Il y a 50 ans, la bataille de Dikanda-Ka[...] - sankuru

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LODJA (SANKURU, RDC) : IL Y A 50 ANS, LA
BATAILLE DE DIKANDA-KATE
Par Lambert OPULA.
Du 7 octobre 1964 au 7 octobre 2014, il y aura 50 ans
depuis l’événement tragique qui est entré dans la mémoire
collective des Atetela sous l’appellation de «La bataille
de Dikanda-Kate» dans la banlieue de la Ville de Lodja au
Sankuru (RD.Congo).
En réalité cet événement avait pour scène un ancien site du Village
Dikanda-Kapola, proche de celui de Dikanda-Kate. Ce lieu se situe à
environ 6 km du Village Oyomba, soit à 16 km du centre-ville de Lodja sur
la route reliant Lodja à Bena-Dibele,
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Nous nous sommes arrêtés un moment sur cet événement
parce qu’il avait marqué les esprits de tout notre peuple
pendant au moins deux décennies. Les chansonniers
Atetela l’ont immortalisé au moyen d’un titre:
très
évocateur «Lo totokotoko ta la Dikanda-Kate lak’Oyomba»
(dans le palmeraie de Dikanda-Kate, près du village
Oyomba).
Nous avons questionné les faits, pour ressortir les
processus répétitifs à travers le Sankuru, en temps de
conflit au Congo, avant de reconnaître la symbolique de
Dikanda-Kate dans notre histoire en tant que groupe se
voulant identitaire.
Août 1964 : le Sankuru bascule en République
Populaire du Congo avec comme capitale Stanleyville
Depuis le 8 août 1964, la chute de Lodja aux mains des
rebelles Simba, consacrait le basculement du District du
Sankuru à la juridiction de fait de la République Populaire
du Congo, proclamée à Stanleyville (Kisangani) par les
insurgés lumumbistes, sous la direction de Christophe
Gbenye et de Gaston Soumialot.
A leur arrivée au Sankuru, les Mulelistes, comme on les
appelait alors (un peu par erreur), étaient accueillis en
libérateurs venus soustraire le Congo des mains des
dirigeants pro-impérialistes de Léopoldville. La naissance
du Congo.populaire apparaissait, en fait, comme une
riposte des combattants nationalistes contre les forces
réactionnaires qui s'étaient emparé du pouvoir indûment,
en renversant par voie d'intrigue la majorité démocratique
issue des premières élections générales d'avril 1960. Au
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Sankuru, depuis 1961, une nouvelle expression était en
vogue : Otetela : «Evudu Shakote lakatembaka ngomo ko
akina wotahome». Après l’écrasement du libérateur du
Congo, son clan n’est-il pas tenu systématiquement à
l’écart de la gestion du pays?
La petite histoire de la tortue1 : Quand un prestigieux tam-tam du village
avait été pris en otage dans une ruche par les abeilles. Se fiant sur sa
carapace dure, la tortue parvint à défier les abeilles en pénétrant dans la
ruche pour ramener le merveilleux instrument de musique aux animaux. Mais,
hélas, aussitôt que ceux-ci retrouvèrent l’objet saisi, tout le règne animal
s’avisa de l’urgence d’éliminer la tortue. Elle fit tragiquement écrasée et depuis
lors le tam-tam retentit chaque soir dans la forêt, à la plus grande joie du
règne des usurpateurs, mais, bien loin des fils et des petits-fils de l’infortunée.
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Vous voudriez bien noter que ce récit reconstitue les faits, néanmoins, 80% des images sont constituées des
documents étrangers à l’événements, qui ont été choisis dans le but de donner une illustration la plus proche possible
de la réalité.
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Ceci explique pourquoi, une délégation constituée de
plusieurs notables du Sankuru, était partie secrètement à
la rencontre des Mulelistes, aussitôt que ceux-ci avaient
pris la ville de Kindu dans le District de Maniema. N’est-ce
pas pour les Atetela l’occasion tant rêvée pour venger la
mort de Patrice Lumumba?
Chère Pauline,
À mes enfants que laisse, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est meilleur
À la rencontre de Kindu, pour éviter des combats
sanglants dans la contrée du libérateur du Congo et chef
historique des Nationalistes congolais, les notables
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Anamongo avaient présenté leur offre de collaboration aux
forces révolutionnaires qui arrivaient.
