Allocution de Monsieur Mounir HONEIN Mesdames, Messieurs

Allocution
de Monsieur Mounir HONEIN∗
Mesdames, Messieurs,
Avant de donner la parole aux distingués conférenciers, j’aimerais saisir cette occasion
pour adresser un hommage à la mémoire du juriste libanais Sélim BAZ. J’estime en
effet - et les organisateurs du présent colloque sont d’accord avec moi - que cette
manifestation serait incomplète si elle n’était pas accompagnée d’un tel hommage.
Sélim Rustom Baz, mort en 1920, a été un juriste exceptionnel qui a pratiqué
admirablement le dialogue des cultures juridiques selon les normes de son temps.
C’est d’ailleurs un peu sous ses auspices que ce colloque devrait en fait se dérouler,
puisque nous évoquons constamment, entre autres, les principes généraux de la
Medjellé, le Code civil ottoman, auquel son nom est associé.
Ce n’est d’ailleurs pas sans une émotion personnelle que je m’acquitte de cette tâche
puisqu’un lien de parenté me lie à Sélim BAZ et que nous sommes tous les deux de
Deir El- Kamar, cette ville qui fut cosmopolite, et qui continue à pratiquer, elle aussi, le
dialogue des cultures, puisqu’elle abrite, parmi ses palais séculaires, un centre culturel
français.
Sélim BAZ est né le 5 juin 1859. Il a fait ses premières études chez les Pères Jésuites
à Ghazir, où il a appris, entre autres, l’arabe et le français. Son père l’a envoyé ensuite
à l’école du couvent de Aïn Waraka où il a pu approfondir ses connaissances en
littérature arabe. Cette formation de base lui a permis de faire des études de droit
auprès de l’évêque Youhanna HABIB qui, semble-t-il, lui a délivré son diplôme. Puis,
pendant vingt et un an, Sélim BAZ, a fait une brillante carrière dans la magistrature,
carrière au cours de laquelle, parallèlement à ses fonctions, il a entrepris la publication
de plusieurs ouvrages, notamment les commentaires des Codes ottomans de
procédure pénale et de procédure civile, ainsi que celui du Code pénal. Mais son
ouvrage le plus célèbre a été le commentaire de la Medjellé, ce code de 1850 articles
promulgué en 1869 par la Sublime Porte, dont les fameux 99 principes ou règles
générales, commentés dans ce colloque, constituent l’introduction. Les deux premières
éditions de l’ouvrage ont reçu un très grand succès dans tous les pays du MoyenOrient. Il répondait en fait à un grand besoin des juristes de la région. Mais l’auteur ne
s’est pas laissé grisé par ce succès commercial. Ayant entre-temps amélioré sa
connaissance de la langue turque, il s’est rendu compte que la traduction arabe sur
laquelle il avait travaillé était médiocre. Aussi, a-t-il procédé lui-même à une nouvelle
traduction en refondant en même temps ses commentaires et en les enrichissant. Ceci
lui a valu une lettre de félicitations du Ministre ottoman de la Justice et des Cultes et sa
nomination dans la commission chargée de la refonte de la Medjellé. Exemple
admirable d’acculturation, valable à toute époque, voilà ce que Sélim BAZ représente
pour nous. Acculturation, mais non soumission, puisque Sélim BAZ sera exilé par les
Ottomans, au cours de la première guerre mondiale, de son pays natal vers la province
d’Ankara.
∗
Premier Président de la Cour de cassation libanaise.
Pour compléter cette biographie sommaire de Sélim BAZ, il serait intéressant de lire
quelques passages de Fouad AMMOUN, ancien Ministre libanais des Affaires
Etrangères, Vice-Président de la Cour Internationale de Justice à La Haye.
« Sélim Baz, un nom prestigieux dont les Libanais et les juristes de toutes
nationalités peuvent être fiers.
Le Liban, depuis l’Antiquité jusqu’aux temps modernes, a donné le jour à
nombre de grands qui ont brillé dans tous les domaines de l’esprit : lettres,
histoire, sciences pures, sciences sociales, philosophie, droit.
Sélim BAZ est, en bonne place, au nombre de ceux qui sont distingués dans la
science et la philosophie du droit.
C’est d’ailleurs l’un des domaines où le Liban s’est le plus illustré, depuis les
grands jurisconsultes phénico-romains, Papinien et Ulpien, en passant par un
autre haut sommet de la connaissance, l’Imama el-Ouzai, jusqu’au fils du Liban
moderne, Sélim BAZ.
Un caractère qui leur est commun à tous les quatre, est le caractère
d’Universalité qu’a revêtu la pensée juridique telle qu’exprimée par chacun
d’eux.
Le Liban constituait, en ce temps-là, un Etat quasi indépendant au regard de
l’Empire ottoman. L’action des juristes libanais était, par suite, condamnée à
s’arrêter aux frontières du pays. Néanmoins, la pensée juridique de Sélim BAZ,
grâce à son caractère d’universalité, prenant son essor de sa petite ville natale,
Deir-el-Kamar, s’envola par-dessus les frontières libanaises pour être accueillie
dans l’ensemble de l’Empire ottoman, de l’océan Indien à l’océan Atlantique. Tel
avait été le sort de la pensée d’Ulpien, qui de sa ville natale, Tyr, s’élança à la
conquête du vaste Empire romain, et, à la chute de Rome, était recueillie par
l’Empire de Byzance, lequel léguait ensuite de cet ancêtre libanais au monde
actuel.
Sélim BAZ, était ainsi reçu à Constantinople, héritière de Byzance, avec les plus
grands égards : à son arrivée, nommé Conseiller d’Etat de l’Empire ottoman,
tous les hauts magistrats sortaient pour le recevoir et lui rendre hommage.
Qu’était en effet son œuvre ? Le Maronite de la Montagne libanaise avait étendu
son savoir juridique, au-delà des lois usuelles, à l’ensemble du droit de l’Islam.
L’interprétant et l’expliquant
en des termes
dignes des plus grands
jurisconsultes.
Sa science, condensée en des phrases d’une frappe impeccable, dans son
revêtait une autorité telle auprès
œuvre capitale « Charh el Majallat »
des hommes de loi, que son interprétation d’un texte s’imposait à l’avocat et au
juge avec la force d’un arrêt de la juridiction suprême.
Pour ma part, j’ai eu plus d’une fois l’occasion de citer, à l’appui de mon opinion,
à la Cour Internationale de Justice de la Haye, certains des cent principes
généraux de droit tels qu’expliqués par celui dont je m’honore d’être le
compatriote ».
Fin de citation
Monsieur Jean-Pierre GRIDEL, conseiller à la Cour de cassation française, va nous
entretenir du rôle de la Cour de cassation française dans l’élaboration et la
consécration des principes généraux du droit privé. Monsieur GRIDEL, vous avez
la parole