Revue des Maladies Respiratoires (2014) 31, 488—498 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com REVUE GÉNÉRALE Cannabis et cancer bronchique Cannabis smoking and lung cancer M. Underner a,∗, T. Urban b, J. Perriot c, I. de Chazeron d, J.-C. Meurice a a Service de pneumologie, unité de tabacologie, CHU La Milétrie, pavillon René-Beauchant, BP 577, 86021 Poitiers, France b Service de pneumologie, CHU d’Angers, 49000 Angers, France c Dispensaire Emile-Roux, CLAT 63, 63000 Clermont-Ferrand, France d Service de psychiatrie-addictologie, CHU de Clermont-Ferrand, 63000 Clermont-Ferrand, France Rec ¸u le 4 septembre 2013 ; accepté le 29 d´ ecembre 2013 Disponible sur Internet le 16 f´ evrier 2014 MOTS CLÉS Cannabis ; Marijuana ; Tétrahydrocannabinol ; Cannabinoïdes ; Cancer bronchique KEYWORDS Cannabis; Marijuana; Tetrahydrocannabinol; ∗ Résumé Le cannabis est la substance psychoactive illicite la plus fumée dans le monde. S’il peut être consommé seul sous forme d’herbe (marijuana), il est pour l’essentiel fumé mélangé à du tabac. L’usage associé de tabac et de cannabis est un phénomène devenu banal dans notre société ; il est pourtant responsable de dommages respiratoires sévères. Le rôle propre du cannabis est difficile à distinguer de celui du tabac et à évaluer avec précision. La fumée de cannabis contient une concentration en hydrocarbures aromatiques polycycliques et en carcinogènes plus importante que celle du tabac. Des études cellulaires et tissulaires, chez l’animal et chez l’homme, ainsi que des études épidémiologiques, ont mis en évidence qu’elle était un facteur de risque de cancer bronchique. L’exposition à la fumée de marijuana multiplie, au moins par deux, le risque de développer un cancer bronchique. Cela doit encourager les praticiens à identifier la consommation de cannabis et à proposer aux consommateurs des prises en charge de sevrage. © 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Cannabis is the most commonly smoked illicit substance in the world. It can be smoked alone in plant form (marijuana) but it is mainly smoked mixed with tobacco. The combined smoking of cannabis and tobacco is a common-place phenomenon in our society. However, its use is responsible for severe pulmonary consequences. The specific impact of smoking cannabis is difficult to assess precisely and to distinguish from the effect of tobacco. Marijuana smoke contains polycyclic aromatic hydrocarbons and carcinogens at higher concentration than Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Underner). 0761-8425/$ — see front matter © 2014 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.rmr.2013.12.002 Cannabis et cancer bronchique Cannabinoïdes; Lung cancer 489 tobacco smoke. Cellular, tissue, animal and human studies, and also epidemiological studies, show that marijuana smoke is a risk factor for lung cancer. Cannabis exposure doubles the risk of developing lung cancer. This should encourage clinicians to identify cannabis use and to offer patients support in quitting. © 2014 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Le cannabis (Cannabis sativa) consommé sous forme d’herbes : marijuana (« herbe », « beuh ») ou de résine : haschich (« shit », « bedo ») contient plus de soixante substances cannabinoïdes dont deux d’entre elles, le delta 9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol ont des propriétés psychoactives. D’autres ont des effets antalgiques, antinauséeux ou orexigènes qui font reconnaître au cannabis un rôle adjuvant dans le traitement de certaines maladies (cancer, sida) aux États-Unis [1]. Les liens entre le tabac et le cancer bronchique sont clairement établis depuis les travaux de Doll et Peto [2,3], en revanche ceux qui existent avec le cannabis sont moins bien connus [4—7]. Des effets carcinogènes de la fumée de cannabis indépendants de ceux du tabac sont identifiés [8]. Le cannabis est la substance psychoactive (SPA) illicite la plus consommée dans le monde [9]. La fréquence de cet usage et la sévérité des dommages induits font de cette consommation un enjeu majeur de Santé Publique. L’objectif de cette revue est : • d’exposer les données concernant les effets du cannabis sur le risque de cancer bronchique ; • d’étudier les mécanismes physiopathologiques en cause grâce aux études in vitro et in vivo chez l’homme ; • d’analyser les différences concernant les consommations de cannabis et de tabac et leurs conséquences sur le risque de cancer bronchique. Méthodologie Une recherche sur Medline a été réalisée sur la période 1970—2012 en utilisant les mots clés et équations de recherche suivantes : cannabis (ou marijuana ou hashish ou non-tobacco cigarette) et lung cancer ; ainsi que tétrahydrocannabinol (ou cannabinoids) et lung cancer avec les limites « Title/Abstract ». Les langues retenues étaient l’anglais et le franc ¸ais. Parmi les 445 articles identifiés, 54 ont été sélectionnés pour relecture de leur résumé (après élimination des articles hors-sujets et des doublons) et finalement retenus. Les données ont été extraites des articles retenus à l’aide d’une grille