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TABLE DES MATIÈRES
Communiqué de Presse .............................................................................................................. 2
Texte du Catalogue, Introduction d’Ignacio Cano Rivero .......................................................... 3
Ignacio Cano Rivero et Gabriele Finaldi .................................................................................. 18
BOZAR EXPO : Art Contemporain ...........................................................................................19
BOZAR MUSIC : L’Oreille de Zurbarán ................................................................................... 20
BOZAR CINEMA : Albert Serra ............................................................................................... 22
Catalogue .................................................................................................................................. 24
Informations Pratiques ............................................................................................................ 24
Coordonnées du Service Presse................................................................................................ 25
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COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Zurbarán. Maître de l’âge d’or espagnol
BOZAR rend hommage au travail du peintre baroque à travers une sélection
exceptionnelle de 50 toiles. Une rétrospective unique de l’œuvre de Francisco de
Zurbarán, une première en Belgique !
29.01>25.05.2014
Francisco de Zurbarán (1598-1664) est l’un des
principaux peintres baroques de l’âge d’or
espagnol, à l’instar de Velázquez et de Murillo.
La dernière grande exposition internationale
dédiée à son œuvre remonte à 1988 et s’est
déroulée au Metropolitan Museum of Art (New
York), au Musée du Louvre (Paris) et au Museo
Nacional del Prado (Madrid). Pour la première
fois – et exactement 350 ans après sa mort
– un aperçu de sa production artistique est
exposé en Belgique.
BOZAR et la Fondazione Ferrara Arte, en
collaboration avec le Museo Nacional del
Prado (Madrid) et le Museo de Bellas Artes
(Séville), ont réuni une cinquantaine de
toiles exceptionnelles issues des plus
prestigieuses
collections.
L’exposition
rassemble des œuvres remarquables, comme par
exemple la Nature morte avec poteries, du
Prado, ou Agnus Dei du San Diego Museum.
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Quatre œuvres récemment découvertes
sont même dévoilées pour la première
fois au public, dont L’Apparition de la Vierge
à saint Pierre Nolasque et le Mariage mystique
de sainte Catherine d’Alexandrie. Six
peintures, dont Saint Nicolas de Bari,
L’Archange Gabriel et Saint François ont été
spécialement restaurées pour l’occasion.
L’exposition suit un parcours thématique et chronologique et passe en revue les principales phases
de la carrière artistique du peintre. Le public découvre ainsi ses œuvres de jeunesse, caractérisées par
l’influence du Caravage et un éclairage dramatique, et se termine par ses dernières toiles, plus poétiques
et personnelles.
L’œuvre de Zurbarán aborde principalement des sujets religieux, à l’instar de ses tableaux
représentant la vie de saints, de martyrs et de moines, qu’il a surtout réalisés sur commande d’églises et
de monastères. Tout comme ses bienfaiteurs, il a été très influencé par la pensée catholique et la contreréforme. À l’époque, la peinture était considérée comme la lecture des croyants illettrés et elle devait
donc être claire, simple et inspirante. Zurbarán obéissait à la doctrine et aux souhaits de ses
commanditaires religieux, mais, d’un point de vue stylistique, il a outrepassé ce cadre stricte pour
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développer un langage visuel unique. Il mêle naturalisme pur et sensibilité poétique moderne. Ses
tableaux apaisés surprennent aujourd’hui par leur modernité et leur intemporalité. L’œuvre de
Zurbarán est d’ailleurs une source d’inspiration pour bon nombre d’artistes et d’auteurs contemporains.
L’écrivain Cees Nooteboom a ainsi écrit de superbes essais sur son œuvre, qui ont permis de rendre
l’artiste espagnol plus populaire auprès du grand public nord-européen.
En tant que maison pluridisciplinaire, BOZAR fait le lien avec d’autres formes d’art : la musique (le
cycle de concerts L’Intime et le Sacré et le CD La Oreja de Zurbarán), le cinéma (Albert Serra) et l’art
contemporain (Cristina Iglesias et Craigie Horsfield).
TEXTE DU CATALOGUE, INTRODUCTION D’IGNACIO CANO RIVERO
FRANCISCO DE ZURBARÁN (1598 – 1664)
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Francisco de Zurbarán est l’un des peintres les
plus remarquables du panthéon baroque
espagnol, et assurément l’une de ses
personnalités les plus authentiques. Même
s’il n’a pas bénéficié de la fortune artistique
qui a entouré la figure de Vélasquez ou de
Murillo, cet enfant d’Estrémadure a exprimé
sous une forme aussi personnelle que directe
l’esprit de la société espagnole de la première
moitié du XVIIe siècle, sa culture de la
symbolique visuelle, sa profonde religiosité
et le rôle de la peinture comme moyen de
transcender le réel pour devenir un
instrument de connaissance et d’émotivité.
La peinture de Zurbarán est d’une lecture aisée, directe, franche et entend communiquer le sujet
représenté de la manière la plus immédiate possible. Elle ne recèle pas de doubles lectures et ne cherche
pas à nourrir de réflexions théoriques. De quelque nature qu’ils soient — objet quotidien, étoffe ou
personnage —, tous les éléments qui la composent participent d’une attention profonde. Zurbarán ne
cherche pas à susciter une lecture allégorique mais présente une signification évidente à l’appui de la
thématique qu’il illustre. Chez lui, il n’y a pas d’énigme. Bien au contraire, le peintre se manifeste dans
sa plus grande simplicité : libéré de tout modèle de composition sophistiqué, partant souvent d’estampes
réalisées par des artistes du XVIe siècle comme Dürer, reprenant des modèles traditionnels bien connus
du peuple, modèles qu’il adapte à son propre langage grâce aux clefs fournies par la culture vernaculaire,
la religiosité et les représentations théâtrales, loin de tout propos dialectique complexe.
