1 LODJA (SANKURU, RDC) : IL Y A 50 ANS, LA BATAILLE DE DIKANDA-KATE Par Lambert OPULA. Du 7 octobre 1964 au 7 octobre 2014, il y aura 50 ans depuis l’événement tragique qui est entré dans la mémoire collective des Atetela sous l’appellation de «La bataille de Dikanda-Kate» dans la banlieue de la Ville de Lodja au Sankuru (RD.Congo). En réalité cet événement avait pour scène un ancien site du Village Dikanda-Kapola, proche de celui de Dikanda-Kate. Ce lieu se situe à environ 6 km du Village Oyomba, soit à 16 km du centre-ville de Lodja sur la route reliant Lodja à Bena-Dibele, 2 Nous nous sommes arrêtés un moment sur cet événement parce qu’il avait marqué les esprits de tout notre peuple pendant au moins deux décennies. Les chansonniers Atetela l’ont immortalisé au moyen d’un titre: très évocateur «Lo totokotoko ta la Dikanda-Kate lak’Oyomba» (dans le palmeraie de Dikanda-Kate, près du village Oyomba). Nous avons questionné les faits, pour ressortir les processus répétitifs à travers le Sankuru, en temps de conflit au Congo, avant de reconnaître la symbolique de Dikanda-Kate dans notre histoire en tant que groupe se voulant identitaire. Août 1964 : le Sankuru bascule en République Populaire du Congo avec comme capitale Stanleyville Depuis le 8 août 1964, la chute de Lodja aux mains des rebelles Simba, consacrait le basculement du District du Sankuru à la juridiction de fait de la République Populaire du Congo, proclamée à Stanleyville (Kisangani) par les insurgés lumumbistes, sous la direction de Christophe Gbenye et de Gaston Soumialot. A leur arrivée au Sankuru, les Mulelistes, comme on les appelait alors (un peu par erreur), étaient accueillis en libérateurs venus soustraire le Congo des mains des dirigeants pro-impérialistes de Léopoldville. La naissance du Congo.populaire apparaissait, en fait, comme une riposte des combattants nationalistes contre les forces réactionnaires qui s'étaient emparé du pouvoir indûment, en renversant par voie d'intrigue la majorité démocratique issue des premières élections générales d'avril 1960. Au 3 Sankuru, depuis 1961, une nouvelle expression était en vogue : Otetela : «Evudu Shakote lakatembaka ngomo ko akina wotahome». Après l’écrasement du libérateur du Congo, son clan n’est-il pas tenu systématiquement à l’écart de la gestion du pays? La petite histoire de la tortue1 : Quand un prestigieux tam-tam du village avait été pris en otage dans une ruche par les abeilles. Se fiant sur sa carapace dure, la tortue parvint à défier les abeilles en pénétrant dans la ruche pour ramener le merveilleux instrument de musique aux animaux. Mais, hélas, aussitôt que ceux-ci retrouvèrent l’objet saisi, tout le règne animal s’avisa de l’urgence d’éliminer la tortue. Elle fit tragiquement écrasée et depuis lors le tam-tam retentit chaque soir dans la forêt, à la plus grande joie du règne des usurpateurs, mais, bien loin des fils et des petits-fils de l’infortunée. 1 Vous voudriez bien noter que ce récit reconstitue les faits, néanmoins, 80% des images sont constituées des documents étrangers à l’événements, qui ont été choisis dans le but de donner une illustration la plus proche possible de la réalité. 4 Ceci explique pourquoi, une délégation constituée de plusieurs notables du Sankuru, était partie secrètement à la rencontre des Mulelistes, aussitôt que ceux-ci avaient pris la ville de Kindu dans le District de Maniema. N’est-ce pas pour les Atetela l’occasion tant rêvée pour venger la mort de Patrice Lumumba? Chère Pauline, À mes enfants que laisse, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est meilleur À la rencontre de Kindu, pour éviter des combats sanglants dans la contrée du libérateur du Congo et chef historique des Nationalistes congolais, les notables 5 Anamongo avaient présenté leur