Par la suite et en conséquence,
les villes du Sankuru tombèrent
l'une après l'autre sans combat.
Les camions des soldats ANC,
sous
commandement
de
l'Adjudant-chef
Kabeya, évacuèrent
leurs
positions en débandade. Des camions qui roulaient en
vive allure vers la sortie de Bena-Dibele, laissant tomber
même des enfants de haut des carrosseries
excessivement chargées.
Puis un divorce entre le peuple et se ''libérateurs''
Hélas, la cohabitation entre les ''Mulelistes'' et les
Anamongo ne se passa pas comme promis. Dans l’aprèsmidi du 8 août 1964, le jour même de leur arrivée à Lodja,
les combattants Simba arrêtèrent tous ceux dont la
fonction leur rappelait l’autorité de l’État.: soldats (même
des anciens combattants), policiers,
clercs et commis de l'État, chefs
coutumiers et intellectuels. Même un
finaliste du secondaire apparaissait
ipso-facto
comme
un
allié
de
l'impérialisme.
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Suivant la consigne de leur hiérarchie, les forces insurgées
se livrèrent à l'élimination systématique de tous les
symboles du pouvoir et de la modernité au Sankuru. En
fait, les premières exécutions publiques de «prisonniers»
eurent lieu devant l’hôpital général le 11 août 1964. Elles
vont s’accélérer après l’arrivée du major Alphonse Ndjadi,
Commandant de l’Armée populaire de libération (APL), le
12 août. Ce dernier installa un certain Lubandji, connu
sous le sobriquet de Pierre Munanda, comme
Commandant APL-Lodja, avant son départ pour Lusambo.
L’espace vert qui sépare l’hôpital général et la route qui
conduit au bureau de Territoire devint dès lors le lieu
d’exécutions quotidiennes de ces simples agents de l'État
confondus aux alliés de l'impérialisme étaient
régulièrement organisées. La chanson cérémoniale en
disait long : «''Onone la pendju kayotodiakaa, la pendju
matekaaaa'',
commissaire,
la
pendju
matekaaaa.....Dokotele, la pendju matekaaaa'',…..»
Suivait chaque fois des discours-programmes de la guerre
par le Commandant Pierre Munanda : ''Kasavubu, ata
akeyi na Poto, azali kaka mateka (entendez : condamné à
mort), Tshombe,...Kalonji,...Colonel Mobutu,...
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Le discours était dans la ligne de nos convictions, mais le
sang des innoncent versé abondamment suscitait de
l'inquiétude.
Des cas de jugement populaire furent courants, tel est ce
père de famille qui fut forcé de coucher avec sa propre fille
à la suite d’une accusation pour adultère..
Au fur des jours, des expéditions punitives se multiplièrent
contre des paysans qui osaient défier les conquérants de
quelque manière que se soit. Dans la plupart des cas, de
tels villages furent entièrement incendiés.
Les Atetela furent donc placés devant un dilemme, d'un
côté l'attachement en la mémoire de Patrice Lumumba, de
l'autre les sévisses imposées au peuple par les insurgés
pourtant lumumbistes. Ainsi, dès fin septembre 1964, la
majeure partie du peuple était extenuée et souhaitait, oh
comble de dilemme!...., le retour de l'ordre pro-impérialiste
contesté.
Les consignes magiques furent-elles respectées ?
Les miliciens mulélistes étaient soumis à une discipline
rigoureuse
comme
condition
pour préserver
l'invulnérabilité aux balles de l'ennemi. Grâce à la drogue
locale (Bangi) et aux fétiches fabriqués par Maman
Onema, les jeunes miliciens ne se préoccupaient pas des
menaces d'une contre-offensive de l'Armée nationale
congolaise (ANC).
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À gauche, Maman Onema, la féticheuse
combattants Simba, à droite, un insurgé Simba.
des
Cependant, alors que les toutes les villes du Sankuru
étaient tombées sans combat, ce qui renforça la croyance
sur l'invulnérabilité des rebelles aux balles, dès les
premiers accrochages sérieux avec l'ennemi, les colonnes
insurgées laissèrent plusieurs corps sur le sol.