De nombreux recueils d’emblèmes avaient été publiés dès cette époque en Espagne, mais Zurbarán
renonce à les exploiter, leur préférant les sources médiévales. Son art est aussi essentiel que celui des
icônes orientales ou de la peinture du Moyen Âge. Cet aspect peut expliquer l’utilisation très particulière
de la perspective chez Zurbarán, qui réduit la représentation de l’espace à un concept abstrait, à une
catégorie intellectuelle plutôt qu’à une manifestation visuelle produite par une scénographie théâtrale.
Zurbarán ne représente pas un espace, mais l’idée d’un espace concret lorsque la nécessité s’en fait
sentir. Il n’entend pas montrer le réel, mais la voie du vraisemblable.
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ZURBARÁN DANS SON CONTEXTE
Certains auteurs font débuter le Siècle d’or de la peinture espagnole avec le règne des rois catholiques
(Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon), unificateurs des royaumes qui composaient la péninsule
ibérique — avec l’avènement d’une période de paix et d’une floraison culturelle qui n’ont pas manqué de
faire sentir leur influence sur le reste de l’Europe. Les règnes de Charles Quint et de Philippe II
consolident les échanges artistiques et culturels dans le contexte économique favorable né de la
découverte de l’Amérique. Au début du XVII e siècle, Séville, douane de l’Amérique et passage obligé de
toute transaction économique, attire les artistes de toute l’Europe qui cherchent les commandes de
riches marchands et de nobles enrichis : Pietro Torrigiano (originaire de Florence), Pedro de Campaña
(Pieter de Kempeneer, né à Bruxelles), Hernando de Esturnio (Ferninand Storm, né en Zélande), etc.
À Madrid, de grands projets artistiques comme la construction et la décoration de L’Escurial attirent
dans la capitale un grand nombre d’artistes italiens et d’œuvres des plus grands peintres, et avec eux, les
nouveaux langages esthétiques que les artistes espagnols assimilent pendant les dernières décennies du
XVIe siècle. C’est à cette époque que l’Espagne cimente une culture artistique commune qui sans doute
s’exprime sous des formes diverses en fonction des écoles, mais dans laquelle les traditions locales
s’enrichissent et se transforment sous l’influence des artistes étrangers originaires des pays qui restent
attachés à la couronne espagnole pour des raisons politiques ou religieuses. La monarchie espagnole est
alors l’axe politique de l’Europe occidentale. En Italie, Naples et la Sicile sont gouvernées par des vicerois espagnols, et l’Espagne entretient des relations commerciales privilégiées avec Milan, Gênes, la
Toscane et Mantoue. Pendant les dernières années du XVIe siècle, les monarques espagnols exercent
aussi leur pouvoir politique aux Pays-Bas du Sud, assurant ainsi leur présence et leur influence en
Europe. Le collectionnisme des rois d’Espagne permet aux institutions royales d’accueillir les œuvres
des meilleurs artistes du moment et suscite de nombreuses collections parmi la noblesse et les ordres
religieux.
Mais pendant les premières décennies du XVIIe siècle, les longues guerres affaiblissent la puissance
espagnole et sa présence sur le continent. Ces conflits entraînent une séparation culturelle progressive
d’avec des régions jusqu’alors ouvertes à l’influence espagnole. La tendance n’affecte pas seulement
l’Espagne, mais touche tous les pays européens. La consolidation des différentes nationalités qui
constituent l’Europe pousse chaque nation à réaffirmer sa propre identité politique, culturelle et
artistique. Dès lors, les idées étrangères, quel que soit leur support, sont considérées avec méfiance, en
tout état de cause avec des réserves. Cette tendance se marque encore avec la guerre de Trente Ans
(1618~1648), au moment où se définissent résolument les frontières intra-européennes. En littérature,
c’est pendant ces années que l’Espagne produit ses auteurs les plus remarquables comme Miguel de
Cervantès (1547~1616) ou Félix Lope de Vega (1562~1635). Avec sainte Thérèse d’Avila (1515~1582) ou
saint Jean de la Croix (1542~1591) s’ouvrent de nouvelles voies mystiques, brillamment reflétées dans
les arts plastiques. La monarchie avait eu un rôle de vigilance pour préserver l’Espagne des influences
jugées négatives en éloignant ses frontières du reste des pays d’Europe. Contrastant avec cette évolution,
l’amour des monarques espagnols pour la peinture des grands maîtres ne se démentira jamais,
particulièrement chez Philippe IV. L’afflux d’artistes étrangers se réduit toutefois fortement et l’art
espagnol adapte les influences étrangères à sa nouvelle mentalité. Ses principaux protagonistes ont réagi
à cette situation en s’affirmant dans leur propre personnalité et en élaborant chacun son propre style.
