DU BON USAGE DES ‹DRIVERS›

Redaktionelles
DU BON USAGE DES ‹DRIVERS›
I. Historique
Le concept américain de ‹drivers›1 est attaché dans l’analyse transactionnelle à
Taibi Kahler qui appartient à la seconde
génération après Eric Berne, qu’il n’a d’ailleurs pas connu. Cet auteur est le seul à
avoir inventé une caractérologie d’AT.
Je ne crois pas que Berne y aurait adhéré avant sa mort en 1970, car il détestait
les étiquettes attribuées aux gens, qui servaient seulement, selon lui, à rassurer les
psychothérapeutes en échec, leur donnant
l’occasion de ‹passe-temps› entre eux qu’il
appelait (voir Claude Steiner) le ‹jazz›2 . Il
était opposé à toute étiquette collée sur les
clients car il connaissait le phénomène de
l’‹autoréalisation des prédictions› qui influence inconsciemment le sujet en le faisant se comporter comme le thérapeute ou
le conseiller ou l’éducateur ou le parent s’y
attend 3.
Or, justement, dès 1979, Taibi Kahler a
mis au point une classification des personnalités sur la base des cinq ‹drivers› qu’il
avait décrits dans l’article sur le mini-scénario lui ayant valu le prix Eric Berne en
1977. Dans cet article primé, il n’y avait au-
Driver signifie en anglais: conducteur d'un véhicule ou d'un animal. Accepté en français (dictionnaire)
2
Claude Steiner: Des scénarios et des hommes: Introduction. 1974
3
Pequignot, Rosenthal et Jakobson: Pygmalion à
l'école. 1968.
4
Taibi Kahler: The Process Therapy Model. Autoédition. 2008
5
Hedge Capers et Louise Goodman: Clarification
of the mini-scénario Traduction A.A.T. N° 32 Octobre 1984
6
Michaël Reddy: Taibi Kahler revisited. Traduction A.A.T. N° 30 Avril 1984.
1
cune allusion aux types de personnalité
qu’il allait créer ensuite et dont il a d’ailleurs changé plusieurs fois la terminologie
au cours du temps. La dernière date de
2008 4 et est intraduisible en français: le
‹workaholic› d’avant est par exemple devenu le ‹doer› aujourd’hui! Il lui a fallu en
effet s’adapter au nouveau public qu’il
avait choisi après s’être éloigné de l’analyse transactionnelle: celui des entreprises, auxquelles il vend son propre produit. C’est le P.C.M. = Process Communication Management, qui sert, je crois, surtout au recrutement des cadres.
Il faut dire que quelques années après
son prix Eric Berne, Taibi Kahler avait été
publiquement ‹revisité› par ses collègues
analystes transactionnels, dont son propre
mentor Hedge Capers 5, ancien ami de
Berne, dont aussi un intervenant en entreprise comme lui: Michaël Reddy 6 .
Claudie Ramond
II. Quels reproches fait-on à
Taibi Kahler ?
Les cinq drivers de Taibi Kahler à ses débuts sont: Sois parfait, Fais moi plaisir,
Fais des efforts, Sois fort et Dépêche toi. Il
a enlevé ensuite ‹Dépêche-toi› de sa liste,
on ne sait pas pourquoi sauf à lui avoir entendu dire que c’était une combinaison de
deux autres drivers. (Fais effort et Te Faire
plaisir), qui me semble tout à fait vérifiée
selon mon expérience.
Il reste que cet apport est très efficace
dans l’éducation, le conseil et la supervision, en débouchant sur des prises de
conscience des limites que l’on s’impose à
soi-même, avec ces exigences intériorisées.
Pour avoir enseigné l’analyse transactionnelle en Asie, je peux dire que cette
grille correspond sans doute aux messages
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de contre-scénario de l’Occident chrétien
mais sont inappropriés pour les sociétés
asiatiques. Dans celles-ci, comme dans la
culture musulmane d’ailleurs, le principal
message contraignant est: ‹Be faithful›, ce
qui signifie ‹Sois fidèle› (à ta famille, à ton
clan, à ta religion, etc.). Et il y en a bien
d’autres, inconnus, qui ‹drivent› sans
doute d’autres cultures, alors que Taibi
Kahler affirmait que ses 5 messages
contraignants étaient universels.