A Kole : les Ahindo stoppent l'avance des insurgés
Contrairement à ce qui se passa à Katako-Kombe, à
Lubefu, à Lomela et à Lodja, les Kolois ont vite fait de se
méfier de l'avance des Mulelistes. Les premières
batailles sérieuses que vont devoir livrer les insurgés vont
les opposer à un véritable bataillon des Kolois armées des
lances et des flèches empoisonnées. Face à cette
population déjà informée des atrocités subies par leurs
frères dans les villes précitées, Kole refuse l'argument de
la révolution lumumbiste. Pour la première fois depuis le
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déclenchement de la rébellion à la frontière orientale du
Congo, les Mulelistes vont battre en retraite et Kole aura
sonné le glas de l'avance des ''forces révolutionnaires''.
Onema Otutu devient le front avancé des forces
insurgées
Onema Ototo est le nom d'un village qui constitue en lui
seul un Groupement. Il abrite une mission catholique,
la paroisse Saint-Désiré. Il abrite aussi le petit-séminaire
Saint-Gabriel. Mais on n'oubliera pas que, Onema Ototo
est le chef-lieu de la Collectivité-Chefferie des Olemba-aNgando.
Petit- Séminaire, à la paroisse Saint Gabriel d’Onema Ototo, à moins de 6 km du campement des insurgés
C'est ici que sont venues camper les forces insurgées qui
ont battu en retraite depuis la Bataille de Kole. Les
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installations du chef-lieu servaient de camp pour les
miliciens. Cependant, ce camp est établi en haut d'un flanc
de colline d'où on voit jusqu'à une dizaine des kilomètres
la piste routière en provenance de Bena-Dibele. A l'opposé
du camp d'Onema Otutu, on aperçoit au loin le flanc
opposé qui se perd autour du village d'Otshumba Keto.
Entre les deux, il y a une vallée dont le fond est
entièrement observable à parti d'Onema Otutu.
Attention : une colonne des camions arrive de
Luluabourg!....
En mi-journée de ce jour de mi-octobre 1964, une colonne
de camions surgit du haut de l'autre flanc de colline. En ce
moment où le trafic est coupé depuis deux mois avec
Luluabourg, ces camions-là, n'augure rien de bon pour les
Simba. Ça ne peut être que les camions de soldats de
l'Armée nationale congolaise (ANC) de Mobutu. L’ennemi
arrive donc. Il faut filer avant qu'il ne s'approche.
Sur ces pistes à terre, il fallait au
moins trente minutes à la colonne
de l'ANC pour atteindre le camp
d'Onema Otutu. Tous les insurgés
ont eu suffisamment de temps
pour se déferler le long des chemins ruraux à travers la
Collectivité voisine de Kondo-Tshumbi. L'ANC ne trouvera
donc qu'un campement vide à Otutu.
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Un crime qui ne sera jamais oublié :
Lorsque les miliciens vident le camp, Mfumu Mbudi, le
Grand chef de Groupement Onema Otutu visite ses sujets
à l'autre bout du village. En ce moment de turbilance
révolutionnaire, plusieurs chefs coutumiers ont été abattus
ou se cachent.Malgré son grand âge, Il fallait que MbudiOtutu porte un signe d'allégeance à la révolution pour être
épargné par les Mulelistes. Ainsi, portait-il un brassard en
peau de Léopard dans son avant-bras gauche. Les
Mulelistes eux-mêmes arboraient souvent ce type
d'insigne, surtout lorsqu'ils étaient haut placés dans la
hiérarchie.
Le Grand chef revenait à sa résidence après la tournée au
village lorsqu'il croise une colonne armée. Mais, son grand
âge ne reconnaît pas une force opposée aux Mulelistes.
On racontait aussi qu'il avait pris un petit verre lui offert
gracieusement par ses sujets.
