Un médecin amoureux de la Guinée-Conakry - Médi-Raid

PORTRAIT
Un médecin amoureux
de la Guinée-Conakry
Dr Michèle Langendries
Cela se passe sur un coin de terre relativement petit pour un pays africain. Les paysages y sont opulents,
l’agriculture florissante. Toutefois, la Guinée-Conakry est un des 30 pays les plus pauvres du monde,
comme en témoigne une mortalité infantile et maternelle impressionnante. Après un demi-siècle de régime
totalitaire durant lesquels ses habitants ont été totalement privés de leurs droits économiques et humains
fondamentaux, le pays est pourtant entré depuis trois ans dans un processus démocratique.
«En rencontrant le peuple de la Guinée-Conakry, j’ai découvert des
gens dotés d’une mentalité particulièrement séduisante par leur
courage et leur envie de travailler pour sortir de la misère.»
DR GÉRARD DELACROIX
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n rencontrant le peuple de la Guinée-Conakry, j’ai
découvert des gens dotés d’une mentalité particulièrement séduisante par leur courage et leur envie
de travailler pour sortir de la misère», dit le docteur Gérard Delacroix. «Qui plus est, les Guinéens sont demandeurs de projets
de développement constructifs et durables.»
Passionné de sports mécaniques, le Docteur Delacroix se partage
dès les premiers stades de sa carrière entre son cabinet de généraliste à Bois-de-Villers et une activité en tant qu’accompagnateur
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médical de voyages touristiques en Afrique, à moto, en voiture
tout-terrain ou en camion 4x4. Très vite, il associe à ce travail
une composante utile − le mot humanitaire lui paraît présomptueux − et organise des transports de médicaments et de matériel
médical vers le continent africain. Il met sur pied un poste sanitaire au Sénégal, dont la gestion sera ensuite reprise par l’infrastructure nationale. L’horizon de l’aide au développement s’ouvre
en Lybie, puis en Mauritanie, mais l’instabilité politique de certains pays et le caractère trop touristique de certains autres font
apparaître le Sénégal comme une destination privilégiée.
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ACTUALITÉS
PORTRAIT
MÉDICALES
Une aide ophtalmologique
Il y a quinze ans, après la suppression du
service militaire obligatoire en Belgique,
Gérard Delacroix rachète à bon prix
le stock de matériel ophtalmologique
de notre armée, y compris plusieurs
milliers de montures et de verres de lunettes. C’est vers cette époque que naît
l’asbl Mediraid, portée par le docteur
Delacroix et plusieurs de ses amis, médecins et autres… Les alliés frais émoulus transforment un vieux camion des
pompiers de Namur en cabinet médical.
Ils gagnent le Niger et y organisent des
distributions de lunettes à la population.
«Je voulais ensuite travailler un peu plus
sur le Sénégal, mais le manque de coopération locale m’a échaudé», explique
Gérard Delacroix. «Le Sénégal est au
bas mot un pays multi-assisté, qui accepte
volontiers les projets de développement,
mais trop souvent ces projets ne tiennent
pas dans la durée par manque de soins et
de responsabilisation locale.»
Le destin ne se prive pas d’une pointe
d’ironie en désignant ce confrère horspair comme cible d’un 30 tonnes dérouté… alors qu’il se déplace à pied avec
un groupe de touristes au Sénégal. Bilan:
un polytraumatisme laissant à ce jour
d’importantes séquelles et la perte d’un
ami cher qui ne survivra pas à l’accident.
Gérard Delacroix en bouche toutefois un
premier coin à la fatalité en réorganisant
son activité de généraliste. Il acquiert des
aptitudes particulières en traitement de
la douleur, qu’il exerce parallèlement à la
médecine générale sans avoir à se déplacer au domicile du patient. Une jeune
consœur, son ancienne assistante, vient lui
prêter main-forte afin de permettre une
continuité des soins en médecine générale.
L’Afrique ne le lâchera pas pour autant: il
a jeté son dévolu sur la Guinée-Conakry.
Coin de paradis en friche
Avec ses 250.000 km2, la Guinée-Conakry
fait figure de petit pays au regard des normes
africaines. Délimitée au nord par le Sénégal, elle
arrose généreusement sa végétation en nourrissant
les sources des fleuves Gambie et Niger. «C’est
un grenier agricole, gratifié d’un climat et d’une
hydrographie favorables à la végétation», dit le
docteur Delacroix. «Tout y pousse. Dans la haute
saison, les tomates et les mangues s’amoncellent
dans les marchés, où elles sont vendues à un prix
dérisoire. Par contre, faute d’une infrastructure de
conservation alimentaire, les deux tiers de la récolte
pourrissent sur place; il ne reste plus rien deux mois
plus tard.»