offre de collaboration aux forces révolutionnaires qui arrivaient. Par la suite et en conséquence, les villes du Sankuru tombèrent l'une après l'autre sans combat. Les camions des soldats ANC, sous commandement de l'Adjudant-chef Kabeya, évacuèrent leurs positions en débandade. Des camions qui roulaient en vive allure vers la sortie de Bena-Dibele, laissant tomber même des enfants de haut des carrosseries excessivement chargées. Puis un divorce entre le peuple et se ''libérateurs'' Hélas, la cohabitation entre les ''Mulelistes'' et les Anamongo ne se passa pas comme promis. Dans l’aprèsmidi du 8 août 1964, le jour même de leur arrivée à Lodja, les combattants Simba arrêtèrent tous ceux dont la fonction leur rappelait l’autorité de l’État.: soldats (même des anciens combattants), policiers, clercs et commis de l'État, chefs coutumiers et intellectuels. Même un finaliste du secondaire apparaissait ipso-facto comme un allié de l'impérialisme. 6 Suivant la consigne de leur hiérarchie, les forces insurgées se livrèrent à l'élimination systématique de tous les symboles du pouvoir et de la modernité au Sankuru. En fait, les premières exécutions publiques de «prisonniers» eurent lieu devant l’hôpital général le 11 août 1964. Elles vont s’accélérer après l’arrivée du major Alphonse Ndjadi, Commandant de l’Armée populaire de libération (APL), le 12 août. Ce dernier installa un certain Lubandji, connu sous le sobriquet de Pierre Munanda, comme Commandant APL-Lodja, avant son départ pour Lusambo. L’espace vert qui sépare l’hôpital général et la route qui conduit au bureau de Territoire devint dès lors le lieu d’exécutions quotidiennes de ces simples agents de l'État confondus aux alliés de l'impérialisme étaient régulièrement organisées. La chanson cérémoniale en disait long : «''Onone la pendju kayotodiakaa, la pendju matekaaaa'', commissaire, la pendju matekaaaa.....Dokotele, la pendju matekaaaa'',…..» Suivait chaque fois des discours-programmes de la guerre par le Commandant Pierre Munanda : ''Kasavubu, ata akeyi na Poto, azali kaka mateka (entendez : condamné à mort), Tshombe,...Kalonji,...Colonel Mobutu,... 7 Le discours était dans la ligne de nos convictions, mais le sang des innoncent versé abondamment suscitait de l'inquiétude. Des cas de jugement populaire furent courants, tel est ce père de famille qui fut forcé de coucher avec sa propre fille à la suite d’une accusation pour adultère.. Au fur des jours, des expéditions punitives se multiplièrent contre des paysans qui osaient défier les conquérants de quelque manière que se soit. Dans la plupart des cas, de tels villages furent entièrement incendiés. Les Atetela furent donc placés devant un dilemme, d'un côté l'attachement en la mémoire de Patrice Lumumba, de l'autre les sévisses imposées au peuple par les insurgés pourtant lumumbistes. Ainsi, dès fin septembre 1964, la majeure partie du peuple était extenuée et souhaitait, oh comble de dilemme!...., le retour de l'ordre pro-impérialiste contesté. Les consignes magiques furent-elles respectées ? Les miliciens mulélistes étaient soumis à une discipline rigoureuse comme condition pour préserver l'invulnérabilité aux balles de l'ennemi. Grâce à la drogue locale (Bangi) et aux fétiches fabriqués par Maman Onema, les jeunes miliciens ne se préoccupaient pas des menaces d'une contre-offensive de l'Armée nationale congolaise (ANC). 