de recueil (MU a réalisé cette grille et extrait les données). Une double lecture des articles a été réalisée (MU et JP). Consommation de cannabis En 2010, selon l’OMS [10], le cannabis était la drogue la plus consommée dans le monde avec un taux de prévalence annuelle de 2,9 à 4,3 % dans la population âgée de 15 à 64 ans. Parmi les européens âgés de 15 à 24 ans en 2011, 15,4 % avaient consommé du cannabis au cours de l’année écoulée et 7,8 % dans le mois précédent [11]. Si la consommation varie fortement d’un pays d’Europe à l’autre, la France appartient aux pays dont la prévalence de la consommation est la plus élevée au cours de la vie (45 %), dans la dernière année (17,5 %) et dans le dernier mois (9,8 %). En France en 2011, 6,4 % des 18—25 ans, 2,5 % des 26—45 ans et 0,3 % des 45—64 ans ont déclaré avoir consommé du cannabis au moins dix fois au cours des trente derniers jours [12]. Si dans la plupart des pays d’Europe dont la France, les années 1990 et le début des années 2000 ont été marquées par une augmentation de la consommation de cannabis, il semble que l’on assiste actuellement à une stabilisation ou à un léger recul de cet usage [12]. Cannabis et cancer bronchique Cas cliniques et séries Sridhar et al. [13] aux États-Unis, ont rapporté une série de 110 cas de cancer du poumon chez des sujets âgés de 27 à 87 ans (54 % d’hommes). Chez les sujets de moins de 45 ans, la prévalence de consommation de cannabis (actuelle ou ancienne) était de 100 % alors qu’elle n’était que de 6 % chez les sujets âgés de 45 ans ou plus. La consommation de tabac (actuelle ou ancienne) était en revanche de 92 % dans les deux tranches d’âge étudiées. Dans une autre étude également réalisée aux États-Unis, Taylor [14] a rapporté une série de 10 cas (6 hommes et 4 femmes), âgés de moins de 40 ans, présentant un cancer des voies aériennes supérieures (oropharynx : 4 cas, larynx : 4 cas) ou du poumon (2 cas). Parmi ces dix sujets, cinq étaient des consommateurs quotidiens de cannabis et deux des consommateurs réguliers mais non quotidiens. Les deux sujets présentant un cancer du poumon étaient à la fois des consommateurs quotidiens de cannabis, de tabac et d’alcool. Lebeau et Génot [15] ont décrit un cas de cancer bronchique muco-épidermoïde du lobe moyen chez un homme de 22 ans, consommateur quotidien de cannabis et de tabac depuis l’âge de 11 ans. Khothadia et al. [16] ont décrit un cas de cancer bronchique à petites cellules révélé par un envahissement médiastinal et des adénopathies cervicales bilatérales, chez un homme de 22 ans fumeur d’un joint de marijuana trois fois par semaine depuis trois ans sans consommation associée de cigarette. Études épidémiologiques Les résultats de huit études épidémiologiques (six études cas-témoins et deux études de cohorte) réalisées dans les 490 pays du Maghreb (4 études), aux États-Unis (3 études) et en Nouvelle-Zélande (1 étude) ont été publiées. Ils sont discordants. Le Tableau 1 résume les principales données de ces études épidémiologiques sur la consommation de cannabis et le risque de cancer bronchique. L’étude de Hsairi et al. [17] réalisée en Tunisie, a montré une association positive entre consommation actuelle de cannabis (tekrouri) et cancer du poumon avec un OR ajusté de 8,2 (IC 95 % : 1,3—15,2), comparativement aux sujets n’ayant jamais consommé de cannabis. Les variables d’ajustement sont l’âge, le sexe, l’exposition professionnelle et le tabagisme (cigarettes, pipe à eau, snuff). Une autre étude, également réalisée en Tunisie [18], comportait exclusivement des ex-fumeurs de cannabis. Les auteurs émettent l’hypothèse qu’en raison du caractère illégal de l’usage de cannabis, les éventuels fumeurs actuels pouvaient avoir sous-déclaré leur consommation. Cette étude a retrouvé une association positive entre consommation ancienne de cannabis et cancer du poumon, avec un OR ajusté de 4,1 (IC 95 % : 1,9—9,0), comparativement aux sujets n’ayant jamais consommé de cannabis. Les variables d’ajustement étaient l’âge, l’exposition professionnelle et le tabagisme (actuel ou ancien). L’étude de Berthiller et al. [19] réalisée au Maroc, en Tunisie et en Algérie a mis en évidence une association positive entre consommation actuelle ou ancienne de cannabis et cancer du poumon, avec un OR ajusté de 2,4 (IC 95 % : 1,5—3,7), comparativement aux sujets n’ayant jamais consommé de cannabis. Les variables d’ajustement étaient l’âge, le pays de naissance, l’exposition professionnelle et le tabagisme (exprimé en paquets-années [PA]). En revanche, l’étude de Sasco et al. [20] réalisée au Maroc, ne notait pas d’association positive entre consommation actuelle ou ancienne de cannabis (haschisch et/ou kif) et cancer du poumon avec un OR ajusté de 1,93 (IC 95 % : 0,57—6,58) comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé de cannabis. Les variables d’ajustement comportaient l’âge, le sexe, le lieu de résidence, l’exposition professionnelle, le mode de chauffage et d’éclairage, le mode de cuisson des aliments, la ventilation de la cuisine, les antécédents de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et