A la question de savoir qui il était, le Grand chef répondit
qu'il était le Mfumu Mbudi-Otutu, le chef dont la terre
héberge leur camp. Cela avait suffit. L'héritier des
traditions de tous les clans d'Otutu, dont nous avons
personnellement vu combien son peuple l'adulait, a été
abattu froidement sur la route (de Bena-Dibele), à
quelques mètres de chez-lui. C'est alors l'émoi dans tous
les sept lignages historiques des Olemba-a-Ngando : à
Kfumu comme à Nganga, à Yonge comme à Hangata, à
Oyomba comme à Ponda, la mort de Mfumu-Mbudi a été
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resentie comme si tout le monde avait vécu l'événement
sur place même parmi les clans d'Onema Otutu.
C'était la re-édition de la tragédie qui s'est produite un
mois plu tôt, lorsque le Grand chef Okito Anyeke de la
Collectivité-chefferie de Kondo-Tshumbi a été exécuté par
les insurgiés avec un de ses collaborateurs, le chef
Okitaloma du Groupement Hiandja, devant ses propres
sujets en pleur.
Dans l’imaginaire collectif des Atetela, les chefs coutumiers sont des intermédiaires entre les vivants et les morts. Ainsi, on
ne touche pas à eux sans subir, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, la colère des ancêtres, exécutée par les dieux.
Joseph-ona-Mfumu-Mbudi jure de venger son père
En ces temps-là, Joseph conduisait l'unique camion de la
Mission catholique. Le père Gustave Ley, curé de la
paroisse avait pris soin de se retirer avec le Frère Eugène
(Lokondo) en Europe pour faire passer l'orage. Homme de
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confiance du curé, c'est Joseph qui reçoit la garde de la
clé de contact.
Un des bâtiments connexes à la paroisse Saint-Gabriel d’Onema Ototo, ici à moins de deux km du campement des
insurgés, au chef-lieu de la collectivité des Olemba
Ayant appris la nouvelle de la mort violente de son père, il
courut à la Mission où il retira le camion pour prendre
un raccourci vers Lodja. Son objectif était d'aller prendre
un renfort des Mulelistes en vue de venir défaire les
troupes ANC qui ont assassiné son père.
La contre-attaque des Mulelistes
Au terme d'une course sur les 42 km qui séparent Onema
Otutu de la ville de Lodja, Joseph ona Mfumu Mbudi
informe le Commandant Munanda de l'arrivée des soldats
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ANC à Onema Otutu et de la défection des insurgés du
front avancé.
N'ayant plus de logistique, le Commandant Pierre
Munanda réquisitionne Joseph-ona-Mfumu avec son
camion pour opérer la contre-attaque.
Quarante éléments sont rapidement mobilisés, mais
l’ensemble du contingent n’avait que quatre fusils. Les
autres combattants se contentant de bâtons et des
machettes. Ils ont pris place à l'arrière du camion. Pour
exciter les combattants, un tambourineur était monté à
bord pour jouer tout au long la chanson-fétiche : ''Onone la
pendju kayotodiakaaaaa, commissaireeeee, la pendju
matekaaa''.
Le camion brillant dévale
la pente d'Okona-waleeta, passe devant les
installations
de
la
Colocoton-Lodja, traverse
la rivière Lukenye, le
quartier Fin-de-terme, la
Mission
Nganga,
le
Quartier Lokombe-Fataki,
le Village et la savane d'Oyomba.
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Le rythme du tam-tam excite davantage des combattants
convaincus de faire une promenade de santé grâce aux
fétiches supposés les rendre invulnérables aux balles des
soldats ANC.
Pourtant, l'ennemi n'a pas campé à Onema Ototo
La colonne des soldats ANC n'a pas tardé à Onema Ototo,
elle a plutôt progressé rapidement en direction de Lodja,
pour aller prendre position à environ 20 km de la ville, à
savoir sous des palmiers qui peuplent l'ancien site du
village Dikanda-Kate, là où se termine la savane
d'Oyomba. Tard dans la nuit, le contingent se choisit une
palmeraie de l’ancien village Dikanda-Kapola pour camper
de sa nuit. La flotte de camions dix-roues fut dissimulée
derrière les arbustes.
L'ennemi était
donc dans la
banlieue de
Lodja, alors
que
les
insurgés
croyaient aller
le surprendre
à
Onema
Ototo situé à
42 km de là.
Sous les palmiers : Un deuxième crime
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Tard à l'aurore, une vielle femme remontait de la rivière.
Elle suivait un chemin qui traverse la touffe des palmiers.