8 À gauche, Maman Onema, la féticheuse combattants Simba, à droite, un insurgé Simba. des Cependant, alors que les toutes les villes du Sankuru étaient tombées sans combat, ce qui renforça la croyance sur l'invulnérabilité des rebelles aux balles, dès les premiers accrochages sérieux avec l'ennemi, les colonnes insurgées laissèrent plusieurs corps sur le sol. A Kole : les Ahindo stoppent l'avance des insurgés Contrairement à ce qui se passa à Katako-Kombe, à Lubefu, à Lomela et à Lodja, les Kolois ont vite fait de se méfier de l'avance des Mulelistes. Les premières batailles sérieuses que vont devoir livrer les insurgés vont les opposer à un véritable bataillon des Kolois armées des lances et des flèches empoisonnées. Face à cette population déjà informée des atrocités subies par leurs frères dans les villes précitées, Kole refuse l'argument de la révolution lumumbiste. Pour la première fois depuis le 9 déclenchement de la rébellion à la frontière orientale du Congo, les Mulelistes vont battre en retraite et Kole aura sonné le glas de l'avance des ''forces révolutionnaires''. Onema Otutu devient le front avancé des forces insurgées Onema Ototo est le nom d'un village qui constitue en lui seul un Groupement. Il abrite une mission catholique, la paroisse Saint-Désiré. Il abrite aussi le petit-séminaire Saint-Gabriel. Mais on n'oubliera pas que, Onema Ototo est le chef-lieu de la Collectivité-Chefferie des Olemba-aNgando. Petit- Séminaire, à la paroisse Saint Gabriel d’Onema Ototo, à moins de 6 km du campement des insurgés C'est ici que sont venues camper les forces insurgées qui ont battu en retraite depuis la Bataille de Kole. Les 10 installations du chef-lieu servaient de camp pour les miliciens. Cependant, ce camp est établi en haut d'un flanc de colline d'où on voit jusqu'à une dizaine des kilomètres la piste routière en provenance de Bena-Dibele. A l'opposé du camp d'Onema Otutu, on aperçoit au loin le flanc opposé qui se perd autour du village d'Otshumba Keto. Entre les deux, il y a une vallée dont le fond est entièrement observable à parti d'Onema Otutu. Attention : une colonne des camions arrive de Luluabourg!.... En mi-journée de ce jour de mi-octobre 1964, une colonne de camions surgit du haut de l'autre flanc de colline. En ce moment où le trafic est coupé depuis deux mois avec Luluabourg, ces camions-là, n'augure rien de bon pour les Simba. Ça ne peut être que les camions de soldats de l'Armée nationale congolaise (ANC) de Mobutu. L’ennemi arrive donc. Il faut filer avant qu'il ne s'approche. Sur ces pistes à terre, il fallait au moins trente minutes à la colonne de l'ANC pour atteindre le camp d'Onema Otutu. Tous les insurgés ont eu suffisamment de temps pour se déferler le long des chemins ruraux à travers la Collectivité voisine de Kondo-Tshumbi. L'ANC ne trouvera donc qu'un campement vide à Otutu. 11 Un crime qui ne sera jamais oublié : Lorsque les miliciens vident le camp, Mfumu Mbudi, le Grand chef de Groupement Onema Otutu visite ses sujets à l'autre bout du village. En ce moment de turbilance révolutionnaire, plusieurs chefs coutumiers ont été abattus ou se cachent.Malgré son grand âge, Il fallait que MbudiOtutu porte un signe d'allégeance à la révolution pour être épargné par les Mulelistes. Ainsi, portait-il un brassard en peau de Léopard dans son avant-bras gauche. Les Mulelistes eux-mêmes arboraient souvent ce type d'insigne, surtout lorsqu'ils étaient haut placés dans la hiérarchie. Le Grand chef revenait à sa résidence après la tournée au village lorsqu'il croise une colonne armée. Mais, son grand âge ne reconnaît pas une force opposée aux Mulelistes. On racontait aussi qu'il avait pris un petit verre lui offert gracieusement par ses sujets. A la question de savoir qui il était, le Grand chef répondit qu'il était le Mfumu Mbudi-Otutu, le chef dont la terre héberge leur camp. Cela avait suffit. L'héritier des traditions de tous les clans d'Otutu, dont nous avons personnellement vu combien son peuple l'adulait, a été abattu froidement sur la route (de Bena-Dibele), à quelques mètres de chez-lui. C'est alors l'émoi dans tous les sept lignages historiques des Olemba-a-Ngando : à Kfumu comme à Nganga, à Yonge