Intervention de Jean-François TOBIAS

Intervention de Jean François TOBIAS au
Congrès d’EUROPIANO France
Arles le 24 mai 2014
L’association FAN d’ERARD
La manufacture et les pianos ERARD
Introduction
Comment je suis devenu un FAN D’ERARD ?
Je ne suis pas issu d’une famille de musiciens, bien qu’étant Alsacien, et c’est bien connu, dans toute famille
alsacienne il ya un moule à Kugelhof et un piano. Mais j’ai eu l’occasion de prendre des cours chez une
professeure de piano à Mulhouse qui avait un quart ERARD cordes parallèles de 1903. J’ai donc fait mes
gammes sur cet instrument et je n’en ai pas connu d’autres, puisqu’en 1978 elle me vendait ce piano pour la
somme de 1500 FRF. Ce piano que j’ai toujours gardé avec moi n’est pas un instrument exceptionnel mais il me
rappelle le bon temps de la jeunesse. Ce n’est pas seulement le timbre, c’est aussi son odeur, et la couleur de
son bois et les morceaux de palissandre éclatés par les coups de baguette que la prof donnait sur le cadre du
piano pour vous remettre dans la mesure. Sans m’en rendre compte j’étais devenu FAN D’ERARD, comme dit
Jean JUDE c’est ma prof de piano qui m’a fait tomber dedans ! 30 ans plus tard, je suis toujours derrière un
piano car je suis devenu restaurateur d’estomacs. Vous l’avez compris mon piano quotidien c’est une cuisinière
à gaz BONNET et non un piano ERARD. Je suis installé à Salon de Provence, non loin d’ici, pays de la patrouille
de France et de Nostradamus.
Pourquoi j’ai adhéré à l’association FAN D’ERARD ?
J’ai connu par hasard, par internet, l’association FAN D’ERARD qui venait juste de naître et je les ai contactés
par curiosité. Sur le site de l’association, on voyait des photos de pianos, des explications, des histoires et des
gens qui connaissaient mille fois plus de choses que moi et qui étaient animés par les mêmes passions des
pianos, des pianos anciens et des pianos Erard en particulier. Je me suis rendu compte que mon piano avait
énormément de frères, de cousins, de grandes tantes et de grands pères. Une famille immense aux mille
visages. Ça, c’était très excitant mais j’étais un peu déçu de voir que mon vénérable piano de 1903 n’était pas
une pièce rarissime d’une extrême grande valeur. Grâce aux amis rencontrés dans cette association j’ai pu
apprendre à connaître ces pianos, j’ai pu rencontrer des professionnels « FAN d’ERARD » également et je me
suis rendu compte que nous étions qu’une petite branche de la grande famille des amateurs de pianos. Et
quand je dis « amateur » c’est au sens d’aimant incluant bien entendu tous les professionnels que vous êtes. Il y
a à côte de nous des FAN de BOISSELOT, des FANS de PLEYEL, de BECHSTEIN et bien d’autres
Cette passion, décuplée par le soutien de mes amis Robert VINDRINET le président, Xavier WOHLEBER notre
webmaster qui n’est pas là mais qui fait un travail énorme m’a fait parcourir l’année dernière de nombreux
kilomètres avec mon fourgon et accompagné de Grigor nous avons récupéré environ 35 pianos ERARD qui sans
notre intervention étaient probablement abandonnés à un sort funeste ou bien pour certains d’entre eux,
détruits. Heureusement j’ai pu squatter un hangar agricole de 180 m² appartenant à la famille et qui ne servait
que de débarras et qui maintenant va servir d’atelier de remise en forme de tous ces pianos. Vous êtes bien
placés pour savoir que cela représente pas mal de boulot mais également quelques moyens financiers. Je
compte sur les rencontres que nous allons faire lors de ce congrès pour renforcer nos connaissances et peutêtre nous donner de nouvelles idées sur ce que nous pouvons faire avec tous les pianos que nous sauvons.
