter puisqu’il s’agit d’un
résultat habituellement constaté (en langue anglaise) chez l’adulte. Autrement dit, lorsque le niveau
en orthographe des scripteurs est installé.
La plus-value de cette étude est qu’il s’agit de la première en langue française abordant la
question du lien avec le niveau en lecture en tant que capacité de décodage et de reconnaissance de
l’écrit. On constate que les résultats sont parfois différents de ceux observés avec l’orthographe et
ne vont pas toujours dans le même sens. On rappelle ici que les compétences de l’écriture relèvent
de la conversion de phonèmes en graphèmes quand celles de la lecture relèvent de la conversion de
graphèmes en phonèmes. Néanmoins, elles appartiennent toutes deux à un pool de compétences
scolaires relevant de l’écrit et donc alphabétiques.
On retient de cette recherche une faible densité des modifications de l’orthographe au sein
des SMS rédigés par les élèves. Les adolescents concernés par cette étude sont issus de milieux
socio-économiques relativement favorisés. C’est pourquoi les résultats en orthographe et en lecture
sont à considérer avec prudence. Notamment parce qu’ils ne font pas apparaître de performances
réellement faibles au sens premier du terme. Les scores de ces adolescents sont plutôt à situer dans
une fourchette moyenne haute. Aussi, la catégorisation en deux groupes de participants aux
compétences dites « faibles » et « élevées » est à nuancer puisqu’elle n’a vocation ici qu’à pouvoir
effectuer des traitements statistiques. Si les résultats de certains groupes d’élèves sont dits
« faibles » en orthographe ou en lecture, ceci n’est à considérer que parmi l’échantillon d’élèves dont
il s’agit ici. Dit d’une manière plus triviale : « ils ne représentent qu’eux-mêmes ». Ceci signifie que
l’ensemble de résultats présentés ici ne vaut que pour cet échantillon d’élèves. Il ne s’agit pas d’un
échantillon d’élèves représentatif de la population parente et les résultats ne peuvent donc
s’entendre que dans l’espace-temps socio-économique étudié. Ils ne pourraient être extraits et
généralisés au reste de la population des collégiens de 6e et de 5e.
Enfin, les données présentées ici montrent une nouvelle fois qu’il n’y a pas lieu de penser que
le langage SMS aurait des effets négatifs sur le niveau en orthographe et en lecture des élèves.
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Présentation de l’équipe de recherche ayant participé à l’étude
Antonine Goumi est maître de conférences en psychologie cognitive à l’université Paris Ouest
Nanterre La Défense où elle enseigne au sein du département de psychologie et co-dirige le Master
Métiers de l'Enseignement, de l'Education et de la Formation (MEEF) 1er degré. Elle est membre du
laboratoire de recherche CHArt-UPO 4004 (Cognition Humaine et Artificielle – Université Paris
Ouest). Titulaire d’un Doctorat en Psychologie cognitive sous la direction de Jean-François Rouet
(2008), ses travaux de thèse ont porté sur la remédiation aux difficultés de compréhension en lecture
des élèves au moyen de l’outil informatique. Elle a enseigné de 2003 à 2009 au Département de
psychologie de l’Université de Poitiers. En 2009, elle travaille au Centre de Recherches sur la
Cognition et l’Apprentissages (CeRCA - UMR CNRS 7295) en tant qu’Ingénieure de Recherches et
débute ses recherches sur le langage SMS chez les adolescents en collaboration avec le Professeure
Josie Bernicot. De 2011 à 2012, elle est chargée de mission usages des TICE au Centre National de
Documentation Pédagogique.
C’est sous sa responsabilité que sont intervenues auprès des élèves quatre étudiantes de
Master 1 : Marion Barens, Maëva Catorc, Margaux Duhamel et Mélanie Fleury.
Publications
Bernicot, J., Goumi, A., Bert-Erboul., A. & Volckaert-Legrier, O. (2014). How do skilled and less-skilled
spellers write text messages? A longitudinal study of sixth and seventh graders. Journal of
Computer Assisted Learning.
Goumi, A., & Bernicot, J. (2012). Le langage SMS chez les adolescents, faut-il s’en inquiéter ? L’Ecole
numérique. La revue du numérique pour l’éducation, n°12, juin, 34-35.
Goumi, A., Volckaert-Legrier, O., Bert-Erboul, A., & Bernicot, J. (2011). SMS length and function: a
comparative study of 13 to 18 year-old girls and boys. European Review of Applied Psychology,
61 (4), 175-184.
Goumi, A. (2012). Réseaux numériques d’enseignants : comment réussir ? Que Dit La Recherche ?
Agence des Usages des TICE. http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-larecherche/reseaux-numeriques-d-enseignants-comment-reussir-56.htm
Rouet, J.-F., & Goumi, A. (2010). L'entraînement des stratégies de compréhension en lecture :
Apports des technologies numériques. Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez
l'Enfant, 107-108, 191-198.
Coordonnées
Antonine Goumi - Maître de Conférences en psychologie cognitive et apprentissages
Université Paris Ouest Nanterre La Défense - UFR SPSE - Département de Psychologie
200 avenue de la République - 92 001 Nanterre Cedex
Tel. : 01 40 97 49 35 - Fax. : 01 40 97 71 58
E-mail: [email protected]
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