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Postface
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epuis la fin du 18e siècle, les fossiles des falaises des VachesNoires suscitent l’intérêt des naturalistes et des collectionneurs.
Les habitants des villages voisins semblent aussi avoir remarqué,
depuis longtemps, ces restes d’organismes “pétrifiés” dans les marnes et
les calcaires, comme semble en témoigner la présence d’ammonites dans
les façades de plusieurs maisons de Villers-sur-Mer.
Après la découverte de restes de vertébrés par l’abbé Jean-Jacques
Dicquemare, en 1776, le début du 19 e siècle voit les premières
discussions sur les crocodiles marins trouvés entre Honfleur et les Vaches-Noires, notamment par Georges Cuvier, puis Etienne
Geoffroy Saint-Hilaire. Ils permettent, au premier, d’affirmer le concept d’extinction des espèces tandis qu’ils servent, au second, à
des spéculations évolutionnistes. Avec l’engouement naissant pour la stratigraphie, au début des années 1820, les Vaches-Noires sont
visitées par l’éminent géologue anglais Henry De la Beche qui clarifie la position stratigraphique des roches jurassiques et crétacées
des falaises de l’ouest de Villers-sur-Mer ; il est suivi, peu après, par Arcisse de Caumont. De nombreux naturalistes et des érudits
normands, dont Edmond Hébert, Jean Raspail, Henri et Robert Douvillé, Alexandre Bigot, précisent ensuite les subdivisions
stratigraphiques au sein des formations jurassiques (Callovien-Oxfordien) et s’intéressent à leurs contenus fauniques, notamment aux
ammonites. Après-guerre, les travaux de stratigraphie reprennent, notamment sous l’impulsion de Michel Rioult et d’Oliver Dugué.
A partir du milieu du 19e siècle, le développement des stations balnéaires sur la côte normande, notamment à Villers-sur-Mer,
contribue également au passage de nombreux amateurs en quête de fossiles qui sont ramassés sur l’estran et dans les falaises. Cette
tradition restera ancrée et, encore aujourd’hui, de nombreux amateurs fréquentent assidûment les plages de Villers-sur-Mer et
d’Houlgate pour espérer découvrir une belle ammonite ou des restes de vertébrés (depuis 1995, la collecte dans les falaises est
toutefois interdite).
Parmi la riche faune d’invertébrés, les ammonites sont les plus emblématiques, notamment celles qui sont conservées sous la
forme d’exemplaires pyriteux parfois de grande taille. Celles-ci ne sont toutefois caractéristiques que des formations inférieures,
marneuses, d’âge Callovien terminal à Oxfordien basal (Marnes de Dives et Marnes de Villers). Il s’agit principalement de
Cardioceratidae et de Kosmoceratidae, auxquels sont associées des Aspidoceratidae, des Perisphinctidae, des Oppeliidae… Dans les
formations plus récentes, les assemblages sont moins diversifiés. Des restes d’autres céphalopodes sont également connus,
notamment des rostres de bélemnites et de plus rares coquilles de “nautiles” (Paracenoceras “géants” de l’Oxfordien Moyen
notamment). Les autres invertébrés sont des bivalves (très nombreux dans certains niveaux), des gastéropodes, des brachiopodes, des
crustacés (assez fragmentaires), des oursins et de plus rares astéries, crinoïdes et holothuries, des bryozoaires, des “serpules”, des
coraux… Présenter la totalité des espèces dans ce numéro hors-série de “Fossiles” est naturellement impossible et certains de ces
groupes mériteraient une révision. Toutefois, à la lecture des divers articles qui leur sont consacrés, nous espérons avoir brossé un
panorama le plus large possible de cette diversité.
