Voici, je fais toutes choses nouvelles 3

Voici, je fais toutes choses nouvelles
3 – Une Parole vive !
Hébreux 4, 12.13
Difficile, cette parole de l'épître aux Hébreux !
Difficile à entendre et à recevoir !
Difficile parce que tellement imagée qu'elle semble ne pas laisser de place à autre chose
qu'elle-même.
La parole de Dieu ?
Une épée, sorte d'Excalibur qui fait jaillir toute vérité.
Une épée vivante, agissante...
Si j'étais cinéaste, grâce à la technologie, je la représenterais bougeant seule dans
l'espace, sans main pour la tenir, sans bras pour la retenir parce que nul ne peut ne seraitce que la guider. Elle passerait entre nos murs, personne ne pouvant prétendre se
soustraire à elle. Pas une créature qui échapperait à son regard perçant. Elle verrait tout,
elle saurait tout... pas moyen de lui échapper, de vouloir lui cacher la moindre parcelle
d'intimité. Plus acérée que n'importe quelle épée faite de la main des hommes, elle
pénètrerait au tréfonds de l'être... jusqu'entre les jointures et les moelles. Rien qu'en
vous disant cela, je la sens en tout mon corps.
Oui, elle est pénétrante jusqu'en cet espace que je ne connais pas de moi-même, lieu de la
séparation entre l'âme et l'esprit.
Mais, dites-moi, où est ce lieu en chacun de nous ?
Des années d'introspection, de psychanalyse ne suffisent pas pour nous le faire découvrir.
Pourtant l'épée de la Parole y pénètre sans difficulté, et révèle cette division, cette
schizophrénie présente en chacun de nous, sans que nous sachions exactement où elle se
loge, mais que nous pouvons ressentir lorsque nous sommes déchirés entre nos désirs les
plus vifs et nos aspirations les plus profondes.
Oui, nous voici mis à nu par la Parole. Pas seulement la nudité du corps qui serait encore
supportable, mais la nudité intérieure, la plus intérieure qui soit, au plus intime de l'intime,
au plus secret de nos secrets. Là où il n'y a plus de lumière, comme en ces malles
renfermant l'avoué et l'inavouable, et qui sont reléguées au plus haut des greniers ou
dans la plus enfouie des caves dont nous aurions, inconsciemment mais volontairement,
égaré la clé !
Telle est la Parole de Dieu !
Et il ne sert à rien de faire comme Jean-Paul Sartre qui, ne supportant pas cette mise à nu
qui était pour lui une véritable mise à mort, a décidé de la rejeter. Si je ne puis lui
échapper, même lorsque je me réfugie dans le cagibi sous l'escalier de la maison
parentale, alors c'est elle qui m'échappera. Ainsi je serais libre puisque j'aurais choisi de
clamer haut et fort que je suis, et que l'enfer c'est elle puisqu'elle est autre !
Un prédicateur d'antan vous aurait dit du haut de cette chaire ancestrale : Malheur à
vous, pauvres pécheurs ! Vous n'échapperez pas au jugement de Dieu qui voit tout de
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vous, qui sait tout de vous... même ce que vous ne connaissez pas ! Vous ne pourrez
échapper à son jugement, alors convertissez-vous et entrez en pénitence, s'il est encore
temps !
Amen.
Sauf que je ne suis pas un prédicateur d'antan. Et s'il en était ainsi, j'aimerais mieux me
taire plutôt que de faire peser sur vos âmes le poids d'une paranoïa religieuse, et de vous
tenir prisonniers d'une angoisse existentielle qu'aucune mortification ne peut résoudre –
si j'en crois l'expérience de Martin Luther.
Sauf que je préfère remettre mon ouvrage sur le métier et reprendre l'étude de ce texte
plutôt que de vous asséner de ces soit-disantes vérités éternelles qui ne sont que les
reflets d'une époque ancienne et dépassée. Aujourd’hui, je préfère retourner à la parole
originelle afin de découvrir ce qu’elle porte en elle de nouveauté.
Revenons au texte, aux mots mêmes du texte de cette épître aux Hébreux, à leur relation
afin d'y découvrir des sens. Et « il ne s'agit pas de choisir un sens plutôt qu'un autre, mais
d'abord de les faire résonner, de les entendre en même temps, quitte ensuite à dénouer la
complexité de leur articulation. La jouissance du sens est ce que découvre le lecteur qui sort
du tragique, le mal-entendu d'une écoute réduite au sens unique, et donc à l'impasse »1.
Il y est bien question d'une Parole qui est juge. C'est même la seule fois dans le Nouveau
Testament que ce terme apparaît, alors que la théologie l'a beaucoup exploité. Qui dit
juge, dit procès... ou processus, car « le procès n'est pas le tribunal ni la loi... c'est le
processus, le mouvement de l'être et son impossibilité à être enfermé dans tel ou tel mot,
telle ou telle idée, c'est la liberté du vivant »2.