le tabagisme (actif et/ou passif). Deux études réalisées aux États-Unis [21,22] n’ont pas retrouvé d’association entre consommation de cannabis et cancer du poumon. L’étude de cohorte de Sidney et al. [21] a concerné 64 855 sujets qui ont été suivis pendant 8,6 années. Elle n’a pas mis en évidence d’association entre consommation actuelle ou ancienne de cannabis et cancer du poumon, avec un OR ajusté de 0,9 (IC 95 % : 0,5—1,7) chez les hommes et de 1,1 (IC 95 % : 0,5—2,6) chez les femmes, comparativement aux sujets n’ayant jamais consommé de cannabis ou à ceux ayant seulement fait « l’expérience » du cannabis. Les variables d’ajustement étaient l’âge, la race, le niveau d’éducation, la consommation d’alcool et le tabagisme (actuel ou ancien). Dans l’étude cas-témoins de Hashibe et al. [22] réalisée dans la région de Los Angeles, 611 cas de cancers bronchiques sur 1212 patients atteints de cancer ont été comparés à une population témoin de 1040 sujets indemnes de cancers. Il n’y a pas eu non plus d’association entre consommation actuelle ou ancienne de cannabis et cancer du poumon. Cette absence de lien variait M. Underner et al. quelle que soit l’importance de la consommation de cannabis exprimée en joints-années (JA), avec un OR ajusté de 0,82 (IC 95 % : 0,38—1,70) pour une consommation comprise entre 30 et 50 JA et de 0,62 (IC 95 % : 0,32—1,20) pour une consommation supérieure ou égale 60 JA, comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé de cannabis. Les variables d’ajustement étaient l’âge, le sexe, la race ou l’ethnie, le niveau d’éducation, la consommation d’alcool et le tabagisme (exprimé en PA). En revanche, une étude de cohorte sur 29 000 sujets âgés de 39 à 45 ans, portant sur la relation entre différents paramètres de santé et la consommation de drogues illicites, a mis en évidence un risque accru de cancer bronchique chez les consommateurs de cannabis [23]. Pour une durée de consommation égale ou supérieure à 11 ans, l’OR ajusté a été de 7,87 (1,28—48,4). Dans cette étude, les variables d’ajustement étaient l’âge, le sexe, l’ethnie, les niveaux d’éducation et de revenu, le fait d’avoir d’une assurance maladie et l’existence d’une consommation quotidienne de tabac dans les trente derniers jours. Aldington et al. [24] ont réalisé en Nouvelle-Zélande, une étude cas-témoins chez des adultes de moins de 55 ans (79 patients atteints de cancer du poumon et 324 témoins sélectionnés et randomisés à partir des listes électorales, en fonction de l’âge et du sexe). La consommation de cannabis était évaluée en JA, 1 JA correspondant à la consommation d’un joint par jour pendant un an. Les sujets qui avaient fumé moins de 20 joints dans leur vie étaient considérés comme non-fumeurs et les fumeurs classés en trois catégories en fonction de leur consommation : inférieure à 1,39 JA, entre 1,39 et 10,5 JA, supérieur à 10,5 JA. Les variables d’ajustement étaient l’âge, le sexe, l’ethnie, les antécédents familiaux de cancer du poumon et le tabagisme (exprimé en PA). Pour une consommation inférieure à 1,39 JA ou comprise entre 1,39 et 10,5 JA, il n’est pas constaté d’association entre consommation actuelle ou ancienne de cannabis et cancer du poumon ; les OR étaient de 0,3 (IC 95 % : 0,1—0,7) et de 0,9 (IC 95 % : 0,3—2,9) respectivement, comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé de cannabis. En revanche, pour une consommation supérieure à 10,5 JA, il existe une association positive entre consommation de cannabis et cancer du poumon avec un OR ajusté de 5,7 (IC 95 % : 1,5—21,6). Comparativement aux sujets n’ayant jamais fumé de cannabis le risque de cancer augmentait de 8 % (RR = 1,08 ; IC 95 % : 1,02—1,15) à chaque consommation additionnelle d’un JA de cannabis après ajustement des variables confondantes incluant le tabagisme. Il s’accroît de 7 % (RR = 1,07 ; IC 95 % : 1,05—1,09) à chaque consommation supplémentaire d’un PA de tabac après ajustement de variables confondantes incluant le cannabis. Lorsque l’usage de cannabis débute avant l’âge de 16 ans, pour une consommation cumulée identique, le RR de ce cancer bronchique est de 10,3 (IC 95 % : 0,8—132) comparativement à ceux qui débutent leur consommation après 21 ans. Deux revues générales [25,26] ont repris certains de ces articles. Celle de Hashibe et al. [25] de 2005 concerne l’ensemble des cancers de l’adulte et de l’enfant. Pour les cancers du poumon, les auteurs analysent trois articles : ceux de Hsairi et al. [17], de Sasco et al. [20] et de Sidney et al. [21]. Cannabis et risque de cancer du poumon : études épidémiologiques. Auteur Pays — Année Type d’étude Effectif Période d’étude Âge — Sexe Type de consommation de cannabis Prévalence de consommation Populations comparées Résultats OR ajusté (IC95 %) Variables d’ajustement Hsairi et al. [17] Tunisie — 1993 Cas-témoins (110/110) 1988—1989 Âge moyen : 61 ans H/F : 36 Tekrouri 21 % FC-Actu vs JFC 8,2 (1,3—15,2) Âge, sexe, exposition professionnelle, tabagisme (cigarettes, pipe à eau, snuff) Voirin et al. [18] Tunisie — 2006 Cas-témoins (149/188) 2000—2003 Âge moyen : 59 ans H (100 %) Cannabis 20 % Ex-FC vs JFC 4,1 (1,9—9,0) Âge, exposition professionnelle, tabagisme (actuel ou ancien) Berthiller et al. [19] Maghreb — 2008 (Maroc, Tunisie, Algérie) Cas-témoins (430/755) 1996—2004 Âge moyen : 60,5 ans H (100 %) Cannabis 16,3 % FC-Actu + Ex-FC vs JFC 2,4 (1,5—3,7) Âge, pays de naissance, exposition professionnelle, tabagisme (PA) Sasco et al. [20] Maroc — 2002 Cas-témoins (118/235) 1996—1998 Âge moyen : 59 ans H/F : 28 Hashish + kiff 12,7 % FC-Actu + Ex-FC vs JFC 1,93 (0,57—6,58) Professionnelle, mode de chauffage et d’éclairage, mode de cuisson des aliments, ventilation de la cuisine, antécédents de BPCO, tabagisme (actif et passif) Sidney et al. [21] États-Unis — 1997 Cohorte n = 64 855 Suivi : 8,6 années Âge moyen : 33 ans H/F : 0,7 Marijuana 42 % FC-Actu + Ex-FC vs JFC + FC expérimentateurs H : 0,9(0,5—1,7) F : 1,1 (0,5—2,6) Âge, ethnie, niveau d’éducation, consommation d’alcool, tabagisme (actuel ou ancien) Hashibe et al. [22] États-Unis — 2006 Cas-témoins (611/1040) 1999—2004 18—65 ans H/F : 1 Marijuana 51 % FC-Actu + Ex-FC (30—50 JA) vs JFC FC-Actu + Ex-FC (≥ 60 JA) vs JFC 0,82 (0,38—1,70) 0,62 (0,32—1,20) Âge, sexe, ethnie, niveau d’éducation, consommation d’alcool, tabagisme (PA) 491 vier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/08/2014 par Société de Pneumologie de Langue Française (202963) Cannabis et cancer bronchique Tableau 1 492 Tableau 1 (Suite) Auteur Pays — Année Type d’étude Effectif Période d’étude Âge — Sexe Type de consommation de cannabis Prévalence de consommation Populations comparées Résultats Variables d’ajustement OR ajusté (IC95 %) Aldington et al. [24] Nouvelle-Zélande 2008 Cas-témoins (79/324) 2001—2005 35—55 ans H/F : 1 Cannabis (≥ 20 joints, vie entière) FC-Actu + Ex-FC (< 1,39 JA) vs JFC FC-Actu + Ex-FC (1,39—10,5 JA) vs JFC FC-Actu + Ex-FC (> 10,5 JA) vs JFC 0,3 (0,1—1,7) 0,9 (0,3—2,9) 5,7 (1,5—21,6) Âge, sexe, ethnie, antécédents familiaux de cancer du poumon, tabagisme (PA) Han et al. [23] États-Unis—2010 Cohorte (29 195) 2005—2007 35—49 ans Cannabis (durée de la consommation en année) FC-Actu + ExFC ≤ 1 an vs JFC FC-Actu + Ex-FC 2—10 ans vs JFC FC-Actu + Ex-FC ≥ 11 ans vs JFC 2,68 (0,53—13,47) 2,12 (0,41—10,95) 7,87 (1,28—48,4) Âge, sexe, ethnie, niveaux d’éducation et de revenus, tabagisme (dans le mois) H/F : sex-ratio ; H : hommes ; JA : joints-années ; PA : paquets-années ; BPCO : bronchopneumopathie chronique obstructive ; FC-Actu : fumeurs actuels de cannabis ; Ex-FC : ex-fumeurs de cannabis ; JFC : jamais fumeurs de cannabis. M. Underner et al. vier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/08/2014 par Société de Pneumologie de Langue Française (202963) Cannabis et cancer bronchique La revue de Mehra et al. [26] de 2006, ne concerne que les cancers du poumon. Les auteurs analysent quatre articles dont deux cités dans la revue de Hashibe et al. [25] et deux autres : celui de Sridhar et al. [13] et celui de Taylor [14]. • Le cannabis est la substance psychoactive illicite la plus consommée dans le monde. Il est fumé seul ou associé à du tabac, sous forme d’herbe (marijuana) ou de résine. • Des cas de cancers des voies aérodigestives supérieures ou bronchiques sont décrits chez les jeunes fumeurs de cannabis. • La relation spécifique entre cannabis et cancer bronchique est difficile à établir (le cannabis est souvent fumé mélangé à du tabac ; les fumeurs de cannabis fument aussi des cigarettes de tabac). • Les résultats des études épidémiologiques (huit études) sont discordants mais : ◦ quatre études cas-témoins et une étude de cohorte mettent en évidence une relation positive entre consommation, actuelle ou ancienne de cannabis et cancer bronchique, ◦ une étude suggère qu’un usage avant 16 ans et une consommation cumulée élevée (≥ 10,5 JA) de cannabis accroît le risque de cancer bronchique, dont le niveau de risque varie en fonction de la consommation. Limites des études épidémiologiques analysées Technique de recueil de la littérature Elle a reposé sur le moteur de recherche le plus efficient (Medline) qui sur-représente les publications en langue anglaise. Il n’a pas été effectué de recherche dans la littérature dite « grise » (rapport, travaux non publiés, etc.) Néanmoins, il paraît légitime de penser que le biais de publication ainsi constitué est d’ampleur limitée, compte tenu du sujet traité. Variétés de cannabis et mode d’expression de la consommation Si beaucoup d’études portent sur la consommation de cannabis ou de marijuana, certaines d’entre elles réalisées au Maghreb concernent d’autres variétés de cannabis : Tekrouri en Tunisie [17], Kif au Maroc [20]. La plupart des études expriment la consommation de cannabis en joint-année : un joint-année (JA) correspond à un joint fumé par jour pendant un an. Ce mode de calcul ne tient pas compte de la quantité souvent variable de cannabis utilisé pour fabriquer le joint. Validité de la consommation déclarée Les études reposent sur la consommation déclarée par les consommateurs ; la fiabilité des données demeure incertaine, d’autant que le cannabis étant une substance illicite, 