Les soldats ANC venaient d'y tendre une
embuscade ici contre les Mulelistes. Quand
la vieille femme atteignit le campement, elle
fut questionnée. «Toko dimi nyangenyu,
dimi nyango wa Mulele» (Je suis votre
mère, je suis la mère des Mulelistes).
L'erreur lui fut fatale. Elle fut abattue de
deux balles, une première à la tête, une autre à la hauteur
de la poitrine.
Sa mort précéda de peu la
grande tuerie de DikandaKate.
La bataille de DikandaKate : un des momentschocs de notre histoire
Voici ce que l'Adjudant-Chef mécanicien Mandefu
racontait à l'époque sur les instants fatidiques de DikandaKate :
La «mère des ''Mulela''» n'avait pas de chance. Même si
elle n'était pas «'leur mère», elle devait mourir parce
qu'elle a vu le lieu de l'embuscade contre l'ennemi. La
laisser partir, c'est donner à l'ennemi la possibilité de nous
dénicher et nous abattre. Compte tenu de ce que nous
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apprenions sur les Mulelistes, il fallait prendre toutes les
mesures de sécurité.
Dans les heures qui suivaient, nous prenions un repas
lorsque nous avons entendu les vrombissements d'un
camion en provenance du village Oyomba donc de Lodja.
En ce moment où il n' y a pas de circulation civile, cela
était un signal d'attaque. Sous les ordres de notre
Commandant, le Major Wetshi, nous avons rapidement
pris position le long de la route, là-même sous les palmiers
de Dikanda-Kate. Nous voyions les phares et pouvions
contrôler la progression du véhicule ennemi dans la
savane d'Oyomba. Mais nous avons attendu un peu
longtemps parce que la distance est longue (environ 5 km)
et il y a beaucoup de sables.
Les Mulelistes chantaient et dansaient au son du tam-tam
à l'intérieur d'une carrosserie couverte. Quand ils
s'approchaient,
nous
les
sentions fous de joie.
Aussitôt que le camion arriva à
notre
hauteur.
le
Major
Wetshi donna l'ordre de faire
feu. Nous avons commencé par
tirer un trombone en l'air pour
éclairer le ciel, ensuite nous avons tiré sur les roues pour
immobiliser le camion.
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Il y a eu un tollé des cris
de guerre à l'intérieur : ''Mulele
mayi''!...'Mayi
Mulelele!...'Mulele
Nous
continuions à tirer mais
dans un climat de peur,
pace que nous croyions
que ils étaient réellement
mayi!...Mulele
mayi'!...
invulnérables à nos balles.
Le Major étant présent sur le lieu, nous avons tout de
même pris du courage, d'autant plus que les Simba étaient
tous coincés à l'intérieur du camion. Nous nous
demandions finalement s'ils allaient sortir pour batailler
avec nous ou s'ils étaient morts tous.
À l'intérieur, tous les insurgés étaient morts
Au terme d'une fusillade qui dura près d'une heure, les
combattants mulelistes étaient tous morts à bord du
camion.
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Dans la cabine, Joseph ona Mfumu, un bel homme
d'environ trente ans à l'époque, avait trouvé la mort. Il
n'aura pas survécu un seul jour à un père dont il voulait
venger la mort. A ses côtés, le Commandant Pierre
Munanda qui avait tout juste ouvert la portière sans
parvenir à sauter. Il avait le corps transpercé de plusieurs
trous.
Trente-neuf corps furent ramassés sur place : deux dans
la cabine et trente-sept à l'intérieur de la carrosserie,
presque tous des Atetela et des Bakusu.
Une seule personne réussira à sauter de la carrosserie, il
avait pour nom Alengo-ona-Nyama, originaire du village
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Okako-a-Nyombe dans la collectivité Olemba. Ce frère
avait été cité dans des cas d'incendie de villages suite à
des altercations autour de l'alcool et d’autres problèmes
relationnels.
Alengo-ona-Nyama avait réussi à sauter du camion, mais
il n'avait pas eu plus de chance parce qu'il osa courir en
direction du village Kele, c'est-à-dire dans le sens des
balles de son ennemi. A environ cent mètres de la route, il
a été fauché et son corps fut retrouvé dans une fosse un
jour après. Cela porta à quarante-deux le total des
victimes de la Bataille de Dikanda-Kate.