Un autre facteur a joué un rôle fondamental dans le développement de l’art en Espagne comme dans les
autres pays de l’Europe catholique : il s’agit des idées diffusées par le concile de Trente à travers le Décret
sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints, et sur les saintes images de 1563, et qui vont
jouer un rôle fondateur dans l’élaboration des principes artistiques du baroque espagnol, tout
particulièrement dans la peinture de Zurbarán. Le concile avait mené une réflexion sur l’utilité de l’art,
qui devait servir de trait d’union et de véhicule de communication entre l’homme et Dieu à travers les
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images. Le décret prônait l’utilisation des images du Christ, de la Vierge et des saints, non pour leur
valeur intrinsèque, mais au nom de ce qu’elles représentaient. La haute valeur accordée aux images
procédait donc des originaux qui y étaient représentés. Par la représentation des différents moments de
l’histoire du salut, l’on entendait instruire et confirmer le peuple, qui se voyait rappeler les articles de
foi, l’exemplarité des saints et les miracles que Dieu opère à travers eux. Les images devaient servir
d’exemples pour leurs vies et les fortifier dans l’adoration et l’amour de Dieu et dans une conduite
empreinte de piété. Le concile veillait à ce que l’invocation des saints et la vénération des reliques ne
conduisent pas à montrer des images reflétant de faux dogmes ou des superstitions, et à ce que ne soient
pas utilisées des images d’une « beauté outrageuse ». Les évêques veillaient à l’application de ces lignes
directrices pour que rien ne soit désordonné, déplacé, profane ou malhonnête. À l’époque, l’art devient
donc un aiguillon de la foi et un véhicule de connaissance, et en dernier ressort, un moyen de
rapprochement entre l’homme et Dieu. Dans cette mesure, l’art se devait d’être simple et direct, il devait
instruire, émouvoir et encourager la dévotion. Au fil du temps, les mesures du décret se manifesteront
sous différentes formes, attendu qu’il n’établissait pas de bases stylistiques ou esthétiques concrètes,
mais qu’il se bornait à définir la fonction des images sacrées, les conditions devant être spécifiées par les
commanditaires, les artistes, les érudits, et dans une moindre mesure par la hiérarchie de l’Église. Pour
les peintres de l’époque, tout cela appelait à trouver des réponses aux formulations du concile de Trente,
et la peinture de Zurbarán est l’une des conséquences de cette dynamique.
En Espagne comme dans d’autres pays européens, la peinture s’est développée en écoles, chacune
réagissant à différents facteurs. La peinture sévillane s’était formée au carrefour des influences venues
d’Italie par l’intermédiaire de Luis de Vargas, et du maniérisme flamand introduit par Pedro de
Campaña (Pieter de Kempeneer) et ses collaborateurs. Pendant les premières décennies du XVII e siècle,
l’influence de Francisco Pacheco se fait essentiellement sentir dans le domaine théorique et produira ses
meilleurs fruits chez le jeune Diego Vélasquez et Alonso Cano. Pendant le premier quart du siècle, c’est
la peinture de Juan de Roelas qui définit la norme esthétique à Séville. Tel est, brièvement esquissé, le
panorama qui voit l’apparition de Zurbarán dans la réalité artistique sévillane.
BIOGRAPHIE ARTISTIQUE
La biographie de Zurbarán nous est aujourd’hui bien connue grâce au travail de chercheurs qui ont eu
une prédilection particulière pour cet artiste. Une scrutation sans faille des archives et différentes
recherches ont ainsi porté leurs fruits. Des années 1940 à 1990, Maria Luisa Caturla a été la première à
se lancer dans cette vaste entreprise. Odile Delenda a suivi ses traces, jusqu’à publier en 2009 l’ouvrage
de référence dédié à la figure du peintre, à sa production et à ses disciples. Fort heureusement, cet auteur
continue de travailler sur ce sujet. Zurbarán naît en 1598 à Fuente de Cantos, petite localité
d’Estrémadure située à mi-chemin entre Madrid et Lisbonne. Outre le fait que la région est défavorisée
par une faible densité démographique, elle est en proie au dépeuplement et au déclin économique.
Fuente de Cantos se trouve dans une zone rurale qui n’offre aucune perspective à un artiste en herbe.
Son père, d’ascendance basque et de famille hidalgo, s’y était établi en 1548. Sa position de marchand
lui permettait d’être un propriétaire respectable. Le jeune peintre part donc à Séville en 1614. Il y est
documenté pour un apprentissage de trois ans à partir du 15 janvier 1614 dans l’atelier de Pedro de
Villanueva, peintre dont l’œuvre nous est inconnu et dont presque aucune trace ne s’est conservée. Au
terme de cette période, le jeune peintre ne passe pas son examen de maître peintre, peut-être parce qu’il
envisage de s’installer à Llerena, village proche de son lieu d’origine, où la famille de sa femme vit alors
dans une certaine aisance. Il se marie à l’âge de 19 ans avec Maria Páez Jiménez, de neuf ans son aînée,
et baptise sa fille aînée Maria en 1618. Après cette première fille naissent Juan (1620), qui deviendra un
peintre de natures mortes connu et doté d’une personnalité éclectique, et pour finir Isabel Paula (1623).
La femme de Zurbarán décède quelques mois après la naissance de ce dernier enfant. Entre-temps, les
commandes régionales commencent à affluer et en 1622, le peintre signe un contrat pour un retable
destiné à l’autel de la Vierge dans l’église Notre-Dame-de-la-Grenade de son village natal.