493 une sous-déclaration est vraisemblablement plus fréquente que pour le tabac. Cependant Martin et al. [27] ont mis en évidence dans une étude menée au Canada que la consommation déclarée de cannabis au cours des 30 derniers jours était fiable, comme en témoignait la bonne corrélation entre les quantités déclarées et le dosage urinaire des métabolites du THC. Consommation associée de cannabis et de tabac La plupart des fumeurs de cannabis fument également du tabac. De ce fait, les études menées en Nouvelle-Zélande sont intéressantes car, dans ce pays, le cannabis est le plus souvent fumé seul, permettant ainsi de mieux distinguer les risques propres du tabac de ceux du cannabis [24]. Populations comparées Les populations de consommateurs de cannabis comparées sont variables selon les enquêtes : • fumeurs actuels de cannabis versus jamais fumeurs de cannabis ; • fumeurs actuels et anciens de cannabis versus jamais fumeurs de cannabis ; • ou encore anciens fumeurs de cannabis versus jamais fumeurs de cannabis. Il faut souligner par ailleurs la grande hétérogénéité de la consommation cumulée de cannabis dans les études rapportées, sous-estimant probablement le risque chez les patients les plus durablement et fortement exposés. Physiopathologie Le Tableau 2 résume les résultats des principales études cellulaires et moléculaires in vitro et in vivo. Conséquences de l’exposition à la fumée de cannabis ou aux cannabinoïdes Quelques études ont porté sur les conséquences de l’exposition à la fumée de cannabis ou aux principaux cannabinoïdes, in vitro et in vivo chez l’homme ou l’animal. Études in vitro Leuchtenberger et al. [28] ont constaté des anomalies mitotiques plus fréquentes au niveau de cellules pulmonaires humaines en culture, exposées à la fumée de cannabis ou de tabac comparativement aux cellules non exposées. Ces anomalies étaient plus fréquentes après exposition à la fumée de cannabis comparativement à la fumée de tabac. Murison et al. [29] ont noté une maturation incomplète des monocytes humains (ML-2) cultivés en présence de cannabinoïdes (THC, cannabinol, cannabidiol), avec augmentation (×2 à 5) du nombre de promonocytes. Srivastava et al. [30] ont retrouvé une inhibition de la production d’IL-10 et un doublement de la production d’IL-8 par les lymphocytes T et B, les cellules NK et les polynucléaires éosinophiles humains cultivés en présence de cannabinoïdes (THC, cannabidiol). Sur une lignée de cellules tumorales pulmonaires humaines Cannabis et cancer du poumon : études cellulaire et moléculaire in vitro et in vivo chez l’homme. Type d’étude Résultats Leuchtenberge et al.r [28] 1984 Cellules pulmonaires humaines en culture exposées à la fumée de cannabis ou de tabac ou à du THC (in vitro) Anomalies mitotiques plus fréquentes après exposition à la fumée de cannabis ou de tabac vs cellules non exposées Anomalies mitotiques plus fréquentes après exposition à la fumée de cannabis vs fumée de tabac Murison et al. [29] 1987 Monocytes humaines (ML-2) cultivées en présence de cannabinoïdes : THC, cannabinol, cannabidiol (in vitro) Maturation incomplète des monocytes avec augmentation (×2 à 5) du nombre de promonocytes Srivastava et al. [30] 1998 Lymphocytes T et B, de cellules NK et de polynucléaires éosinophiles humains cultivées en présence de cannabinoïdes : THC, cannabidiol (in vitro) Inhibition de la production d’IL-10 Doublement de la production d’IL-8 Sarafian et al. [31] 2001 Cellules pulmonaires tumorales humaines (A549) cultivées en présence de fumée de cannabis ou de THC (in vitro) Déséquilibre de la balance apoptose/nécrose Diminution de l’apoptose médiée par Fas Augmentation de la mort cellulaire par nécrose tumorale Sarafian et al. [32] 2003 Cellules pulmonaires tumorales humaines (A549) cultivées en présence de fumée (de cannabis ou de tabac) ou de THC (in vitro) Diminution des fonctions mitochondriales persistant 24 h après suppression de l’exposition Hart et al. [33] 2004 Cellules pulmonaires tumorales humaines (NCI-H292) cultivées en présence de THC (in vitro) Accélération de la prolifération cellulaire tumorale dépendante de l’EGFR et des métalloprotéases Chiesara et al. [36] 1983 Lymphocytes du sang périphérique de fumeurs de cannabis et de témoins Altérations chromosomiques 8 fois plus fréquentes chez les fumeurs de cannabis que chez les témoins Ammenheuser et al. [37] 1998 Lymphocytes du sang périphérique de femmes enceintes (et du sang du cordon des nouveau-nés) fumeuses exclusives de cannabis et de témoins Augmentation (×3) de la fréquence des mutations du gène HPRT chez les femmes enceintes fumeuses de cannabis et chez les nouveau-nés Yuan et al. [34] 2002 Lymphocytes Thumains Culture de sang périphérique en présence de cannabis Déséquilibre de l’activité des cytokines TH1/TH2 (↓TH1 ↑TH2) Barsky et al. [38] 1998 Biopsies bronchiques de fumeurs (n = 104) Tabac et/ou cannabis et/ou cocaïne et de non-fumeurs (n = 2828) Histologie : augmentation de la métaplasie malpighienne, du nombre de mitoses, du rapport nucléo-cytoplasmique, de la désorganisation cellulaire et des variations cellulaires