16 JAN 14 Hebdomadaire OJD : 202744 18 RUE BARBES 92128 MONTROUGE CEDEX - 01 74 31 60 60 Surface approx. (cm²) : 1059 N° de page : 34-36 Page 1/3 récit Comment rapprocher les citoyens de la justice ? Vaincre leur méfiance à l'égard d'une institution qu'ils estiment complexe et inefficace ? Sans attendre la future réforme, les avocats du barreau de Paris s'efforcent d'expliquer,de rassurer, lors de consultations gratuites qu'ils dispensent. ..dans un bus ! Notre reporter a assisté à la permanence de Carole Painblanc. Avocate pour vous servir ! PAR ISABELLE MARCHAND PHOTOS SIMON LAMBERT/KAIROS J E NE SAIS par quel bout commencer ' » Une femme d'une cinquantaine d'années, jupe droite, veste noire de qualité, s'assoit lourdement face à l'avocate Carole Painblanc, 34 ans, une brune au visage rond. La visiteuse a longtemps hésité avant de monter dans le bus « Barreau de Paris Solidarité », garé avenue de la Porte-de-Montmartre, à Paris, entre les maréchaux et le boulevard périphérique. Le chauffage ronronne. Les banquettes de ce grand car de tourisme ont été retournées, formant trois « box de consultation » séparés par des rideaux de velours rouge. L'avocate tire le rideau de son box. Les lumières de la ville clignotent à travers la vitre qui se couvre de buée. Carole Painblanc me présente : « Madame est journaliste. Êtes-vous d'accord pour qu'elle assiste à notre entretien ? Cette consultation restera anonyme. » - « Je n'y vois pas d'inconvénient », murmure la femme qui résume son histoire, la gorge nouée. À la suite d'une mutation professionnelle, elle a laissé son mari et ses deux aînées à Toulouse pour venir travailler à Paris, emmenant avec elle la dernière de leurs trois filles. «Il y a trois semaines, ajoute-t-elle en sortant un papier de son sac, j'ai reçu cette requête de divorce du tribunal de Toulouse. » - « Quelle est votre question ? » s'enquiert l'avocate. « Je n'ai pas demande ce BATONNIER2 6738098300507/XSB/MBM/2 L'auteure Isabelle Marchand est journaliste à Pèlerin Elle se passionne pour les récits dévie divorce, articule la femme dans un sanglot. Doisje me rendre à l'audience ?» - « Vous ne pourrez pas vous opposer au divorce. Il est prononcé automatiquement au bout de deux ans de séparation. Il va falloir vous défendre. » Son interlocutrice tombe des nues. L'avocate a peu de temps pour l'informer. Elle lui explique que les audiences se dérouleront forcément à Toulouse et lui suggère de choisir un avocat local spécialisé en droit de la famille, dont elle trouvera les coordonnées dans l'annuaire du barreau « Votre présence est obligatoire à l'audience de conciliation, ajoute Carole Painblanc. Le juge fixera un lieu de vie provisoire pour vos enfants. Elle insiste : Vous devrez vous présenter devant le juge ' » Son interlocutrice est en plein désarroi. L'avocate tente une diversion . « Elle est heureuse, votre petite, de vivre avec vous ? » La réponse est à peine audible : «Elle est malheureuse de ne pas vivre avec ses sœurs. » - « II est normal que vos deux aînées n'aient pas voulu quitter leurs copines ! la rassure Carole. Demandez le renvoi de votre affaire pour organiser votre défense. » Dehors, dix personnes patientent devant le bus, sous des parapluies. Les entretiens ne doivent pas dépasser vingt minutes. L'avocate est obligée de conclure : « Le bus passe ici chaque semaine. Revenez si vous avez besoin d'aide. » - « Merci pour vos conseils maître ! » lance la femme à peine remise. N'ayez pas peur vous êtes dans votre droit Eléments de recherche : BARREAU DE PARIS : toutes citations 16 JAN 14 Hebdomadaire OJD : 202744 18 RUE BARBES 92128 MONTROUGE CEDEX - 01 74 31 60 60 Surface approx. (cm²) : 1059 N° de page : 34-36 Page 2/3 E L A SUIVANTE porte un foulard bleu clair encadrant un visage réservé. Aide à domicile, elle a perdu son travail après le décès de sa cliente. Le fils de la