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Conformément à l’usage, le contrat ne prévoit pas seulement la peinture du retable, mais aussi les
sculptures et les dorures. La taille des sculptures est sous-traitée à un artiste de Mérida, leur mise en
peinture est du ressort de Zurbarán. Deux ans plus tard, l’on connaît une autre commande pour la
sculpture d’un Christ en croix de grandeur nature destinée à Azuaga, un village voisin. Ces travaux
enrichissent donc la formation du peintre d’une pratique qui lui sera assurément utile dans l’élaboration
de sa peinture. Aucune œuvre de cette période ne nous est hélas parvenue.
INSTALLATION À SÉVILLE
Zurbarán entre bientôt en contact avec Séville, ville et métropole
dont la sphère d’influence s’étend à tout le Sud de l’Estrémadure.
Le 17 janvier 1626 à Séville, Zurbarán, encore qualifié de « voisin
de Llerena », signe avec le couvent Saint-Paul, de l’ordre
dominicain, le contrat par lequel il s’engage à réaliser vingt-et-une
peintures ayant pour thème la vie de saint Dominique et des Pères
et Docteurs de l’Église. De cette première commande sévillane se
sont conservés trois tableaux de Pères de l’Église : Saint Jérôme,
Saint Ambroise et Saint Grégoire (Séville, Museo de Bellas Artes)
qui décoraient les murs de la sacristie.
Ces peintures montrent des figures empreintes d’une forte
expressivité et enveloppées d’obscurité. La répartition des volumes
des figures dans un espace indéfini contraste avec une
concentration frappante sur les qualités matérielles des habits
liturgiques, une part de l’attention étant ainsi soustraite aux
visages. Ces oeuvres présentent déjà les traits qui caractérisent
toute la production ultérieure du peintre : utilisation de la lumière
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pour modeler les compositions, description des qualités des
matières et recherche de l’essence, de la substantialité de motifs
qui sont représentés par le truchement d’élémnolaents en apparence secondaires. Font aussi partie de
cette commande La Guérison miraculeuse du bienheureux Réginald d’Orléans et Saint Dominique à
Soriano (Séville, église Sainte-Marie-Madeleine).
Leurs caractéristiques de composition se distinguent nettement des peintures évoquées plus haut. Dans
les deux dernières, les personnages emplissent la toile sur un plan unique déployé face au spectateur.
Outre la main manifeste du maître, qui se révèle dans la composition poétique des scènes, quelques
détails permettent de deviner l’intervention d’un atelier. Mais c’est le Christ en Croix (Chicago, The Art
Institute) peint en 1627 pour le mur de la salle De Profundis attenant à la sacristie, qui suscite le plus
d’attention. Il s’agit de la première œuvre signée de l’artiste. Le corps du défunt y est entièrement modelé
par la lumière provenant d’une petite fenêtre ouverte dans un mur latéral. Cette peinture caractérisée
par un pathos serein va entraîner dans son sillage les commandes d’autres ordres religieux de la ville.
À partir de 1628, Francisco de Zurbarán intervient dans de nombreuses dépendances du couvent de la
Merci Chaussée (Merced Calzada), qui abrite aujourd’hui le Musée des Beaux-Arts de Séville et qui n’a
rien perdu de sa splendeur. Zurbarán reçoit commande de vingt-deux tableaux destinés au second cloître
— à réaliser en l’espace d’un an, pour un salaire nettement plus élevé que pour la commande du couvent
Saint-Paul, autour de la vie de saint Pierre Nolasque, fondateur de l’ordre des mercédaires, qui doit être
canonisé le 30 septembre 1628. Les tableaux doivent être exécutés dans le couvent même, ce qui conduit
le maître à s’y installer avec ses assistants et tout le matériel nécessaire. Nous ne savons pas qui étaient
les membres de cet atelier, ni si celui-ci était déjà constitué au moment de l’installation de Zurbarán à
Séville. Ce qui corrobore cette condition contractuelle est l’importance accordée à l’atelier dans le mode
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de production de Zurbarán. La même année, le peintre signe le Saint Sérapion (USA, Hartford,
Wasdworh Atheneum), qui montre le niveau de qualité auquel le peintre peut parvenir. Des vingt-deux
toiles commandées, la moitié a pu être identifiée : L’Apparition de la Vierge à saint Pierre Nolasque
(collection particulière), Le Départ de saint Pierre Nolasque pour Barcelone (Mexico, Museo Franz
Mayer), L’Apparition de saint Pierre crucifié à saint Pierre Nolasque, signé en 1629 (Madrid, Museo
Nacional del Prado), La Vision de saint Pierre Nolasque (Madrid, Museo Nacional del Prado), La
Présentation du relief de la Vierge d’El Puig à Jacques I er d’Aragon, signé en 1630 (The Cincinnati Art
Museum), La Reddition de Séville (Grande-Bretagne, collection particulière). Le reste du cycle, composé
d’oeuvres à l’exécution desquelles le maître n’a pas participé, se trouve actuellement dans la cathédrale
de Séville. L’évolution du peintre apparaît très clairement quand on compare ces œuvres à celles
réalisées un peu plus tôt pour le couvent Saint-Paul. Les compositions rudimentaires cèdent la place à
des œuvres révélant l’emploi de moyens techniques plus diversifiés. Les peintures, qui s’appuient sur
des estampes gravées à partir de dessins réalisés en 1627 à Rome par le peintre espagnol Jusepe
Martínez, furent réparties sur les murs du cloître, constituant un programme de vie exemplaire pour les
moines et les novices du couvent.