Immuno-histochimie : augmentation de l’expression des marqueurs de prolifération cellulaire (EGFR et Ki-67) Roth et al. [39] 1998 40 sujets (âge 20 à 49 ans) Fumeurs de marijuana et/ou tabac Endoscopie bronchique, lavage bronchoalvéolaire, biopsie de muqueuse bronchique Similarité des constats entre les FT, FC et FTC (aspects endoscopiques, biopsie et lavage bronchoalvéolaire) Biopsie : hyperplasie des cellules caliciformes, œdème de la muqueuse, hypervascularisation THC : tétrahydrocannabinol ; EGFR : epidermal growth factor receptor ; NK : natural killer ; IL : interleukine ; FT : fumeur de tabac ; FC : fumeur de cannabis ; FTC : fumeur de tabac et cannabis vier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 05/08/2014 par Société de Pneumologie de Langue Française (202963) M. Underner et al. Auteur — Année 494 Tableau 2 Cannabis et cancer bronchique (A549) cultivée en présence de fumée de cannabis ou de THC, Sarafian et al. [31] ont noté un déséquilibre de la balance apoptose/nécrose avec diminution de l’apoptose médiée par Fas et une augmentation de la mort cellulaire par nécrose tumorale. Ils ont constaté dans une autre étude [32] une diminution des fonctions mitochondriales de ces cellules pulmonaires tumorales humaines (A549) cultivées en présence de fumée de cannabis, de tabac ou de THC. Hart et al. [33] ont relevé l’accélération de la prolifération de cellules pulmonaires tumorales humaines (lignée NCI-H292) cultivées en présence de THC. Celle-ci était dépendante de l’EGFR et des métalloprotéases. L’étude de Yuan et al. [34] a mis en évidence que la présence de THC dans une culture de lymphocytes périphériques humains activés induit un déséquilibre de la balance des cytokines Th1/Th2 (diminution de l’activité Th1 et augmentation de l’activité Th2). Ce fait suggère une dépression de l’immunité antitumorale induite par le cannabis. Études in vivo Zhu et al. [35] ont mis en évidence, dans une étude réalisée sur un modèle murin, la croissance rapide d’un implant intrapéritonéal de cancer bronchique en présence de THC (5 mg/kg ; 4 fois/semaine pendant 4 semaines) comparativement à une population témoin. Les souris exposées au cannabis présentaient une augmentation de la production de cytokines immunosuppressives (IL-10 et TGF) et la diminution de celle des cytokines immunostimulantes (IL2 et INF␣). Chiesara et al. [36] ont retrouvé des altérations chromosomiques des lymphocytes du sang huit fois plus fréquentes chez les fumeurs de cannabis que chez les témoins. Chez des femmes enceintes, fumeuses exclusives de cannabis, Ammenheuser et al. [37] ont noté une augmentation (×3) de la fréquence des mutations du gène HPRT au niveau des lymphocytes du sang périphérique des femmes et du sang du cordon des nouveau-nés. Barsky et al. [38] ont réalisé des endoscopies bronchiques chez 104 volontaires, non-fumeurs (n = 28) ou fumeurs (n = 76) de l’une ou plusieurs des substances suivantes : tabac, cannabis et/ou cocaïne. Chez les fumeurs, les lésions histologiques de la muqueuse : métaplasie malpighienne, augmentation du nombre de mitoses, du rapport nucléo-cytoplasmique, de la désorganisation cellulaire, et des variations cellulaires étaient plus fréquentes, en particulier lorsque la consommation de tabac s’associait à celle d’autres substances, cannabis surtout. En immunohistochimie, il était noté une surexpression des marqueurs de prolifération cellulaire (EGFR, Ki-67). Dans l’étude de Roth et al. [39] 40 jeunes fumeurs de marijuana et/ou de tabac âgés de 20 à 49 ans, volontaires, ont subi une endoscopie bronchique avec biopsie de muqueuse bronchique et lavage bronchoalvéolaire. Cette étude a permis de constater que le fait de fumer du cannabis ou du tabac induisait des aspects d’inflammation et des lésions histologiques similaires. Effet antitumoral des cannabinoïdes seuls Études chez l’animal Munson et al. [40] ont mis en évidence la capacité du 8 et du 9-THC ainsi que du cannabinol à limiter la 495 croissance d’adénocarcinomes de Lewis du poumon implantés chez des souris. Galve-Roperh et al. [41] ont montré que le 9-THC induisait l’apoptose de cellules nerveuses tumorales en culture. Son injection ou celle d’un cannabinoïde de synthèse agoniste, à l’intérieur de gliomes malins développés chez des souris induisait une régression tumorale. L’activation sélective des récepteurs cannabinoïdes CB2 par un agoniste spécifique était susceptible de ralentir la croissance des gliomes et des astrocytomes chez l’animal [42]. Études chez l’homme Les effets antalgiques, antiémétiques, orexigènes donnent aux cannabinoïdes un rôle adjuvant potentiel dans le traitement du cancer [1,43]. Leur capacité à déclencher expérimentalement l’apoptose des cellules cancéreuses et d’inhiber la croissance tumorale peut représenter une approche thérapeutique originale dans certaines études [42—44]. Il n’y a toutefois pas, à ce jour, d’étude mettant en évidence un effet antinéoplasique des cannabinoïdes chez l’homme pour justifier leur utilisation à cette fin [45]. • L’exposition de cultures cellulaires à la fumée de cannabis ou de cannabinoïdes