défunte refuse de lui payer ses indemnités de licenciement. « fl me dit : venez travailler chez moi, je vous paierai vos deux mois de préavis. » Carole fait la grimace. « Vous avez été licenciée par recommandé ? » - « Non, il m'a donné la lettre en main propre. » - « Alors votre licenciement n'est pas valable ! » « II a aussi menacé de me traîner en justice... » - « N'ayez pas peur, vous êtes dans votre droit ! » Carole déteste qu'on utilise la justice comme une arme. Elle s'empare d'une feuille blanche et écrit : « Je n'ai reçu que 700 €, ce qui ne correspond pas au montant que je dois percevoir. Je vous remercie de m'adresser mes arriérés car cela me met dans une situation financière délicate. » Carole lui tend son stylo : « Signez. Avec ce courrier, que vous enverrez en recommandé, j'établis le préjudice. C'est sur cette base que vous pourrez vous défendre. Gardezen une photocopie. » La femme repart, soulagée. BATONNIER2 6738098300507/XSB/MBM/2 «On a tous droit au droit»: tel est le credo des avocats bénévoles (en haut, Carole Painblanc) qui conseillent et rassurent les justiciables dans le bus de la solidarité. Eléments de recherche : BARREAU DE PARIS : toutes citations NTRENT DEUX JEUNES GENS Strictement vêtus. Ils sont frère et sœur. « Je ne sais pas si mon affaire est du domaine juridique, lance lejeune homme très énervé. Nous devons faire face à beaucoup de mauvaise foi ! » L'un et l'autre ont acheté un appartement sur plan. Lui a demande quèlques aménagements avant construction, mais a refusé le devis « exorbitant » du constructeur. « 2000 € pour un changement de prise, vous vous rendez compte ? » Six mois après, l'entreprise a quand même réalisé les travaux demandes et lui a présente une facture qu'il a refusé de payer. « Je vous ai apporté tous les mails », dit le jeune homme. Carole constate qu'en fin de compte, le promoteur a renoncé à lui réclamer un surcoût. Il a envoyé un protocole d'accord au jeune homme que celui-ci ne veut pas non plus signer. « C'est déjà très bien d'avoir obtenu la gratuite. Que voulez-vous de plus ? » interroge Carole. « Ils m'ont traité de menteur ! Je veux une lettre d'excuses. » La justice n'est pas faite pour soigner les blessures d'amour-propre. Carole va devoir le lui faire comprendre : « Les mails de cette entreprise ont sûrement été relus par son service juridique. Je doute que l'on y trouve une faille. Et, quoi qu'il en soit, un mauvais accord vaut mieux qu'un bon procès. » - « Et si ma cuisine ne fonctionne pas ? Je ne pourrais plus les attaquer !» - « Mais si, bien sûr !» - « Bon, alors je signe. Merci pour vos conseils, maître ! » Carole pousse un soupir de fatigue. Elle a reçu dix personnes en trois heures. Elle me donne rendez-vous pour sa prochaine permanence, dans quinze jours. Le bus sera garé place de la République. L 'HOMME REGARDE CAROLE droit dans les yeux : « Mon frère habitait avec ma mère une maison en Charente-Maritime. Depuis le décès de maman, il y a trois ans, il me verse 350 € par mois d'indemnité d'occupation. Je veux vendre la maison, mais il n'est pas d'accord. » Carole répond en technicienne : « La sortie de l'indivision est de droit. Prenez un avocat. Votre frère et vous devrez produire chacun une évaluation de la maison. Vous la vendrez et partagerez la somme. » Comme souvent dans les affaires de famille, l'homme rechigne à traîner son frère en justice. « II ne répond pas à mes lettres recommandées, argue-t-il, et puis, je travaille à mi-temps, j'ai peu de revenus... » L'avocate balaye ses réticences : « Le premier rendez-vous avec un avocat est généralement gratuit. Ensuite, il rédigera pour vous une assignation en sortie d'indivision. Vous verrez bien i 16 JAN 14 Hebdomadaire OJD : 202744 18 RUE BARBES 92128 MONTROUGE CEDEX - 01 74 31 60 60 Surface approx. (cm²) : 1059 N° de page : 34-36 Page 3/3 Si vous recomiaissez l'enfant