Stages d’observation (à la loupe) A l’occasion du 90e anniversaire de l’ESJ de Lille, les étudiants de la 88e promotion ont « pris le pouls d’un métier dont ils commencent à peine à saisir les contours » (Corinne Vanmerris, directrice des études). À BFM TV, francetvinfo et lemonde.fr, Anaïs Brosseau, Elise Godeau, Marine Messina et Ariane Riou nous font vivre au rythme du compte-à-rebours permanent de l’info en continu (« le 20 heures toute la journée »)… À France 24 et à RTL, Anne Lec’hvien et Ariane Riou n’ont pas fermé l’œil de 23 heures à 9 heures. À Mayenne (Pays de Loire), la localière de Ouest-France, Sophie Delafontaine, boucle chaque jour trois pages, raconte Anaïs Brosseau. Du côté de Toulouse et de Béthune, les petites équipes sans moyens de La Voix du Midi et L’Avenir de l’Artois se jettent à corps perdu dans le multimédia. « Ca y est, on est à Libé. » Yeux écarquillés, Maud Guillet, Jeanne Lefebvre, Julien Molla et Philippe Gomont gravissent la « vis » de la rue Béranger (Paris IIIe) au plus fort de la récente crise, aux côtés des polytraumatisés de Libération quand l’actionnaire les a qualifiés de « ringards ». Le meilleur reportage que j’aie lu sur ce moment historique. Tout n’a-t-il pas été dit sur le « journalisme d’investigation » ? Non : Philippe Clogenson et Philippe Gomont font cracher le morceau aux limiers de l’« affaire Bettencourt ». La parole est in fine donnée aux « victimes ». Bien lourd est notre casier. À Lépanges-sur-Vologne (Anne Lech’hvien) et Clichy-sous-Bois (Sarata Diaby), les habitants n’ont pas oublié les « vautours qui ne respectaient rien ». Interrogés par Maud Guillet, les syndicalistes de Florange dénoncent le sensationnalisme. À tel point que l’un d’eux s’interrompt : « Ce que je fais là, c’est très mal. Je vous parle librement, vous prenez des notes et vous choisirez » ! Numéro zéro, journalisme année zéro. Nos cadets défrichent aussi les territoires (presque) vierges de l’information de demain : innover en lançant un média, informer par l’humour… La qualité des enquêtes laisse pantois : pas de blabla, du terrain, un regard au plus près sur l’exercice professionnel. Ca nous change des donneurs de leçons qui n’y connaissent rien. Eric MARQUIS Numéro Zéro. Les Journalistes, ESJ Lille, 116 pages, 10 euros. Sur commande : http://esj-lille.fr/paiement/produit/ numerozero-les-journalistes/ 14 - Lire La presse féminine détournée Où sont les femmes… O n l'aura compris (enfin, on l'espère), ÔfémininPointConne se veut une caricature de la presse dite féminine. Dénonçant, comme écrit l'éditeur « dictature de la minceur, injonctions sexistes, surenchère de la performance, encouragements à se tuer à la tâche et à être une mère parfaite, ainsi qu'une bosseuse irréprochable » (un tableau qui, à peu de choses près, appellerait ÔmasculinPointCon…). « On retrouve également toute l’armada des rubriques de la presse féminine, détournées pour éclairer leur finalité réelle : complexer les lectrices, leur faire consommer les produits dont il est fait promotion dans les pages, et perpétuer une société où la femme doit se mettre au service de « son homme » », rapporte Acrimed (1). Cet ouvrage est aussi un exemple de ces sites web qui aboutissent à un livre (2). Comme quoi, si la femme est l'avenir de l'homme, le numérique n'est pas l'avenir du papier. Ou pas que. E.M. Lorina Chattinski, ÔfémininPointConne, Denoël, 2014, 210 pages, 15,50 euros. 1. http://www.acrimed.org/article4479.html 2. « Du web au livre : un nouveau filon pour l’édition » http://www. lesinrocks.com/2014/12/10/livres/du-web-au-livre-un-nouveaufilon-pour-ledition-11540397/ Le JT décortiqué On ne va pas vous expliquer que Jeter le JT se dévore d'une traite, comme un roman. Mais sa lecture fait quand même du bien à celui qui voit dans la grand-messe cathodique un robinet d'info binaire plutôt avare en qualité. Contrairement à ce que pourrait laisser imaginer le titre du livre, il s'agit de tout sauf d'un pamphlet. William Irigoyen a passé au crible les millésimes 1982, 1992, 2002 et 2012 des journaux télévisés pour regarder leur évolution. Prisme professionnel franco-allemand oblige, l’ancien présentateur du JT d’Arte est également allé voir de quoi il en retournait outre-Rhin. Outre quelques « grandes heures », il en ressort l’image de journaux télévisés moutonniers, souvent caricaturaux, personnalisés à outrance… Comment ne pas se reconnaître dans ce constat : « Au lieu de tempérer le pouvoir exorbitant de l’image, la plupart des commentaires cherchent souvent à faire encore plus fort. Comme si la concurrence avec les autres JT passait obligatoirement par une course à l’hyperbole (...) Si les journalistes de télévision ont une large palette de substantifs, d’adjectifs et de verbes que leur met à disposition la langue française pourquoi n’y ont-ils pas davantage recours ? Ainsi verrait-on disparaître des formules qui, en LE JOURNALISTE - 4e trimestre 2014 plus d’être toutes faites, apparaissent le plus souvent fausses ». Évidemment tout sauf naïf, l’auteur décortique les raisons pour lesquelles on arrive à cet état de fait et les présupposés qui en sont à l’origine, prenant souvent le téléspectateur pour ce qu’il n’est pas. Des dirigeants aux écoles de journalisme en passant par ses confrères et luimême, nul n’est épargné. Reste que si les solutions étaient simples pour voir remonter la crédibilité d’une profession en plein marasme, ça se saurait. Là encore, on ne peut que faire siennes ces phrases de William Irigoyen : « Il ne s’agit pas, encore une fois, de dicter au téléspectateur sa propre vision du monde, mais de l’inviter à se questionner. Il ne pourra y avoir une telle réforme sans un retour aux fondamentaux de ce métier : l’information, l’exactitude, le penser contre soi, la volonté d’approfondissement, l’investigation… sans lesquels il n’y a pas de journalisme sérieux et, d’une certaine manière, séditieux ». Et puis un ouvrage qui cite le SNJ et donne Dominique Pradalié en exemple ne peut être fondamentalement mauvais. A.B. Jeter le JT de William Irigoyen, Editions François Bourin, collection Thermos. 232 pages, 14 euros.
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