comme à Hangata, à Oyomba comme à Ponda, la mort de Mfumu-Mbudi a été 12 resentie comme si tout le monde avait vécu l'événement sur place même parmi les clans d'Onema Otutu. C'était la re-édition de la tragédie qui s'est produite un mois plu tôt, lorsque le Grand chef Okito Anyeke de la Collectivité-chefferie de Kondo-Tshumbi a été exécuté par les insurgiés avec un de ses collaborateurs, le chef Okitaloma du Groupement Hiandja, devant ses propres sujets en pleur. Dans l’imaginaire collectif des Atetela, les chefs coutumiers sont des intermédiaires entre les vivants et les morts. Ainsi, on ne touche pas à eux sans subir, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre, la colère des ancêtres, exécutée par les dieux. Joseph-ona-Mfumu-Mbudi jure de venger son père En ces temps-là, Joseph conduisait l'unique camion de la Mission catholique. Le père Gustave Ley, curé de la paroisse avait pris soin de se retirer avec le Frère Eugène (Lokondo) en Europe pour faire passer l'orage. Homme de 13 confiance du curé, c'est Joseph qui reçoit la garde de la clé de contact. Un des bâtiments connexes à la paroisse Saint-Gabriel d’Onema Ototo, ici à moins de deux km du campement des insurgés, au chef-lieu de la collectivité des Olemba Ayant appris la nouvelle de la mort violente de son père, il courut à la Mission où il retira le camion pour prendre un raccourci vers Lodja. Son objectif était d'aller prendre un renfort des Mulelistes en vue de venir défaire les troupes ANC qui ont assassiné son père. La contre-attaque des Mulelistes Au terme d'une course sur les 42 km qui séparent Onema Otutu de la ville de Lodja, Joseph ona Mfumu Mbudi informe le Commandant Munanda de l'arrivée des soldats 14 ANC à Onema Otutu et de la défection des insurgés du front avancé. N'ayant plus de logistique, le Commandant Pierre Munanda réquisitionne Joseph-ona-Mfumu avec son camion pour opérer la contre-attaque. Quarante éléments sont rapidement mobilisés, mais l’ensemble du contingent n’avait que quatre fusils. Les autres combattants se contentant de bâtons et des machettes. Ils ont pris place à l'arrière du camion. Pour exciter les combattants, un tambourineur était monté à bord pour jouer tout au long la chanson-fétiche : ''Onone la pendju kayotodiakaaaaa, commissaireeeee, la pendju matekaaa''. Le camion brillant dévale la pente d'Okona-waleeta, passe devant les installations de la Colocoton-Lodja, traverse la rivière Lukenye, le quartier Fin-de-terme, la Mission Nganga, le Quartier Lokombe-Fataki, le Village et la savane d'Oyomba. 15 Le rythme du tam-tam excite davantage des combattants convaincus de faire une promenade de santé grâce aux fétiches supposés les rendre invulnérables aux balles des soldats ANC. Pourtant, l'ennemi n'a pas campé à Onema Ototo La colonne des soldats ANC n'a pas tardé à Onema Ototo, elle a plutôt progressé rapidement en direction de Lodja, pour aller prendre position à environ 20 km de la ville, à savoir sous des palmiers qui peuplent l'ancien site du village Dikanda-Kate, là où se termine la savane d'Oyomba. Tard dans la nuit, le contingent se choisit une palmeraie de l’ancien village Dikanda-Kapola pour camper de sa nuit. La flotte de camions dix-roues fut dissimulée derrière les arbustes. L'ennemi était donc dans la banlieue de Lodja, alors que les insurgés croyaient aller le surprendre à Onema Ototo situé à 42 km de là. Sous les palmiers : Un deuxième crime 16 Tard à l'aurore, une vielle femme remontait de la rivière. Elle suivait un chemin qui traverse la touffe des palmiers. Les soldats ANC venaient d'y tendre une embuscade ici contre les Mulelistes. Quand la vieille femme atteignit le campement, elle fut questionnée. «Toko dimi nyangenyu, dimi nyango wa Mulele» (Je suis votre mère, je suis la mère des Mulelistes). L'erreur