vous pourrez le voir grandir... si votre frère réagit. Cette démarche permet souvent d'obtenir un accord amiable. » Carole a touché juste. « Merci, vous avez répondu à mes questions. » U NE FEMME ÉLÉGANTE au teint noir profond, dont la doudoune rouge serre un ventre arrondi, s'installe avec autorité dans le box. « Je suis enceinte de sept mois. Le père ne veut pas reconnaître l'enfant. » - « Pour cela, il faut d'abord qu'il naisse, cet enfant ! Racontez-moi. » - « Nous travaillons ensemble, dit-elle en se tordant les doigts, mais nous ne sommes pas vraiment en couple, chacun garde son chez-soi. Au début, il a été très présent et, brusquement, il a changé d'avis. » - « Vous avez besoin de preuves écrites ou bien d'un faisceau d'indices, comme, par exemple, des attestations de votre entourage, ou un mail. » - « Mais nous ne communiquons que par texto !» - « Faitesles constater par huissier. Mais c'est un service payant. » - « Et si je provoquais une rencontre et que je l'enregistre ?» - « Cela n'a pas la même valeur... Vous pourriez lui demander par mail pourquoi il ne veut pas reconnaître l'enfant, suggère l'avocate. Il vous répondrait alors par écrit. » II ne suffit pas d'être dans son bon droit pour gagner un procès. Encore faut-il constituer un dossier solide. « Après la naissance, vous aurez jusqu'à la majorité de l'enfant pour lancer la procëdure. Le juge ordonnera un test d'ADN. Si le père refuse de s'y soumettre, cela voudra dire implicitement qu'il est le père ! » La future maman est déjà loin quand un Cinq fois par semaine. Moussa, le chauffeur, gare le bus aux portes de la capitale. Repères À Pans, le bus « Barreau de Paris Solidarité » offre des consultations gratuites de 17 heures à 20 heures, un soir par semaine, dans cinq « secteurs de précarité » aux portes de la capitale L'opération, lancée en 2003 en partenariat avec l'association Droit d'urgence, a permis de conseiller 4556 personnes en 2012 BATONNIER2 6738098300507/XSB/MBM/2 Renseignements sur toutes les consultations gratuites. www avocatpans org/ acces-au-droit-et-a-la-justice En province, les conseils départementaux d'accès au droit en organisent aussi Renseignements www annuaires justice gouv fr Cliquer sur «Trouver une permanence juridique» trentenaire en blouson de cuir orné de pin's, casquette fichée sur le haut du crâne, s'assoit tout essoufflé en face de Carole. « Alors, euh, j'ai besoin d'un conseil. » Carole ferme le rideau rouge. « Je vous écoute. » - « J'ai connu une fille, elle est tombée enceinte, l'enfant est né. Elle souhaite que je le reconnaisse. Dois-je le faire spontanément ou attendre qu'elle lance une procédure ?» - « Vous êtes sûr d'être le père ? » II ricane : « Aucun doute. » - « Reconnaissez l'enfant sans attendre. Si la mère lance une action aux fins de subsides, le juge vous sanctionnera et vous obligera à contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Et vous ne bénéficierez d'aucun droit. » - «Alors, il vaut mieux que je reconnaisse l'enfant ?» - « Vous ne pourrez pas échapper à cette filiation. Mieux vaut vous présenter devant le juge en disant : "Je n'ai pas choisi, mais j'assume !" » II tripote ses pin's, frotte son collier de barbe, l'air sceptique. Carole a vingt minutes pour lui faire prendre conscience de ses responsabilités auxquelles la génétique ne lui permettra pas d'échapper. Elle plaide : « Si vous reconnaissez l'enfant, la mère sera obligée de vous associer aux décisions importantes. Vous aurez le droit de le recevoir chez vous. Vous pourrez le voir grandir, sourire... » Ces mots le touchent. Il se lève, remercie. Mission accomplie. Avant de passer au suivant, Carole regarde sa montre, sort un paquet de cigarettes et lance : « Allez, je m'accorde une petite pause ! » • Eléments de recherche : BARREAU DE PARIS : toutes citations
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