Mais ce ne sont pas là les reproches essentiels que lui faisaient ses collègues
américains. Les voici en résumé:
1) D’être en rupture avec la philosophie de
l’analyse transactionnelle dont le but est
l’autonomie et en particulier la
conscience de soi, des autres et des situations. Cette prise de conscience
propre au client ne peut pas être décrétée par le thérapeute en fonction de son
diagnostic mais est stimulée par les différences qu’il constate dans un groupe,
par exemple ou dans sa vie. Ainsi Michaël Reddy utilise le brainstorming et
la créativité dans ses groupes d’entreprise en lieu et place d’une prescription
individuelle.
2) L es messages du contre-scénario ne sont
pas seulement contraignants car conditionnels de la part des parents (Tu es OK
si tu …). Pour Eric Berne, ils sont aussi
permissifs et constructeurs de la personne, lui donnant une identité sociale.
Il suffit de lever le chantage à l’amour
conditionnel pour libérer les ressources
contenues dans le message et le programme. C’est ce qui arrive à l’adolescence quand parents et enfants sont
obligés de négocier du fait que les modèles se multiplient dans l’environnement des jeunes et les aident à définir ce
que sera ou ne sera pas leur vie.
3) Pour aller contre les messages contraignants, la prescription extérieure d’un
changement comportemental est illusoire et inefficace, car elle ne fait aucune part à l’autonomie de la décision
du sujet. Ce qui est décisif selon Berne
lui même est la Permission7 sous forme
de support, réassurance, encouragements positifs, persuasion et même exhortation s’il y a urgence de survie.
4) L es détracteurs de Taibi Kahler lui reprochent son orientation uniquement
comportementaliste et non humaniste
comme le voulait pourtant Eric Berne,
inspiré par la psychanalyse européenne
plutôt que par le ‹behaviorisme› américain. Celui-ci triomphe pourtant ces
temps-ci à travers les DSM8 successifs (I,
II, III, IV, V …) qui ont été créés à l’origine pour permettre aux patients américains d’être remboursés d’un certain
nombre de séances thérapeutiques, selon le diagnostic comportemental fait
par leur psychiatre!
III. Ce que l’on peut garder
Certainement pas les étiquettes comme je
l’ai suggéré plus haut. Mais autre chose.
Je reconnais en effet, avec beaucoup
d’autres, que Taibi Kahler est un excellent
observateur et qu’il a déduit ses 4 catégories de drivers par le diagnostic comportemental avec brio: (mots, voix, gestes, mi-
miques et positions corporelles et même,
en plus, façon de s’habiller et structure des
phrases). En négligeant certes les trois
autres éléments diagnostic d’un état du
moi pour Eric Berne, à savoir: social (l’effet sur les autres, phénoménologique (les
émotions montrées) et historique (les souvenirs du passé). C’est très utile pour les
champs autres que psychothérapeutique.
Car cela permet dès le premier contact, qui
est parfois le seul ou presque, de faire une
hypothèse à vérifier auprès du client, qu’il
est peut-être sous l’emprise d’une exigence
interne, qui l’empêche de résoudre un problème avec calme, assertivité et surtout en
coopération avec les autres.
La matrice construite par Taibi Kahler9,
avec la variable ‹action/réaction›, d’une
part et d’autre part, la variable ‹implication/retrait›, est très utile pour accepter
les différences entre les gens. Concernant
surtout leur façon particulière de communiquer en situation de stress, comme le
sont, par exemple, les premières minutes
d’un groupe, y compris pour l’animatrice
(-teur). De plus, les quatre catégories de
messages, incluses dans cette matrice,
permettent de comprendre une foule de
choses, comme, par exemple, les peurs
spécifiques en cas de stress, qui nous indiquent les réassurances nécessaires et
aussi les besoins particuliers, qui nous indiquent les strokes importants pour la personne. Sans ignorer que l’on change de driver au cours de la vie et que même, à la limite, l’honnête occidental du XXIème
siècle a les quatre à la fois.
