Mécanismes de financement innovant : quelles opportunités et quelles limites pour répondre aux défis sociaux et environnementaux ? Salle 4, 18 septembre, 9:30 • 11:00 Intervenants: Jean-Marc CHÂTAIGNER, Directeur général-adjoint de la Mondialisation, du développement et des partenariats, Ministère des Affaires étrangères - Groupe Pilote sur les Financements Innovants pour le développement Philippe DUNETON, Directeur exécutif adjoint, UNITAID Mirey ATALLAH, Chargée des Programmes Nationaux, Secrétariat ONU-REDD Stephen DAWSON, Membre du Conseil d’administration, Impetus - The Private Equity Foundation et Président non exécutif du Conseil d’Administration, ECI Partners Modérateur : Saïd BOURJIJ, Directeur d'Epargne Sans Frontière PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS Face aux restrictions budgétaires, le pays du Nord doivent dégager de nouvelles ressources pour financer l’aide publique au développement et la protection de l’environnement. Quels sont ces modes de financement innovants, leur impact, et comment les rendre pérennes ? Les ressources complémentaires issues de ces nouveaux mécanismes ont la particularité d’être plus stables et plus participatif puisqu’ils intègrent les acteurs privés et les citoyens au processus de financement des politiques publiques à impact social. Ces modes de financement innovant doivent aujourd’hui relever de nouveaux défis. Comment multiplier leur échelle et leur visibilité dans le débat public et politique ? Comment garantir leur impact social et/ou environnemental ? Plus de transparence permettra de légitimer ces fonds, et plus de visibilité encouragera la reproduction de ces modèles à de nouveaux secteurs clés de la lutte contre la pauvreté et de la protection de l’environnement. Résumé des interventions Les intervenants représentent des Etats, des organisations internationales et des fonds d’investissement privé, et vont donc balayer ensemble du champ recouvert par les financements innovants. Quel est le rôle du Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement ? Jean-Marc CHÂTAIGNER : L’émergence des financements innovants dans les années 2000 s’explique pour des raisons budgétaires – avec la nécessité de dégager de nouvelles ressources pour le développement – mais revêt également une dimension philosophique. Il s’agit en effet pour les Etats-nations de s’allier pour trouver ensemble des solutions à apporter aux grands défis de l’humanité, qu’il s’agisse de la réduction de la pauvreté, de la lutte contre les pandémies ou de la protection de l’environnement. Les mécanismes de financement innovant s’inscrivent donc pleinement dans le cadre de l’agenda post-2015, qui appelle à un « partenariat mondial » pour le développement. Notre Groupe pilote sur les financements innovants, mis en place en 2006, est une plateforme française de réflexion et d’échanges visant à mettre en lumière les nouvelles initiatives pour trouver des ressources additionnelles à l’aide publique au développement. Ces financements innovants sont nombreux : garanties d’achat futur, Facilité internationale de financement pour la vaccination (IFFIm), mécanismes de marchés adossés aux émissions de CO2, mécanismes de gestion de la dette, Taxes sur les activités mondialisées – comme la taxe sur les billets d’avion ou la taxe sur les transactions financières –, contributions citoyennes comme le GAVI Matching Fund, loteries sur le développement…. Si nous ne sommes pas encore parvenus à établir une définition consensuelle de ces différents mécanismes, ils répondent à trois grandes caractéristiques : ils sont plus stables que les financements traditionnels, ils constituent des ressources complémentaires et ils reposent sur une vision renouvelée de l’aide au développement. En effet, ces mécanismes ne répondent pas à une logique caritative de transfert financier des pays du Nord vers les pays du Sud ; L’objectif est de faire contribuer tous les citoyens « riches » de la planète, quelle que soit leur nationalité, au financement des grandes causes communes de l’humanité. Tout l’intérêt de cette approche est de promouvoir une dimension plus équitable dans le financement de l’aide, en mobilisant aussi les ressources domestiques des pays pauvres. Concernant les défis futurs, les mécanismes de financement innovant sont confrontés à deux problématiques. D’abord, il y a une nécessité de changer d’échelle, de mobiliser davantage et de convaincre de leur nécessité, comme nous le faisons dans ce type de Forum. Ensuite, il apparait crucial de garantir l’efficacité des financements innovants, en les orientant vers les canaux d’action qui maximisent l’impact social auprès des populations vulnérables. Ce second défi est lié au besoin de renforcer la transparence et la redevabilité de l’aide. Comment UNITAID tire-t-il profit de la taxe internationale sur les billets d’avion, un des mécanismes de financement innovant les plus reconnus ? Philippe DUNETON : UNITAID utilise la taxe sur les billets d’avion pour augmenter les fonds destinés aux programmes de santé dans le monde et élargir l’accès aux produits de diagnostic du VIH/sida, du paludisme et de la tuberculose dans les pays à faible revenu. C’est la première organisation mondiale du domaine de la santé à user de son influence sur le marché en tant qu’acheteur pour améliorer les produits sanitaires indispensables et les rendre financièrement plus accessibles aux pays en développement. Par exemple, grâce à notre action, les prix des traitements contre le VIH ont chutés de 80% en cinq ans. La taxe internationale sur les billets d’avion, qui coûte 1 euro à chaque passager, contribue à près de la moitié de notre budget. Dans ces conditions, on comprend qu’UNITAID a un ancrage citoyen très