induit : ◦ des dommages de l’ADN et de la division de cellules pulmonaires humaines, ◦ une diminution de l’apoptose de cellules tumorales humaines d’origine pulmonaire, ◦ la prolifération de cellules pulmonaires tumorales humaines. • L’exposition de la muqueuse bronchique à la fumée de cannabis s’accompagne des mêmes lésions histologiques que l’exposition à la fumée de tabac. • Les cannabinoïdes pourraient avoir quelques activités antitumorales sur tumeurs constituées. Fumée de tabac et de cannabis : similitudes et différences Phases gazeuse et particulaire La phase gazeuse de la fumée de cannabis contient les mêmes substances toxiques que celle de la fumée de tabac : substances irritantes (acroléine, formaldéhyde, NO2 , etc.) et carcinogènes (benzène, nitrosamines). Dans la phase particulaire, la différence majeure relève de la présence de la nicotine dans la fumée de tabac et de cannabinoïdes dans la fumée de cannabis. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (benzopyrène, benzoanthracène et naphtalène), substances carcinogènes, ont été retrouvés à des concentrations 50 à 70 % plus importantes dans la fumée de cannabis que dans celle du tabac [46]. La fumée de cannabis possède une concentration élevée en carbone hydroxylase (AHH), enzyme qui transforme les hydrocarbures aromatiques polycycliques en métabolites ayant un potentiel carcinogène supérieur [47]. 496 Différences liées au produit Les joints, contrairement aux cigarettes industrielles sont plus rarement fumés sans filtres. Ces derniers diluent la fumée plus qu’ils ne la filtrent réellement. La densité du cannabis est faible dans les joints dont les constituants sont moins compactés que dans les cigarettes manufacturées. Il en résulte un piégeage de la fumée dans la partie proximale du joint. Les composants de la fumée de cannabis ont un effet irritant plus important que ceux de la fumée de tabac [48]. Différences liées au sujet Modalités de consommation Les fumeurs de cannabis consomment des quantités moins importantes (quelques joints par jour ou par semaine) que les fumeurs de tabac (plusieurs cigarettes par jour). La consommation s’effectue sous forme de joint, de pipe à eau (ou bang) ; les usagers peuvent partager les joints avec d’autres personnes ; l’ensemble modifie la quantité de substances inhalées [48]. Fac ¸on de fumer Les fumeurs de cannabis ont une technique de consommation différente de celle des fumeurs de tabac, notamment aux États-Unis et en Europe [49]. Le volume de leurs bouffées est plus important, l’inhalation plus rapide, la durée de rétention plus longue (l’apnée de fin d’inhalation dure quatre fois plus longtemps que chez le fumeur de cigarette). Ils réalisent parfois une manœuvre de Valsalva destinée à faciliter l’absorption des cannabinoïdes, dont le THC, permettant d’en accroître les effets psychoactifs. La biodisponibilité du THC varie de 18 à 50 % selon le volume de fumée inhalée, la profondeur de l’inhalation et la durée de rétention pulmonaire de fumée. Cette fac ¸on de fumer augmente le phénomène de turbulences dans les voies respiratoires, favorisant l’impaction des constituants de la phase particulaire de la fumée de cannabis au niveau des grosses voies aériennes. Ceci accroît le temps de contact entre la fumée de cannabis et la muqueuse bronchique [48]. Le fumeur de cannabis laisse des mégots plus courts que le fumeur de cigarettes [50], ce qui contribue à faire pénétrer dans les bronches une fumée plus chaude et irritante [51]. Taux de goudrons, carcinogènes, THC La fumée de cannabis a une teneur en hydrocarbure polycyclique deux fois plus élevée que celle des cigarettes de tabac [49,52]. La rétention des carcinogènes dans les voies aériennes est 4 à 5 fois plus importante que celle induite par la fumée du tabac [6]. Wu et al. [49] ont montré que la quantité de goudrons inhalés et le taux de rétention pulmonaire étaient plus importants chez les fumeurs exclusifs de cannabis que chez les fumeurs exclusifs de tabac (p < 0,001 pour ces deux paramètres). Dans une étude réalisée chez des fumeurs réguliers de cannabis [53], les sujets fumaient une seule cigarette contenant 1,24 % de THC en modifiant à chaque session le volume des bouffées (45 mL versus 70 mL) et la durée M. Underner et al. de la rétention pulmonaire de la fumée (4 à 5 versus 14 à 16 secondes). Les autres paramètres étaient constants (6 bouffées séparées par un intervalle de 30 secondes). L’augmentation de la durée de la rétention pulmonaire de la fumée entraînait une augmentation (p < 0,05) de la concentration plasmatique en THC et en carboxyhémoglobine (HbCO) mais aussi du taux de rétention pulmonaire des goudrons. En revanche, l’augmentation du volume des bouffées ne modifiait pas significativement ces paramètres. C’était donc la durée de rétention pulmonaire de la fumée et non le volume des bouffées qui majorait la nocivité de la fumée de cannabis. Selon une étude d’Aldington et al. [54], un joint équivaudrait à 2,5 ou trois cigarettes de tabac en termes de conséquences respiratoires. Le THC n’a toutefois pas de récepteur dans l’arbre