Cette nuit-là!....
Les détonations des canons, le sifflement des balles et
la lumière des obus éclairants avaient créé la panique
dans la région : à la Cité de Lodja, à Fin-de-Terme et dans
tous les villages environnants des Olemba et de KondoTshumbi. De nombreuses familles s'engloutirent dans le
bois pour tenter d'échapper aux balles perdues. Des récits
rocambolesques de cette bataille circulèrent dans la
contrée. Il a fallu attendre les témoignages des acteurs
comme l'Adjudant-chef Mandefu pour rapprocher les
choses de la réalité.
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Une fosse commune
Quarante-deux corps des Simba furent jetés dans une
fosse commune creusée par des villageois sous les
palmiers de Dikanda-Kate. Le lieu devint, avec le temps,
un sanctuaire des jeunes à la recherche du pouvoir
magique.
A l'époque les jeunes brigands qui se faisaient
pompeusement appelés «Bills», étaient en mal de
démonstrations de leur force physique. Nombre d'entre
eux fréquentèrent ce lieu nuitamment pour aller y puiser la
''puissance magique''. Dents et autres os des victimes de
la bataille de Dikanda-Kate furent l’objet de quêtes
nocturnes pour les amateurs de la force physique brutale.
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Pour les communs de mortels, le passage, aux heures
tardives, devant le charnier de Dikanada-Kate constituait
une épreuve de courage. Toutes sortes d’histoires
d’apparitions et les cris mystérieux étaient racontées à
l’époque.
Des colonnes de soldats à pied, alternées avec des
camions de transport des troupes, Au matin du lendemain
des événements de Dikanda-Kate, le contingent de
l’Armée nationale congolaise se dirigea vers Lodja : très
tôt à l’aube, il couvrit la distance entre le champ
d’affrontement de la nuit précédente et le village-rue du
chef Oyomba, avant de traverser le faubourg de LokombeFataki.
Une fois au-delà du pont de la rivière Lokenye, la
progression de la colonne se ralentit.
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La prise de contrôle de ce qui était alors, le camp de la
gendarmerie, au croisement des routes de Bena-Dibele et
des usines de la Colocoton, exigea plus de prudence,
même si ses occupants avaient déjà vidé les lieux. Par la
suite, la prise des quartiers administratifs du centre-ville,
tout proche, constituait une priorité. Cependant, en
remontant avec un tronçon de la route principale,
communément appelée Okona wa Leeta, l’ennemi pouvait
les prendre en tenaille, en descendant, soit par la route de
l’Institut technique officiel, soit par un sentier qui relie le
village de Sombo à la route conduisant à la rivière Londa.
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La marche de la colonne se fit lente, face à la nécessité de
procéder progressivement au nettoyage des passés sous
leur contrôle.
En fin d’après-midi, le contrôle de la ville tomba totalement
aux mains des troupes du major Wetshi, de l’Armée
nationale congolaise. Il n’y a certes pas eu de combats
dans la ville, mais plusieurs corps en décomposition ont
été découverts à divers endroit dans le secteur
administratif de la ville.
Le 8 octobre, dans l’avant-midi, avion piloté par un
européen du nom de Svens, atterrit à l’aéroport de
Diengenga, aux fins de ravitaillement.
Aérogare de Diengenga, à Lodja, à l’époque de l’insurrection des Simba
Le pilote et ses deux assistants furent assiégés et abattus
par des éléments insurgés qui se cachaient dans la
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brousse. Appelés en rescousse, les éléments de l’ANC
arrivèrent sur le lieu après le retrait des assaillants. Les
corps de trois victimes furent enterrés dans un terrain
couvert de pelouse, qui s’étendait devant le bâtiment de ce
qui était alors le Cercle du Nord-Sankuru.
Notons que plus tard ce lieu devint un point de mire des
personnalités de la capitale, en visite au Sankuru, qui
venaient s’incliner devant les tombes de ces victimes de
l’insurrection. Nous avons vu, par exemple en 1965, le
général Bosango, chef d’État-major de l’ANC, et Monsieur
Sylvestre Mudingayi, alors président de la chambre des
représentants. Cependant, aucune victime congolaise ou
locale ne reçut pareil honneur. Est-ce pour cela qu’un
proverbe atetela dit : «Atokoyovoe ana w’Omoyi»?