lui fut fatale. Elle fut abattue de deux balles, une première à la tête, une autre à la hauteur de la poitrine. Sa mort précéda de peu la grande tuerie de DikandaKate. La bataille de DikandaKate : un des momentschocs de notre histoire Voici ce que l'Adjudant-Chef mécanicien Mandefu racontait à l'époque sur les instants fatidiques de DikandaKate : La «mère des ''Mulela''» n'avait pas de chance. Même si elle n'était pas «'leur mère», elle devait mourir parce qu'elle a vu le lieu de l'embuscade contre l'ennemi. La laisser partir, c'est donner à l'ennemi la possibilité de nous dénicher et nous abattre. Compte tenu de ce que nous 17 apprenions sur les Mulelistes, il fallait prendre toutes les mesures de sécurité. Dans les heures qui suivaient, nous prenions un repas lorsque nous avons entendu les vrombissements d'un camion en provenance du village Oyomba donc de Lodja. En ce moment où il n' y a pas de circulation civile, cela était un signal d'attaque. Sous les ordres de notre Commandant, le Major Wetshi, nous avons rapidement pris position le long de la route, là-même sous les palmiers de Dikanda-Kate. Nous voyions les phares et pouvions contrôler la progression du véhicule ennemi dans la savane d'Oyomba. Mais nous avons attendu un peu longtemps parce que la distance est longue (environ 5 km) et il y a beaucoup de sables. Les Mulelistes chantaient et dansaient au son du tam-tam à l'intérieur d'une carrosserie couverte. Quand ils s'approchaient, nous les sentions fous de joie. Aussitôt que le camion arriva à notre hauteur. le Major Wetshi donna l'ordre de faire feu. Nous avons commencé par tirer un trombone en l'air pour éclairer le ciel, ensuite nous avons tiré sur les roues pour immobiliser le camion. 18 Il y a eu un tollé des cris de guerre à l'intérieur : ''Mulele mayi''!...'Mayi Mulelele!...'Mulele Nous continuions à tirer mais dans un climat de peur, pace que nous croyions que ils étaient réellement mayi!...Mulele mayi'!... invulnérables à nos balles. Le Major étant présent sur le lieu, nous avons tout de même pris du courage, d'autant plus que les Simba étaient tous coincés à l'intérieur du camion. Nous nous demandions finalement s'ils allaient sortir pour batailler avec nous ou s'ils étaient morts tous. À l'intérieur, tous les insurgés étaient morts Au terme d'une fusillade qui dura près d'une heure, les combattants mulelistes étaient tous morts à bord du camion. 19 Dans la cabine, Joseph ona Mfumu, un bel homme d'environ trente ans à l'époque, avait trouvé la mort. Il n'aura pas survécu un seul jour à un père dont il voulait venger la mort. A ses côtés, le Commandant Pierre Munanda qui avait tout juste ouvert la portière sans parvenir à sauter. Il avait le corps transpercé de plusieurs trous. Trente-neuf corps furent ramassés sur place : deux dans la cabine et trente-sept à l'intérieur de la carrosserie, presque tous des Atetela et des Bakusu. Une seule personne réussira à sauter de la carrosserie, il avait pour nom Alengo-ona-Nyama, originaire du village 20 Okako-a-Nyombe dans la collectivité Olemba. Ce frère avait été cité dans des cas d'incendie de villages suite à des altercations autour de l'alcool et d’autres problèmes relationnels. Alengo-ona-Nyama avait réussi à sauter du camion, mais il n'avait pas eu plus de chance parce qu'il osa courir en direction du village Kele, c'est-à-dire dans le sens des balles de son ennemi. A environ cent mètres de la route, il a été fauché et son corps fut retrouvé dans une fosse un jour après. Cela porta à quarante-deux le total des victimes de la Bataille de Dikanda-Kate. Cette nuit-là!.... Les détonations des canons, le sifflement des balles et la lumière des obus éclairants avaient créé la panique dans la région : à la Cité de Lodja, à Fin-de-Terme et dans tous les villages environnants des Olemba et de KondoTshumbi. De nombreuses familles s'engloutirent dans le bois pour tenter d'échapper aux balles perdues. Des récits rocambolesques de cette bataille circulèrent dans la contrée. Il a fallu attendre les témoignages des acteurs comme l'Adjudant-chef Mandefu pour rapprocher les choses de la réalité. 