fort, et multiplie ses relations avec les organisations de la société civile. La transparence et la redevabilité sont des principes inscrits au cœur de notre action et plus largement au cœur de la dynamique des financements innovants. Quel est le rôle du programme ONU-REDD qui entend réformer le marché carbone, un mécanisme de financement jugé peu équitable ? Mirey ATALLAH : Je travaille au Programme de collaboration des Nations Unies sur la réduction des émissions liées au déboisement et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (Programme ONU-REDD). Ce programme s’appuie sur le mécanisme de financement innovant du marché carbone. En vue de créer les flux de ressources nécessaires pour réduire sensiblement les émissions mondiales liées à la dégradation des forêts, le Programme ONU-REDD vise à appuyer les pays en développement pour les rendre mieux à même de concevoir et d’appliquer des mesures de gestion durable des forêts. Le but immédiat est de déterminer si de nouvelles structures et capacités de paiement sont susceptibles d’assurer des réductions d’émissions effectives, durables, réalisables, fiables et mesurables tout en améliorant les autres services écosystémiques fournis par les forêts. Notre principale préoccupation à ce jour est de convaincre les gouvernements et les utilisateurs des territoires des pays du Sud que la gestion durable des forêts présente un intérêt économique et financier sur le long terme, et qu’elle ne revêt pas uniquement un objectif écologique. Comment les fonds d’investissement philanthropiques participent-t-ils au financement innovant du développement ? Stephen DAWSON : Alors que je travaille dans le capital-risque philanthropique, je vais vous présenter le point de vue du secteur privé sur les financements innovants pour le développement. J’ai co-fondé la « Private Equity Foundation » Empetus, qui s’affirme comme l’un des acteurs pionniers de l’investissement philanthropique au Royaume Uni. Ce fonds finance et accompagne des associations et des entreprises sociales qui ont pour objectif d’améliorer l’éducation et de redonner des perspectives d’avenir aux enfants pauvres dans notre pays. La spécificité d’Empetus est de viser un objectif social tout en agissant dans une logique libérale de marché : nous portons une très grande attention à la pérennité financière de nos bénéficiaires et à leurs performances sociales. Nous sommes convaincus qu’augmenter la profitabilité d’un projet est aussi un moyen de maximiser son impact. Je pense que l’émergence de nombreux fonds d’investissement tel que le notre a influencé les gouvernements dans la mise un place d’un nouveau mécanisme de financement innovant : les obligations à impact social, ou « social impact bond ». Les Etats ont réalisé que les investisseurs privés étaient prêts à s’engager pour rechercher, au-delà de la rentabilité financière, des impacts sociaux significatifs. Le Royaume Uni a ainsi été le premier à émettre des SIB (social impact bond) qui font appel à des banques pour financer des politiques sociales publiques. Grâce à ce mécanisme, les bailleurs privés peuvent bénéficier d’un retour sur investissement allant jusqu'à 13% mais à condition que les projets dans lesquels ils ont investis réussissent. Les obligations à impact social sont de plus en plus répandues ; Dans l’Etat de New York aux Etats Unis, ils permettent par exemple de financer des programmes visant à réduire le taux de récidive des jeunes délinquants en prison. Questions de la salle A quoi servent les ressources collectées à travers les mécanismes de financement innovant du développement ? Philippe DUNETON : Deux milliards de dollars issus de ces mécanismes permettent de financer UNITAID, qui, sur son site internet explique très clairement ses actions pour lutter contre les trois grandes pandémies. Nous essayons d’être le plus efficient possible dans l’utilisation de nos fonds et de communiquer sur nos actions grâce à notre site. Sur quelle base est fixé le seuil de rentabilité des social impact bond ? Stephen DAWSON : Elle est fixée sur la base d’une négociation entre les investisseurs privés et les gouvernements. Au cours de cette négociation un rendement plafond est déterminé, car l’objectif premier de l’investissement est d’obtenir un impact social, et non de maximiser le profit. Pourquoi choisir une organisation informelle, voir discret, pour le Groupe pilote pour les financements innovants ? Jean-Marc CHÂTAIGNER : Il est vrai que nous restons un peu cantonnés dans notre « tour d’ivoire » alors que nous avons cette responsabilité d’aller dans le débat public. Nous devons notamment faire un effort pour porter les sujets du Groupe pilote dans les médias. Pourquoi ce qui est fait par UNITAID dans le domaine de la santé, n’est pas fait par une autre organisation internationale dans le domaine de l’éducation ? Stephen DAWSON : C’est une bonne idée. Empetus travaille avec une association spécialisée dans l’éducation des filles en Afrique. Ce programme a non seulement une visée éducative mais aussi une volonté de favoriser l’égalité homme-femme. Je pense que ce programme mériterait effectivement d’être répliqué. Philippe DUNETON : Il est clair qu’il y a de très fortes interactions entre la santé et l’éducation, notamment dans le domaine de la prévention du VIH/Sida. Le mot de la fin ? Jean-Marc CHÂTAIGNER : La question des mécanismes de financement innovant pour le développement mériterait d’être portée plus avant dans le débat politique, afin que s’exprime une véritable volonté de nos décideurs de changer d’échelle, de multiplier par dix les ressources additionnelles pour lutter contre la pauvreté et protéger l’environnement.
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