respiratoire, contrairement à la nicotine [55], ces derniers induisant un signal antiapoptotique. Le cannabis inhibe l’angiogenèse qui est stimulée par la nicotine ; il inhibe également l’enzyme clé (CYP1A1) du métabolisme des goudrons [56]. Fumer du cannabis accroît-il le risque de cancer bronchique ? Plusieurs constats en sont fortement indicateurs : • quatre études cas-témoins [17—19,24] et une étude de cohorte [23] mettent en évidence la relation positive entre consommation de cannabis et cancer bronchique. L’étude d’Aldington et al. [24] réalisée en NouvelleZélande, pays où le cannabis est rarement mélangé à du tabac, a montré que l’usage à long terme du cannabis s’accompagne de l’augmentation du risque de cancer bronchique. Une étude de cohorte réalisée aux ÉtatsUnis [23] aboutit à des conclusions analogues. L’étude néo-zélandaise [24] a identifié qu’un début précoce de la consommation (avant 16 ans) était associé à un sur-risque de cancer bronchique ; ce constat pourrait être rapproché des cas de cancers bronchiques [15,16] ou des VADS [8] décrits chez les jeunes fumeurs de cannabis ; • la fumée de cannabis est constituée des mêmes composants que la fumée de tabac, en revanche la fac ¸on d’inhaler est différente avec pénétration dans les bronches d’une fumée plus irritante qui les expose davantage aux carcinogènes [48] ; • les travaux expérimentaux ont mis en évidence qu’une exposition à la fumée de cannabis et/ou aux principaux cannabinoïdes induisait des dommages cellulaires préalables à une transformation tumorale [28,29,33,36] ; • l’exposition à la fumée de cannabis de la muqueuse bronchique induit la formation de lésions histologiques identiques à celles provoquées par la fumée de tabac [39]. Chez les fumeurs de cannabis, une surexpression des marqueurs de prolifération cellulaire est constatée [38] ; • de multiples mécanismes cellulaires et moléculaires paraissent impliqués dans la cancérogenèse bronchique en lien direct avec la présence de fumée de cannabis : les dommages sur l’ADN cellulaire en préalable à une transformation maligne, l’augmentation du stress oxydatif, le dysfonctionnement cellulaire mitochondrial, avec pour conséquence l’inhibition de l’apoptose cellulaire, le Cannabis et cancer bronchique déséquilibre de la balance des cytokines Th1/Th2 vers la production des cytokines immunodépressives [8] ; • cet inventaire souligne le caractère carcinogène de la fumée de cannabis. Un tel constat conduit à s’interroger sur la portée réelle des techniques de harm-reduction appliquées à la consommation de ce produit [55]. Les techniques de fumigation [57] consistent à chauffer les feuilles de cannabis finement broyées et contenues dans un réceptacle pour que la vapeur libérée ne soit pas chargée des produits de combustion. En revanche, le traitement nicotinique substitutif [58], voire l’usage de la cigarette électronique [59] peuvent faciliter la réduction de la consommation de tabac associée à celle de cannabis. Devant la sévérité des risques de dommages induits, le repérage d’une consommation de produits contenant du cannabis et l’accompagnement du sevrage doivent être systématiques [60,61]. Conclusion La consommation de tabac est la première cause de mort évitable dans le monde. Elle induit une forte dépendance qui en fait une maladie chronique. La consommation de cannabis associée à celle de tabac est devenue un phénomène banal. Il expose pourtant l’appareil respiratoire à des dommages sévères. Le rôle du cannabis dans la survenue du cancer bronchique est à l’origine de controverses car il est le plus souvent fumé mélangé au tabac. Il est ainsi difficile de distinguer les responsabilités respectives de chaque produit. Des études récentes mettent en évidence la réalité du lien entre consommation de cannabis et cancer bronchique. Les effets carcinogènes de la fumée de cannabis sont démontrés, la rétention de carcinogènes dans les voies aériennes est très supérieure pour la fumée de cannabis comparativement à celle du tabac. L’ensemble de ces constats justifie l’implication des pneumologues dans l’identification de la consommation de cannabis, en plus de celle de tabac. POINTS ESSENTIELS • Indépendamment des cannabinoïdes présents, la fumée de cannabis est qualitativement identique à celle du tabac ; toutefois elle contient deux fois plus d’hydrocarbures aromatiques polycycliques. • Du fait d’un mode d’inhalation différent de la fumée de cannabis, la rétention de carcinogènes dans les voies aériennes est 4 à 5 fois supérieure comparativement à celle du tabac. • Elle a des effets carcinogènes démontrés in vitro et in vivo. • Les résultats des études épidémiologiques sont discordants mais des études cas-témoins et de cohorte mettent en évidence la relation positive entre consommation de cannabis et cancer bronchique. • La consommation de cannabis multiplie, au moins par 2, le risque de développement d’un cancer bronchique. • Elle doit être systématiquement recherchée en plus de la consommation de tabac. 497 Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. 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