21 Une fosse commune Quarante-deux corps des Simba furent jetés dans une fosse commune creusée par des villageois sous les palmiers de Dikanda-Kate. Le lieu devint, avec le temps, un sanctuaire des jeunes à la recherche du pouvoir magique. A l'époque les jeunes brigands qui se faisaient pompeusement appelés «Bills», étaient en mal de démonstrations de leur force physique. Nombre d'entre eux fréquentèrent ce lieu nuitamment pour aller y puiser la ''puissance magique''. Dents et autres os des victimes de la bataille de Dikanda-Kate furent l’objet de quêtes nocturnes pour les amateurs de la force physique brutale. 22 Pour les communs de mortels, le passage, aux heures tardives, devant le charnier de Dikanada-Kate constituait une épreuve de courage. Toutes sortes d’histoires d’apparitions et les cris mystérieux étaient racontées à l’époque. Des colonnes de soldats à pied, alternées avec des camions de transport des troupes, Au matin du lendemain des événements de Dikanda-Kate, le contingent de l’Armée nationale congolaise se dirigea vers Lodja : très tôt à l’aube, il couvrit la distance entre le champ d’affrontement de la nuit précédente et le village-rue du chef Oyomba, avant de traverser le faubourg de LokombeFataki. Une fois au-delà du pont de la rivière Lokenye, la progression de la colonne se ralentit. 23 La prise de contrôle de ce qui était alors, le camp de la gendarmerie, au croisement des routes de Bena-Dibele et des usines de la Colocoton, exigea plus de prudence, même si ses occupants avaient déjà vidé les lieux. Par la suite, la prise des quartiers administratifs du centre-ville, tout proche, constituait une priorité. Cependant, en remontant avec un tronçon de la route principale, communément appelée Okona wa Leeta, l’ennemi pouvait les prendre en tenaille, en descendant, soit par la route de l’Institut technique officiel, soit par un sentier qui relie le village de Sombo à la route conduisant à la rivière Londa. 24 La marche de la colonne se fit lente, face à la nécessité de procéder progressivement au nettoyage des passés sous leur contrôle. En fin d’après-midi, le contrôle de la ville tomba totalement aux mains des troupes du major Wetshi, de l’Armée nationale congolaise. Il n’y a certes pas eu de combats dans la ville, mais plusieurs corps en décomposition ont été découverts à divers endroit dans le secteur administratif de la ville. Le 8 octobre, dans l’avant-midi, avion piloté par un européen du nom de Svens, atterrit à l’aéroport de Diengenga, aux fins de ravitaillement. Aérogare de Diengenga, à Lodja, à l’époque de l’insurrection des Simba Le pilote et ses deux assistants furent assiégés et abattus par des éléments insurgés qui se cachaient dans la 25 brousse. Appelés en rescousse, les éléments de l’ANC arrivèrent sur le lieu après le retrait des assaillants. Les corps de trois victimes furent enterrés dans un terrain couvert de pelouse, qui s’étendait devant le bâtiment de ce qui était alors le Cercle du Nord-Sankuru. Notons que plus tard ce lieu devint un point de mire des personnalités de la capitale, en visite au Sankuru, qui venaient s’incliner devant les tombes de ces victimes de l’insurrection. Nous avons vu, par exemple en 1965, le général Bosango, chef d’État-major de l’ANC, et Monsieur Sylvestre Mudingayi, alors président de la chambre des représentants. Cependant, aucune victime congolaise ou locale ne reçut pareil honneur. Est-ce pour cela qu’un proverbe atetela dit : «Atokoyovoe ana w’Omoyi»? Dikanda-Kate sonna le glas de l'ère Simba au Sankuru Deux semaines après la Bataille de Dikanda-Kate, l'ANC avait repris le contrôle de tout le Sankuru. Le Major Falo (futur général) fut nommé Commissaire extra-ordinaire de la province du Sankuru, en remplacement du Gouverneur 26 Sombo Paul Marcel, avant l'organisation des élections qui portèront Benoit Wetshindjadi au pouvoir au début de 1965. Le 24 novembre 1965, Mobutu s'empara du pouvoir et fit jeter le Gouverneur Wetshindjadi en prison au terme d'un contrôle financier. La province du Sankuru cessa son existence en redevenant le District du même nom en 1966. Au départ, ce District fut annexé à la province du Kasai Occidentale avant d'être transféré au Kasai Orientale en 1967. Quoi apprendre de cet épisode de notre histoire ? L'élite politique sankuroise avait très vite cru aux vertus révolutionnaires et lumumbistes des insurgés, pour organiser leur entrée au Sankuru. Mais si cette insurrection comptait certains cadres braves comme le général Olenga et Laurent Désiré Kabila, elle avait aussi en son sein des opportunistes comme Gaston Soumialot et Christophe Gbenye. Les objectifs révolutionnaires prônés par les stratèges ont été trahis par les cadres des unités opérationnelles et l’insurrection se transforma en une campagne de règlements des comptes, ce qui a causé beaucoup de tort à la population. Le Sankuru a payé abondamment du 27 sang de ses fils et du patrimoine de la contrée. Dans l'avenir, il faudra un peu plus de prudence. Un grand nombre des jeunes qui furent mobilisés servirent de chair à canon pour les troupes sanguinaires d'une Armée nationale congolaise, alors instrument au service des forces pro-impérialistes. Le Sankuru orphelin de Lumumba a dû porter le deuil de ses enfants, sans faire avancer la cause de la révolution congolaise chère à Patrice Lumumba. Nos élites ont été dupes. Sur le plan stratégique, le poids psychologique de la garnison militaire de Luluabourg et l'importance économique de MbujiMayi font qu'une agression du territoire congolais traverse difficilement la rivière Sankuru vers l'Est. Il devient une sorte de tradition que toutes les guerres, depuis Ngongo Leteta, échouent aux portes de Kole et Bena-Dibele.Ceci accule notre terroir au rôle néfaste de ligne de front avancée de toutes les agressions. Quelles sont les lignes historiques du cadre géopolitique national et régional qui ont toujours exploité la géopolitique locale du Sankuru pour acculer notre terroir à sa déconstruction? 28 L'histoire du comportement géostratégique des armées et des gouvernants congolais ayant montré que ceuxci compteront toujours sur la forteresse luluabourgeoise pour verrouiller le col de Kwango et défendront de tous leurs moyens l'eldorado mbuji-mayais au détriment d'un espace rural mal pourvu et en déclin, quelle transformation devrait être imprimée aux processus géopolitiques initiés par les acteurs sankurois à l'heure de grande tension au Congo? Quoi qu'il en soit, Dikanda-Kate, en tant que fait, chainon d'un processus, événement historiquement symbolique, nous instruit. Dikanda-Kate nous invite à nous reformer, en tant que fils du Sankuru, pour analyser en profondeur tout projet de rupture de l’ordre en RDC, afin de choisir la meilleure option, celle qui permette au peuple de survivre en tant qu'entité non militairement et économiquement stratégique et s’engager dans la voire du progrès. Nul ne peut construire s'il ne survit. Aussi, nul ne viendrait réfléchir avec perspicacité sur le destin que pourrait réserver une situation particulière aux Sankurois, si ce n’est que les fils et les filles du Sankuru. Réfléchir, c’est aussi construire. Dr Lambert Opula. Montréal, Québec, Canada.
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