Eric Berne : Que dites vous après avoir dit Bonjour ? Chapitre 19
8
D.S.M.= Diagnostic Statistical Manual , à l'usage
des psychologues et des psychiatres
9
In Claudie Ramond: ‹Grandir› chapitre III paragraphe 3. 1989, 2010
7
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DRIVER
SOIS PARFAIT
FAIS EFFORT
FAIS-MOI PLAISIR
SOIS FORT
BESOIN
De structure
D’originalité
D’attention
De sécurité
STROKES
Conditionnels
Conditionnels
Inconditionnels
Inconditionnels
PEURS
La culpabilité
L’échec
L’indifférence
La violence
POINTS FORTS
Organisation
Méthode
Inventivité
Humour
Serviabilité
Sympathie
Maitrise de soi
Poésie
PORTE D’ENTREE
Pensées:
Parent Normatif
Comportements
réactifs:
Enfant Rebelle
Sentiments :
Parent Nourricier
Comportements
inactifs:
Enfant Adapté
PERMISSIONS
Tout le monde
fait des erreurs
C’est OK de segmenter la tâche
C’est OK de se
faire plaisir à
soi-même
Tout le monde
est vulnérable
Dynamique
LOI
LOI
Mais la Permission ne doit pas être grandiose, c’est à dire se donner sans être accompagnée de la Protection nécessaire
dans le contexte où vit la personne. C’est
à vérifier avec elle. Le film grand public intitulé ‹OUI MAIS›10 montre bien cela et il
intéresse beaucoup les adolescents. Son
réalisateur s’est d’ailleurs référé à Isabelle
Crespelle (TSTA française) pour la vraisemblance de son scénario.
Film ‹Oui mais …› d’Yves Lavandier avec Gérard
Jugnot
11
Taibi Kahler et Hedge Capers: Le mini scénario
Traduit dans les AAT N° 4 octobre 1971
12
T.S.T.A.=Teaching and Supervising with Transactional Analysis
13
Hedge Capers et Louise Goodman. Opus cité
précédemment
10
LIEN
LIEN
On peut par exemple travailler avec la personne sur le mini-scénario positif (OK) inventé par Hedge Capers, dans l’article
princeps écrit en parallèle avec Taibi
Kahler en 197411. Cela peut être fait dans
la supervision des praticiens de l’A.T., quel
que soit leur champ d’application et par
n’importe quel TSTA 12 .
IV. Conclusion
En m’inspirant de Hedge Capers et de
Louise Goodman13 avec leur quatre degrés
de vie et en pensant à ma pratique du
conseil en éducation, je dirai ceci:
1) Après avoir diagnostiqué sommairement le driver qui empêche peut-être la
personne de résoudre le problème
qu’elle pose, je fais appel aux messages
positifs du passé: les qualités (ou talents) qu’elle se reconnaît et que d’autres
lui reconnaissent ou lui ont reconnus à
des moments particuliers de sa vie.
2) Je confirme ces messages renforçants
qui se manifestent aussi ici et maintenant. On les écrit au tableau du paper-board pour que la personne les emporte avec elle à la fin de l’entretien: j’en
demande au moins sept.
3) Je lui demande ensuite ce qu’elle peut
mettre en œuvre aujourd’hui et ce qui
pourra l’être dans le futur. Pour les adolescents, cette dernière phrase est très
importante, car ils sont en changement
mais encore dépendants.
4) Je cristallise l’ensemble en lui donnant
la Permission et la Protection nécessaires pour saisir les opportunités qui se
présenteront un jour à elle.
Et de conclure avec Hedge Capers et
Louise Goodman:
‹C’est ainsi que la personne peut cesser de
se débattre, de se limiter à la survie du mini-scénario non OK, pour vivre et agir dans
la joie et monter les 4 degrés de vie pour le
restant de son existence.›
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