Ce cycle n’était pas le premier à traiter de la vie de
saint Pierre Nolasque : en 1601, Alonso Vázquez
commençait pour le même couvent un cycle que
Francisco Pacheco achèvera en 1603. Avec l’aide
d’un grand atelier, Juan de Roelas avait lui aussi
réalisé un cycle de peintures sur la vie de moines
martyrs, cycle dont les peintures avaient été
disposées dans les cours intérieures et les galeries
du couvent. Un document 5 de 1730 donne une
description du couvent incluant les œuvres de
Zurbarán qui s’y trouvent. Ce document fait
également état de deux tableaux présents dans
l’église du couvent, et de huit peintures ovales
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représentant des saints fondateurs d’ordres
religieux comme ceux que l’atelier de Zurbarán reproduira dans certaines séries. Aucun de ces tableaux
ne nous est parvenu. Dans la salle De Profundis se trouvaient deux portraits de mercédaires que l’on a
identifiés avec ceux de Saint Sérapion et de Saint Carmelo, dont la copie a été publiée récemment. Dans
la salle dite des Planches se trouvait un groupe de peintures appartenant à des frères vénérables, parmi
lesquelles se distinguent Frère Hernando de Santiago (Madrid, Real Academia de Bellas Artes de San
Fernando) et Le Vénérable Frère Jerónimo Carmelo (Madrid, église Sainte-Barbe). Ces œuvres
comptent parmi les meilleures productions du peintre. Cette localisation des peintures a été rejetée
depuis Guinard, qui les situait dans la bibliothèque et qui proposait pour la salle des Planches deux
oeuvres d’atelier : Saint Carmelo et Saint Pierre Pascal (Séville, Museo de Bellas Artes). Le contrat de
1628 ne fait aucune mention des onze tableaux de religieux de la bibliothèque, où les a vus Ceán
Bermúdez. Comme l’a fait observer Delenda, ils ont toutefois pu compléter dans le contrat les vingt-deux
oeuvres sur la vie de saint Pierre Nolasque qui ne furent finalement pas réalisées — en plus d’un Christ
en croix avec le maître Frère Silvestre de Saavedra aujourd’hui disparu. Les frères connus pour leurs
écrits et leur érudition avaient logiquement leur place dans cet espace. Parmi eux se distinguent Frère
Jerónimo Pérez, Frère Pedro Machado, Frère Francisco Zumel (tous à Madrid, Real Academia de Bellas
Artes de San Fernando), Frère Pedro de Oña (Hôtel de ville de Séville). Le mémoire de 1730 évoque
encore d’autres oeuvres : « Dans la dite chapelle des Reliques, l’on a mis un tableau de Notre Dame avec
son très-saint Fils et couronnée de roses. Il est de Zurbarán. » Parmi toutes les versions de cette
iconographie se distingue celle de la cathédrale de Séville. L’intervention de Zurbarán dans le couvent
s’étira dans le temps et évolua à mesure de l’avancement des travaux. Ceci pourrait s’expliquer par le fait
qu’en juin 1630 y enseignait un certain frère Sebastián de Zurbarán, originaire de Fuente de Cantos et
apparenté au peintre.
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Le rythme de croissance des institutions religieuses ne faiblissait pas dans
la ville. À l’enthousiasme fondateur des ordres religieux se joignait celui
des nobles et des marchands désireux de participer au mouvement. Ce fut
notamment le cas du collège Saint-Bonaventure, à l’activité duquel
contribuèrent deux familles d’origine corse, les Casuche et les Mañara. À
la fin des travaux de construction en 1626, on commanda l’architecture et
la décoration intérieures de l’église au peintre Francisco de Herrera
l’Ancien, suivant ainsi les recommandations d’un des frères érudits du
collège. L’une de ses tâches était d’exécuter à partir du 1er janvier 1628 six
peintures destinées à la nef de l’église du couvent et ayant pour thème la
vie de saint Bonaventure. Pour des raisons confuses, quatre peintures
restèrent irréalisées, et l’on fit appel à Zurbarán pour exécuter le reste de
la commande. La première de ces peintures fut signée en 1629. Les thèmes
développés par Zurbarán correspondent à la maturité et à la mort du saint
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: Saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin devant le Christ en croix,
signé en 1629 (Berlin, Kaiser-Friedrich-Museum, détruit en 1945), Saint Bonaventure au concile de
Lyon, Exposition du corps de saint Bonaventure (tous deux à Paris, Musée du Louvre), Saint
Bonaventure et l’ange (Dresde, Gemäldegalerie Alte Meister). Placés dans la zone supérieure du mur de
l’épître de l’église collégiale, au-dessus des arcs séparant la nef centrale des collatéraux, les peintures de
Zurbarán complétaient le cycle décoratif commencé en 1627 par Herrera l’Ancien, lequel était consacré
à la première partie de la vie du saint et placé sur le mur opposé. Le format quadrangulaire de ces
peintures et l’existence des compositions d’Herrera l’Ancien ont assurément conditionné les travaux de
Zurbarán, qui réalisa des œuvres plus ambitieuses en termes de composition, comme l’exigeaient les
scènes, tout en restant fidèle au traitement dramatique de la lumière.