Un procès, c'est avant toute autre chose la mise en lumière de la vérité d'une existence
au-delà de la réalité des faits qui peuvent être reprochés. C'est la découverte – au sens
premier du mot – de la vérité d'une personne par-delà ce qu'elle a pu faire.
Si la Parole de Dieu est juge, c'est qu'elle nous met en procès non pas pour nous
condamner – c'est faire dire au texte ce qu'il n'affirme pas –, mais pour nous faire entrer
dans le processus de la vie en mettant en lumière ce que nous ne savons pas de nousmêmes parce que nous ne voulons pas ou ne pouvons pas le savoir.
Avec la Parole de Dieu, il n'y a plus de malle recluse dans un sombre grenier ou une cave
obscurcie. Il y a une Parole qui enlumine, qui révèle au sens photographique : qui fait
apparaître ce qui était jusque-là masqué, mais bien présent. Voilà pourquoi il est dit
qu'elle une Parole vivante, une Parole de vie, une Parole qui en apportant la lumière rend
toute vie possible. Elle est une Parole qui fait naître à soi. Et cela, c’est nouveau ! Cela,
c’est la nouveauté dans laquelle Nicodème3 a du mal à entrer. « Comment un homme
pourrait-il naître de nouveau ? » Nicodème réfléchit à haute voix, il est logique. Il n’a pas
saisi tout de suite la nouveauté de ce qu’il entend. Non, Nicodème, il ne faut pas entrer
dans le ventre de sa mère – ça, c’est du passé, du déjà fait –, il faut naître d’en soi par
l’Esprit qui y est. Voilà qui est nouveau.
1
Marc-Alain Ouaknine ; Zeugma, Seuil, p. 155
Idem, p. 156
3
Jean 3, 1ss
2
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« Celui qui se tient en soi-même entend la Parole de Dieu »4.
Abraham, le premier, a entendu cette vive Parole en lui. Toute sa vie en a été bouleversée.
Par elle, il est devenu le premier ivri-hébreu de l'histoire, celui qui a fait l'expérience du
passage de la vive Parole dans son existence. Il en a été comme arraché à son ordinaire. Il
a été mis en mouvement et tout a été nouveauté. Il est devenu le pèlerin de la foi, celui à
qui nous pouvons toujours nous référer quand nous voulons à notre tour quitter
l'immobilisme du néopaganisme contemporain et de l'adoration des vaines idoles des
temps d'aujourd'hui – celles qui prétendent avoir des yeux et des oreilles, et qui pourtant
ne voient rien, n’entendent rien de la vie – pour nous mettre en route et devenir des
nomades en la foi, passant avec le Christ du monde ancien des ténèbres à celui nouveau
de la Lumière.
Cela est le fait de la Parole de vie. « L'attitude d'Abraham ne consiste pas à parler de Dieu, à
nous faire découvrir un Dieu, serait-il unique. Abraham ne dit pas que Dieu est, convoque,
ordonne, décide, choisit. Mais qu'il existe une parole qui va dans les deux sens, de Dieu vers
l'homme et de l'homme vers Dieu. Que la parole est un pont qui permet à l'homme
d'entretenir une relation avec l'infiniment distant, l'absolument étranger, l'absolument
transcendant. “Dieu parle et l'homme lui parle”. »5
Elle est là, la grande nouveauté que nous cherchons : il n’y a pas de paroles en définitive. Il y
a une Parole qui va et qui vient, qui monte et qui descend. Une parole qui met en lumière,
qui met en mouvement, qui fait naître parce qu’elle est Vie avant d’être jugement et
condamnation.
« Si tu veux entendre en toi la Parole éternelle
Tu dois d’abord en finir avec toute inquiétude »6
Voilà la réponse à Nicodème comme à chacun de nous : en finir avec toute inquiétude. Il ne
peut y avoir de foi anxieuse. Il n’y a de foi qu’apaisée, émue, toujours renouvelée et intime.
Une foi qui se trouve là où priori chacun s’égare en lui-même et ne fait qu’en vérité se
trouver.
« Le Verbe éternel encore aujourd’hui s’enfante
Où donc ? Là où tu t’es perdu toi-même en toi »7
Lorsque cela survient dans une existence, elle est renouvelée sans cesse en permanence
puisque cette Parole nouvelle et éternelle devient une part inséparable du croyant.
« La Parole qui te porte et me porte et aussi toutes choses
À mon tour je la porte et la recueille en moi »8
bruneau joussellin
église protestante de bruxelles-musée
le 21 sept. 2014
4
Angelus Silesius ; L’errant chérubinique ; Livre 1, n°93
Marc-Alain Ouaknine ; opus cité, p. 205-206
6
Angelus Silesius ; opus cité ; Livre 1 n° 85
7
idem ; Livre 2
8
Idem ; Livre 1, n° 139
5
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