Dans ce qui suit je présente quelques aspects historiques et économiques de la grande maison ERARD.
La manufacture et les pianos ERARD, aspects économiques.
Les principales raisons du succès de la marque sont assez simples et sont encore valables aujourd’hui pour
élaborer d’excellents instruments (en dehors des contraintes économiques).
- 1/ Inventions, innovations et perfectionnement continuel des mécanismes
- 2 / choix des matériaux
- 3 / justesse, précision et technicité dans le montage (l’existence même de pianos dans un très bon état
de conservation après 170 ans est déjà une preuve du soin apporté dans le choix des matériaux, dans leur
assemblage et dans la précision des ajustements).
- 4 / une gamme d’instruments très large et adaptée à de nombreuses utilisations
La manufacture Sébastien ERARD a commencé tout seul dans une annexe de l’Hôtel de Villeroy à Paris
(actuellement le Ministère de l’Agriculture), il avait alors 25 ans et exécutait des commandes particulières. A
cette époque, Sébastien Erard appela auprès de lui son frère (Jean-Baptiste) et leur établissement prenant un essor
immense, fut transporté dans un vaste local, rue de Bourbon (faubourg Saint-Germain). Cet établissement fondé en
1780 qui finit par devenir le plus beau de l'Europe ouvrit des ateliers à Bruxelles et à Londres mais gardait un
solide ancrage à Paris. A Paris, le siège social avec certaines annexes se trouvait 13/23 rue du Mail et l’usine au
112 rue de Flandres. La surface au sol était de 2ha dont 3000 m² de bâtiments. Une importante surface était
consacrée au stockage du bois. Y travaillaient en moyenne 450 ouvriers.
Les modèles de pianos : Au catalogue de 1839, il y avait six modèles : deux pianos à queue (2,05m & 2,48m),
deux carrés (2 cordes et 3 cordes), un oblique ordinaire et un vertical (appelé également pianino par ailleurs).
C’est autour de 1903 que l’on trouve la gamme la plus étendue (quatorze modèles de base étaient proposés :
sept pianos à queue (dont trois « cadre en fer »),deux droits ½ obliques (1 cadre en fer), cinq droits obliques
(dont deux cadre en fer).Le piano carré avait disparu ainsi que le droit vertical.
Nomenclature : ERARD avait attribué à chaque modèle un numéro (n°1, n°2 etc.. jusqu’au numéro 14, en y
ajoutant parfois des « bis »). Il peut y avoir confusion car vers les années 1875, la numérotation des pianos a
changé et le n°2 est devenu n°1, le n°4 est devenu n°2 etc..
La classification des pianos est assez simple, on distingue d’un côté des instruments avec barrages en bois et de
l’autre les instruments avec cadre en fer. Dans chaque catégorie, on peut distinguer les pianos à queue, les
droits obliques et demi obliques. Dans chaque type, on retrouve des grands modèles, modèles moyens et petits
modèles (longueur différente dans les queues, et hauteurs différente dans les droits°. On peut également citer
dans les pianos à queue cadre en fer les quarts réduits 00 (1,58m) et 33 (Extra réduits 1,33m) ainsi que les
pianos adaptés pour recevoir un mécanisme auto exécutant type ODEOLA
La production de pianos : Au total ERARD a fabriqué environ 130 000 pianos. Notre propos porte sur une
période de grande production (apogée de la manufacture) de 80 ans de 1847 à 1927. Avant 1847, ERARD avait
déjà fabriqué 18500 pianos. En 80 ans ERARD a vendu 87676 pianos neufs soit environ 1100 pianos par an
(pianos carrés 422 0,5%, pianos à queue 26 681 30,4%, pianos droits 60 573 69,1%
Le modèle le plus fabriqué a été le droit n°8 oblique ordinaire (1,27 m à 1,32m) 25 124 exemplaires suivi par le
n°6 ½ oblique ordinaire (1,25m) en 13 228 exemplaires.