Dikanda-Kate sonna le glas de l'ère Simba au Sankuru
Deux semaines après la Bataille de Dikanda-Kate, l'ANC
avait repris le contrôle de tout le Sankuru. Le Major Falo
(futur général) fut nommé Commissaire extra-ordinaire de
la province du Sankuru, en remplacement du Gouverneur
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Sombo Paul Marcel, avant l'organisation des élections qui
portèront Benoit Wetshindjadi au pouvoir au début de
1965. Le 24 novembre 1965, Mobutu s'empara du pouvoir
et fit jeter le Gouverneur Wetshindjadi en prison au terme
d'un contrôle financier. La province du Sankuru cessa son
existence en redevenant le District du même nom en 1966.
Au départ, ce District fut annexé à la province du Kasai
Occidentale avant d'être transféré au Kasai Orientale en
1967.
Quoi apprendre de cet épisode de notre histoire ?
L'élite politique sankuroise avait très vite cru aux vertus
révolutionnaires et lumumbistes des insurgés, pour
organiser leur entrée au Sankuru. Mais si cette
insurrection comptait certains cadres braves comme le
général Olenga et Laurent Désiré Kabila, elle avait aussi
en son sein des opportunistes comme Gaston Soumialot
et Christophe Gbenye.
Les
objectifs
révolutionnaires
prônés par les
stratèges
ont
été trahis par les
cadres des unités
opérationnelles et
l’insurrection
se
transforma en une
campagne
de
règlements des comptes, ce qui a causé beaucoup de tort
à la population. Le Sankuru a payé abondamment du
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sang de ses fils et du patrimoine de la contrée. Dans
l'avenir, il faudra un peu plus de prudence.
Un grand nombre des jeunes qui furent mobilisés servirent
de chair à canon pour les troupes sanguinaires d'une
Armée nationale congolaise, alors instrument au service
des forces pro-impérialistes.
Le Sankuru orphelin de Lumumba
a dû porter le deuil de ses enfants,
sans faire avancer la cause de la
révolution congolaise chère à
Patrice Lumumba. Nos élites ont
été dupes.
Sur le plan stratégique, le poids
psychologique de la garnison
militaire
de
Luluabourg
et
l'importance économique de MbujiMayi font qu'une agression du
territoire
congolais traverse
difficilement la rivière Sankuru vers
l'Est. Il devient une sorte de
tradition que toutes les guerres, depuis Ngongo Leteta,
échouent aux portes de Kole et Bena-Dibele.Ceci accule
notre terroir au rôle néfaste de ligne de front avancée de
toutes les agressions.
Quelles sont les lignes historiques du cadre géopolitique
national et régional qui ont toujours exploité la
géopolitique locale du Sankuru pour acculer notre terroir à
sa déconstruction?
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L'histoire du comportement géostratégique des armées et
des gouvernants congolais ayant montré que ceuxci compteront toujours sur la forteresse luluabourgeoise
pour verrouiller le col de Kwango et défendront de tous
leurs moyens l'eldorado mbuji-mayais au détriment d'un
espace rural mal pourvu et en déclin, quelle transformation
devrait être imprimée aux processus géopolitiques initiés
par les acteurs sankurois à l'heure de grande tension au
Congo?
Quoi qu'il en soit, Dikanda-Kate, en tant que fait, chainon
d'un processus, événement historiquement symbolique,
nous instruit. Dikanda-Kate nous invite à nous reformer, en
tant que fils du Sankuru, pour analyser en profondeur tout
projet de rupture de l’ordre en RDC, afin de choisir la
meilleure option, celle qui permette au peuple de survivre
en tant qu'entité non militairement et économiquement
stratégique et s’engager dans la voire du progrès. Nul ne
peut construire s'il ne survit. Aussi, nul ne viendrait
réfléchir avec perspicacité sur le destin que pourrait
réserver une situation particulière aux Sankurois, si ce
n’est que les fils et les filles du Sankuru. Réfléchir, c’est
aussi construire.
Dr Lambert Opula.
Montréal, Québec, Canada.