Lors du référendum de septembre 1958, la
Guinée-Conakry est le seul pays d’Afrique francophone à rejeter la proposition du gouvernement
français concernant l’intégration des colonies
de l’Afrique-Occidentale Française (AOF)
au sein d’une Communauté française, ce qui
entraîne une rupture immédiate des relations avec la France. Les Français partent,
laissant derrière eux un chaos économique et
politique. A ce jour, Gerard Delacroix décrit
la Guinée-Conakry comme un pays dénué
d’infrastructure industrielle, routière et touristique. Le peuple semble pourtant volontaire
et travailleur: «Quand un appareil tombe en
panne, les gens le réparent courageusement
avec les moyens techniques restreints dont
ils disposent. La Guinée-Conakry sollicite
aujourd’hui une collaboration au développement, mais elle le fait dans l’intention de devenir autonome à terme. Si les richesses minières
du pays sont accaparées entre-temps par des
multinationales, l’industrie alimentaire et le
tourisme offrent eux des possibilités énormes.»
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Il y a des
élections en
Guinée l’année
prochaine. Si le
pays s’en trouve
déstabilisé,
nous devrons
peut-être mettre
nos projets en
suspens.
Rompre une lance pour le Fouta-Djalon
«J’ai rencontré une ONG guinéenne qui s’attache à la promotion
du Fouta-Djalon, une des régions les plus pauvres du pays. Le directeur de l’ONG − député à l’assemblée nationale guinéenne et
originaire du Fouta-Djalon − a attiré mon attention sur le besoin
d’un développement global de sa région natale, en dehors de l’aide
médicale que nous entendions apporter. La mise sur pied de microunités de conservation alimentaire permettrait aux agriculteurs de
commercialiser leur récolte ne fût-ce que sur d’autres régions de la
Guinée. En plus, il faudrait apporter à la population un nouveau
savoir technologique, qui l’aiderait à ne plus seulement pouvoir
réparer ses vieux véhicules mécaniques, mais également à assurer l’entretien de toutes sortes de nouveaux outils électroniques
propres aux automobiles plus récentes ou encore, aux GSM de
seconde main envoyés pour recyclage depuis nos contrées. Egalement au cahier des charges, le développement de l’infrastructure
médicale et touristique. L’état du réseau routier local est tel qu’on
consacre une journée à parcourir en camion les 200 kilomètres qui
séparent le Fouta-Djalon du Sénégal tout proche.»
Industrie et tourisme
«Nous avons donc décidé avec Mediraid d’aller au-delà de nos
activités d’origine», poursuit le docteur Delacroix. «J’ai éclairé
ma lanterne à gauche et à droite et jusque-là, les réactions sont
encourageantes. Un de mes contacts se fait fort de pouvoir trouver gratuitement une dizaine de micro-usines de conservation,
glanées çà et là dans plusieurs pays d’Afrique du Nord. J’ai aussi
approché la ville de Namur, qui offre à ses jeunes citoyens des
voyages d’exploration au Sénégal. Pourquoi ne pas mettre le
cap sur la Guinée, où les participants obtiendraient une vision
beaucoup plus authentique de la vie au quotidien? Autre piste,
des randonnées à moto dans le Fouta-Djalon, pour lesquelles le
logement et la restauration seraient assurés par la population
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locale. Cette initiative mettrait du beurre dans les épinards des
Guinéens, mais ouvrirait surtout la voie aux échanges culturels.
Ce serait un premier pas vers la promotion touristique du FoutaDjalon.»
«En novembre prochain, nous allons entamer nos interventions
par la distribution de lunettes. Nous disposons d’un cabinet
ophtalmologique ambulatoire et de l’aide de deux opticiens pour
ajuster les verres. Notre parcours, comprenant huit villages, est
déjà fixé et dispose de tous les appuis de l’autorité nationale et des
structures locales tant médicales que politiques.»
Qui vivra verra
Nul ne peut prédire l’aboutissement des histoires d’amour.
Certaines durent à vie, d’autres s’essoufflent plus précocement,
sous l’effet de violentes tempêtes ou de non-dits dégrisés.
Gérard Delacroix envisage toutes les éventualités: «Il y a des
élections en Guinée l’année prochaine. Si le pays s’en trouve déstabilisé, nous devrons peut-être mettre nos projets en suspens. Il
est possible aussi que des enjeux économiques comme le tourisme
gâchent la belle mentalité qui prévaut actuellement au sein de la
population guinéenne. Mais pour l’instant, c’est bien la mise en
chantier de notre programme de développement qui m’empêche
de dormir…»
S
i vous avez un commentaire, une remarque, une idée
de développement, une opportunité de récupération de
médicaments (limite de péremption par respect pour
les populations locales) ou de matériel, ou si vous voulez
simplement suivre l’évolution de ce projet, vous trouverez à
votre disposition le site www.mediraid.be.
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