Par un contrat daté du 26 septembre 1629, l’ordre des Trinitaires, qui avait construit un couvent extra
muros, commandait un retable de Saint-Joseph au peintre inconnu Pedro Calderón, lequel engagea
Zurbarán pour l’exécution des peintures. Le retable, qui se trouvait dans un des collatéraux de l’église,
n’est connu que par des descriptions anciennes et imprécises. Cité pour la première fois comme « maître
peintre de la ville de Séville », Zurbarán, immergé dans les travaux de la Merci et de Saint-Bonaventure,
dut adapter son mode de production à la nouvelle demande en agrandissant son atelier. Le cycle a pu
être reconstitué grâce aux recherches qui ont mis en rapport un ensemble d’oeuvres dispersées liées par
le style, la taille et l’iconographie. L’Enfant Jésus bénissant (Moscou, Musée Pouchkine), se trouvait sur
la porte du tabernacle, où a pu l’admirer Ceán Bermúdez. Récemment, Odile Delenda a proposé
l’existence d’un collaborateur de Zurbarán qu’elle appelle Maître de Besançon, comme auteur de la plus
grande partie du cycle dans lequel — selon les hypothèses les plus plausibles — Zurbarán n’a joué qu’un
rôle mineur. Le programme du retable est constitué de plusieurs scènes de la vie de la Sainte Famille :
Présentation de la Vierge au temple (Madrid, San Lorenzo de El Escorial), Adoration des bergers
(Genève, collection particulière), Adoration des mages (Barcelone, collection particulière), Fuite en
Égypte (Besançon, Musée des Beaux-Arts), Présentation de Jésus au temple (localisation inconnue),
Jésus parmi les docteurs (Séville, Museo de Bellas Artes). Le retable était peut-être couronné par Les
Deux Trinités, peinture de grandes dimensions qu’on a pu voir à la Galerie Piero Corsini, New York.
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LES GRANDES COMMANDES SÉVILLANES
Le prestige acquis par le peintre fit qu’en juillet 1629,
le Conseil municipal de Séville l’invita à s’installer
dans la ville à titre définitif avec sa famille. Lancée à
l’initiative de Rodrigo Suárez, membre du Conseil,
l’invitation, qui se fondait sur la maîtrise des
peintures de la Merci et le Christ du couvent SaintPaul, déclencha un conflit avec la corporation des
peintres, Zurbarán niant la nécessité de passer
l’examen de maîtrise. Le Conseil municipal soutint le
peintre en lui commandant le 8 juin 1630 une
Immaculée Conception — selon toute vraisemblance
celle du musée diocésain de Sigüenza —, un thème qui
ne faisait pas encore partie du dogme catholique mais
qui était une expression de la doctrine populaire
immaculiste que le Conseil s’était engagé à
promouvoir.
À la même époque, les jésuites et les capucins de
Jerez commandent à Zurbarán des œuvres
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présentant des caractéristiques similaires : La Vision
de Frère Alonso Rodríguez (Madrid, Real Academia
de Bellas Artes de San Fernando), signé en 1630, et Le Miracle de la Portioncule (Cadix, Museo de
Cádiz). La composition des deux œuvres présente des similitudes flagrantes. Dans les deux cas, la zone
inférieure du tableau est présidée par le saint, derrière lequel apparaît une architecture à la perspective
peu définie, et qui s’adresse au ciel dans une attitude théâtrale. La gloire, traitée en délicats tons dorés,
abrite le Christ et la Vierge entourés d’anges, conformément à l’aspiration du saint.
Une commande décisive dans la carrière de Zurbarán est celle du collège sévillan Saint-Thomas. Elle
émane de l’ordre religieux qui avait attiré le peintre à Séville. Dans le cadre d’une rivalité avec le collège
Saint-Bonaventure, les dominicains entendaient présenter la figure du saint et Docteur de l’Église
comme référence en matière d’études universitaires. Le contrat de 1631
obligeait Zurbarán et le menuisier Jeronimo Vela à réaliser dans un délai de
six mois un retable avec une peinture de grandes dimensions pour le maîtreautel de la chapelle, conformément aux instructions reçues du recteur du
collège. La prédelle du retable était composée de six peintures représentant
des saints dominicains. De ces peintures, qui n’étaient pas stipulées dans le
contrat, on ignore tout. Du même collège existent aussi deux versions du
portrait de frère Diego de Deza, fondateur du collège. Le retable était placé
sous le signe de L’Apothéose de saint Thomas d’Aquin (Séville, Museo de
Bellas Artes), une oeuvre de grandes dimensions (486 × 385 cm)
représentant saint Thomas en Docteur de l’Église placé sous l’inspiration du
Saint-Esprit, entouré de saints Pères de l’Église d’Occident — Augustin,
Grégoire, Jérôme et Ambroise. Dans la partie basse, Charles I er et frère
Diego de Deza sont entourés de personnages secondaires entre lesquels
s’ouvre une vue du collège avec une représentation de la bulle de fondation.
Dans cette peinture, l’ordre dominicain et le collège, avec saint Thomas
d’Aquin, Docteur de l’Église, sont représentés comme dépositaires et
propagateurs de la sagesse du Saint-Esprit et de l’Église par le truchement
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d’images hautement éloquentes qui empruntent à la culture visuelle du théâtre si largement diffusée à
l’époque.