La vente des pianos :
1 /stratégie commerciale : A Paris et région parisienne ERARD vendait ses instruments en direct ou bien
en passant par des intermédiaires accordant assez régulièrement une ristourne sur le prix catalogue. Dans
chaque grande ville de province (préfecture) ERARD vendait au travers de négociants exclusifs à qui il accordait
jusqu’à 30% sur le prix catalogue, exceptionnellement 45%. Ceci permettait au négociant de vendre au prix
catalogue en ayant sa marge de distributeur. A l’étranger la représentation ERARD étaient confiée à de grandes
maisons uniquement dans les capitales (ROME, BUENOS AIRES, PORTO, LIMA, SYDNEY…) A Londres et à
Bruxelles ERARD avaient leurs propres succursales avec ateliers attenants. ERARD avait également une activité
réparations et revente d’instruments d’occasion. Certains clients changeaient d’instruments et la manufacture
effectuait la reprise de l’ancien instrument.
2 / Les prix : Ils sont restés très stables entre 1870 et 1914 (40 ans) avec peu d’écart entre les modèles
contrairement à aujourd’hui. Au catalogue, un droit valait entre 2000 et 2800 FRF. Ensuite le ¼ de queue suivait
à 3800 FRF (+35%), le ½ avec un écart de 200FRF et le grand modèle 400FRF de plus. Tout se tenait un peu dans
un mouchoir de poche. Entre l’extra grand de concert (N°3bis) et le moins cher des pianos droits le rapport de
prix était de 1 pour 3. (Inimaginable aujourd’hui). En fait tous les pianos ERARD coûtaient chers et le soin et les
matériaux utilisés dans les pianos droits étaient équivalents à ceux utilisés pour les pianos à queue. Dans la
réalisé comptable, ces prix n’étaient pas ceux réellement facturés. La moyenne de vente des pianos à queue
était de 3000 FRF, les pianos droits grands 2100 FRF, les pianos droits petits : 1500 FRF, les pianos carrés 1300
FRF
Deux exemples de décomposition du prix
Piano ¼ de queue barrage en bois, cordes parallèles vendu en 1905
Prix au catalogue
3000 FRF
Prix pratiqué en moyenne
2131 FRF
soit un escompte moyen de 29%
Prix de revient de fabrication
1326 FRF
soit une marge commerciale de 38%
Impact de la main d’œuvre
616 FRF (soit presque la moitié du coût du piano)
Piano droit oblique ordinaire barrage en bois, vendu en 1883
Prix au catalogue
1700 FRF
Prix pratiqué en moyenne
1502 FRF
soit un escompte moyen de 12%
Prix de revient de fabrication
998 FRF
soit une marge commerciale de 34%
En résumé, la répartition des postes de charges sur un quart de queue de 1905 est la suivante :
matières premières
main d'œuvre
marge commerciale
réseau de distribution
prix public
710 FRF
616 FRF
805 FRF
869 FRF
3 000 FRF
24%
21%
27%
29%
100%
La marge commerciale de l’entreprise ERARD a été de plus de 430 000 FRF par an (Entre 6 et 7M€ /an)
Annexes : Finition des pianos, Palissandre, Noyer, Acajou, parfois Courbaril, Thuya, érable ou Amboine,
Dans le piano, essences utilisées : chêne, hêtre, tilleul, charme, sycomore, alizier, cèdre, sapin, cédrat, tulipier,
ébène. Utilisations :
* le sapin : bois raide, peu flexible
pour le barrage
* le hêtre : dur et compact, peu sujet à se fendre :
pour le sommier, châssis du clavier
* Tilleul : tendre et léger qui se travaille bien
touches et parties délicates du mécanisme
* Chêne, dur et robuste
barres longues de la mécanique, caisse du piano sous le placage
* Cèdre, raide léger, exempt du son de bois
manches de marteaux
* Sapin de Hongrie
Table de résonnance