Les vertébrés ont, depuis toujours, fasciné les collectionneurs. Les restes isolés de chondrichtyens et poissons osseux, notamment
des dents, des écailles ou des épines, sont assez fréquents, mais les crânes sont plus rares ; ils appartiennent à des chimères et des
requins, des “lépidotes”, des pycnodontes, au mythique Leedsichthys (un gigantesque planctophage pouvant dépasser 10 m), jusqu’aux
cœlacanthes. Les tétrapodes paraissent plus difficiles à observer car il s’agit essentiellement de restes très fragmentaires, même si des
dents et des crânes (plus ou moins complets) ont parfois été mis au jour. Les crânes de crocodiles marins sont souvent peu déformés (à
la différence des spécimens de gisements contemporains anglais ou allemands) et leur diversité, dans le Callovien Supérieur notamment,
fait des Vache-Noires l’endroit le mieux adapté pour comprendre l’histoire des téléosauridés et des métriorhynchidés. Les autres reptiles
marins sont des ichthyosaures et plésiosaures qui, dans les niveaux du Callovien, sont le miroir de ceux mis au jour dans les niveaux
équivalents de l’Oxford Clay d’outre-Manche. Bien que la série sédimentaire des Vaches-Noires soit entièrement marine, des restes de
vertébrés terrestres ont été récoltés, depuis plus de deux siècles, si on considère certaines vertèbres des “crocodiles de Honfleur” de
Cuvier aujourd’hui attribuées à Streptospondylus. Celui-ci est l’un des dinosaures carnivores de Villers-sur-Mer, aux côtés de
Piveteausaurus et de divers autres restes attribués à des mégalosauroïdes et des allosauroïdes, alors que les dinosaures herbivores
semblent quasi-absents. Ces restes proviennent probablement de carcasses flottées originaires de masses émergées voisines, comme le
Massif armoricain. La prédominance des théropodes n’est pas facile à expliquer ; on pourrait penser qu’ils étaient des hôtes plus
fréquents des rivages afin de profiter de la présence de cadavres échoués, mais cette hypothèse se heurte aux équivalents anglais (Oxford
Clay) qui contiennent des assemblages de dinosaures plus variés. Pour compléter ce “bestiaire” du Jurassique de Villers-sur-Mer,
rappelons enfin que quelques ossements de ptérosaures (coll. Bülow) et qu’une tortue (conservée dans une collection privée aux PaysBas) ont aussi été exhumés ; malheureusement, ils n’ont jamais fait l’objet de descriptions.
Bien qu’il soit étudié depuis plus de deux siècle, le Jurassique des Vaches-Noires reste un champ majeur d’investigation pour la
compréhension des écosystèmes marins du Callovien-Oxfordien car, périodiquement, l’érosion favorise le “dégagement naturel” de
fossiles dont certains peuvent appartenir à des taxons “nouveaux” tandis que des “fragments” de vertébrés nous éclairent un peu plus
sur des espèces incomplètement connues.
Les paléontologues “professionnels”, dont le travail est de faire “parler” les fossiles, ne sont pas les seuls impliqués dans cette
aventure puisque les collectionneurs jouent également un rôle primordial. Ces derniers sont souvent ceux qui, par leur inlassable
arpentage des plages, collectent ces témoins des temps révolus avant qu’ils ne soient détruits par l’érosion littorale. Certains d’entre
eux, véritables paléontologues “amateurs”, détiennent aussi un immense savoir sur ce gisement devenu leur “pré carré”, parfois
depuis plusieurs décennies. Quelques-uns d’entre eux nous ont fait profiter de leur expérience villersoise en nous ouvrant leurs
collections, dont certaines viendront, certainement, étoffer des institutions publiques. De fait, ce numéro s’est beaucoup appuyé, en
plus des collections des auteurs, des spécimens appartenant au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, au Paléospace
“L’Odyssée” de Villers-sur-Mer, à l’université Claude-Bernard de Lyon, au Musée d’Histoire naturelle d’Elbœuf, à la Maison du
Fossile de Lion-sur-Mer, à l’Association paléontologique de Villers-sur-Mer, à Mlle Coraline Bara, à M. et Mme Gérard et Elisabeth
Pennetier et à MM. Hervé Chatellier, Thierry Dalmas, Matthieu Delcourte, Gilles Emringer, Jean-Philippe Pezy et Laurent Rigolet.
Au nom de tous les auteurs, nous tenons à les remercier.
Patrice Lebrun, Philippe Courville & Damien Gendry
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Fossiles, hors-série IV - 2013