La qualité de l’œuvre, la mieux payée de son époque, entraîna de nouvelles commandes dans son sillage.
Si l’on ne peut douter que Zurbarán sut s’adapter aux termes du contrat, son interprétation des thèmes
surprit jusqu’aux commanditaires.
Il se peut qu’à cet ensemble appartiennent, comme on l’a proposé récemment, les deux œuvres
magnifiques L’Archange Gabriel (Montpellier, Musée Fabre), et Saint André (Budapest,
Szépmú´veszeti Múzeum). Pendant les années qui suivent son intervention au collège Saint-Thomas,
Zurbarán reçoit à nouveau des commandes d’autres communautés religieuses, mais désormais dans le
cadre de projets moins ambitieux, comme vers 1632~1633 les peintures destinées au collège SaintAlbert, pour lequel Zurbarán peint quatre figures isolées : Saint Pierre Thomas, Saint Cyrille de
Constantinople (Boston, Museum of Fine Arts), Saint Blaise (Bucarest, Muzeul National de Arta al
României) et Saint François d’Assise (USA, The Saint Louis Art Museum).
LA MYSTIQUE PEINTE
Pendant les années qui précèdent son passage à la cour royale
d’Espagne, Zurbarán peint toute une série d’œuvres
indépendantes s'inscrivant dans des cycles et des grands
programmes iconographiques, et dans lesquelles il élabore ses
solutions stylistiques personnelles. Les figures s’y dessinent
solidement au sein de compositions claires, se détachant sur
des fonds obscurs qui enveloppent les personnages, instaurant
un espace vide qui leur confère un volume bien défini. La
lumière qui baigne les personnages et les objets dirige
l’attention vers les qualités particulières de la matière, à
laquelle Zurbarán dédie la plus grande minutie technique. La
plupart de ces œuvres sont des peintures dévotionnelles
conçues avec un sens poétique très développé, chargées d’une
signification profonde, marquées par un goût particulier pour
les choses simples, loin des recueils d’emblèmes
Image 8
minutieusement élaborés au cours des précédentes décennies,
porteuses au contraire de la symbologie qui imprègne la culture
populaire et la religiosité commune. Chez Zurbarán, le propos participe en effet de la communication
poétique, silencieuse et suggestive d’un sentiment spirituel, d’une connaissance profonde et intuitive.
Les scènes et les objets servent à activer l’imagination, comme le voulait saint Ignace de Loyola, pour
développer la prière mentale et « l’œil de l’imagination ». Parmi les œuvres de cette période, on
remarque tout particulièrement celles qui montrent la prédilection du peintre pour les figures infantiles
dont l’innocence laisse filtrer une spiritualité intense. Les représentations d’Immaculées très jeunes,
presque enfantines, comme celles du Prado, du Musée national d’Art de Catalogne, ou celle, non datée,
de la collection Arango, sont un des thèmes privilégiés que Zurbarán commence à cultiver en ces années.
À cet égard, l’Immaculée de Sigüenza, déjà évoquée plus haut, est l’une de ses plus heureuses
réalisations. D’autres exemples où la candeur de l’enfance sacrée de Jésus ou de la Vierge donne lieu à
quelques-unes des plus belles compositions de ces années sont La Sainte Famille et saint Jean-Baptiste
enfant (collection des marquis de Campo Real) ou La Famille de la Vierge (collection Abelló), dans
laquelle la Vierge enfant est représentée avec ses parents. Quelques années plus tard, la Vierge enfant
devient le thème absolu d’œuvres d’une exquise délicatesse, comme la Vierge enfant de la cathédrale de
Jerez, du Metropolitan Museum of Art à New York, ou celle du musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg,
qui date déjà des années madrilènes. Comme le montrent d’autres iconographies novatrices de
Zurbarán, ce sujet sera très demandé et connaîtra un grand nombre d’interprétations par ses suiveurs.
10
D’autres exemples en sont L’Enfant Jésus à l’épine (Séville, Museo de Bellas Artes) et La Maison de
Nazareth (Madrid, Fondo Cultural Villar Mir), deux sujets similaires dans lesquels le peintre préfigure
la Passion du Christ à l’appui d’une scène enfantine et domestique.
Cette période voit aussi naître l’une des interprétations
iconographiques les plus pertinentes de Zurbarán, à
laquelle le peintre reviendra souvent au cours des
années suivantes : l’agneau ou Agnus Dei, parmi lesquels
se distingue en particulier la version du musée du Prado,
ou celle du musée de San Diego. Y est représenté, isolé
devant un fond plongé dans une obscurité totale, un
agneau ou un veau aux pattes entravées, parfois nimbé
ou accompagné des paroles du prophète Isaïe, ce qui en
fait une préfiguration du Christ et de la Passion. C’est ici
Image 9
que s’applique le plus justement la réflexion de Guinard,
reprise par Delenda, selon laquelle il est vain de vouloir
circonscrire le sens symbolique et religieux de telles images. Un autre thème très personnel que
Zurbarán consolide pendant ces années est celui de la Sainte Face, représentation du voile sur lequel,
selon la tradition, le Christ laissa l’empreinte de ses traits alors qu’il montait au Calvaire chargé de la
Croix. Bien qu’elle ait déjà fleuri dans toute l’Europe, cette iconographie subit une redéfinition très
personnelle de la part de Zurbarán, qui la cultivera tout au long de sa vie, comme le feront ensuite son
atelier et ses nombreux suiveurs. La plus ancienne peinture de la Sainte Face est signée en 1631 (Madrid,
collection particulière). La version de la Fraternité sacerdotale de Saint-Pierre à Séville est celle qui la
suit le plus près. Ce thème sera repris au fil des années avec l’aide inégale de l’atelier, mais
l’interprétation du peintre reste la plus frappante : l’effet de trompe-l’œil induit par l’étoffe accrochée à
deux clous contraste avec l’empreinte presque diaphane du visage du Christ souffrant, légèrement
tourné, conférant à la représentation l’apparence achevée d’un reliquaire ou d’un parement d’autel. Le
succès de cette peinture obligera le peintre à satisfaire à une forte demande jusqu’à la fin de sa vie,
comme le montrent la version du musée des Beaux-Arts de Bilbao et celle du Musée national de
Sculpture de Valladolid, qui fut signée en 1658.
Le Christ en croix peint en 1627 pour le couvent Saint-Paul avait valu à Zurbarán une immense notoriété.
Représenté avec quatre clous et presque sans trace de son martyre, il s’inscrivait dans le cadre d’une
réflexion profonde : à la même époque, l’iconographie du Crucifié était en effet l’objet d’une discussion
consciencieuse parmi les théoriciens, au premier rang desquels se trouvait Francisco Pacheco. La
fortune de cette œuvre fit qu’au cours des années suivantes, le peintre dut faire face à une demande de
représentations du même genre à laquelle il répondit avec l’aide de son atelier. Entre toutes les versions
du sujet se distingue aussi le Crucifié mourant du musée des Beaux-Arts de Séville, peint pour les frères
capucins, qui l’installèrent dans la sacristie de leur couvent.
Les bodegones, terme espagnol désignant les natures mortes, constituent indéniablement l’un des
apports les plus originaux du peintre, même s’ils ne peuvent être abordés comme un genre indépendant,
attendu que les éléments qui y sont présentés de manière individualisée se retrouvent ensuite dans de
grandes compositions. C’est notamment le cas de la Tasse d’eau et rose sur un plat d'argent (Londres,
The National Gallery), qui figure dans deux œuvres contemporaines à thématique mariale, donnant à ce
motif une connotation associée à la Vierge. Cette image est aussi un des trois éléments repris dans la
magnifique Nature morte aux cédrats et aux oranges avec une rose (Pasadena, The Norton Simon
Museum). Plus tardive est la Nature morte avec tasse et poteries (Madrid, Museo Nacional del Prado)
dans laquelle les objets s’alignent également sur un même plan, avec une remarquable présence malgré
leur diversité.
11
Image 10
L’extraordinaire faculté du peintre à reproduire les différentes matières et textures superficielles des
objets leur confère une dignité singulière qui contraste avec leur simplicité. Il existe de cette œuvre une
autre version (Barcelone, Museo Nacional de Arte de Cataluña) également considérée comme
autographe, et qui date des dernières années du peintre à Séville. Au-delà de ces œuvres et de la Nature
morte aux friandises sur un plat d’argent (Espagne, collection particulière) — dont l’image est apparue
dans une radiographie de la nature morte de Pasadena —, ou encore de la Nature morte aux coings,
également de petit format, il n’existe guère de natures mortes dues à la seule main du maître. La rare
production de natures mortes fut d’une certaine manière compensée par son fils Juan de Zurbarán
(Llerena, 1620 ~ Séville, 1649). Formé au sein de l’atelier paternel après l’installation à Séville en 1629,
Juan reçut une éducation soignée, cultivant aussi la danse et la poésie. L’on conçoit sans mal qu’après
avoir été un élève privilégié, Juan devint le plus proche collaborateur de son père. À ce jour, son style
n’a pu être isolé dans les grandes séries produites par l’atelier de son père. En revanche, comparée à celle
de son père, sa production personnelle présente des formes plus complexes et des compositions plus
élaborées. L’influence des natures mortes flamandes et italiennes, notamment celles de Juan van der
Hamen y León, et surtout les liens artistiques qui unissent Juan de Zurbarán au bodegoniste Pedro de
Camprobin, ont fait perdre aux objets un peu de leur vie et de leur immédiateté, au profit de la
composition générale, qui présente une plus grande diversité et un plus fort mouvement.
LA COUR DE MADRID
En juin 1634, Zurbarán est appelé à la cour pour collaborer à la décoration du Palais du Buen Retiro,
inauguré l’année précédente comme outil de propagande du monarque Philippe IV, dont le pouvoir
amorçait alors son déclin. Gaspar de Guzmán, comte-duc d’Olivares, Sévillan d’origine, avait compté sur
Vélasquez pour travailler à la cour, mais l’envergure du nouveau projet rendait nécessaire la contribution
d’autres artistes, et c’est peut-être par l’intermédiaire de Vélasquez que Zurbarán fut appelé à la cour.
Le Grand Salon devait être achevé avant juin 1635, avec l’image des rois, l’évocation des hauts faits
propres à les glorifier, des victoires récentes et de la parenté légendaire entre Hercule et la monarchie
espagnole.
12
Sur les murs frontaux du salon furent placés les cinq portraits royaux peints par Vélasquez — que l’on
retrouve à Séville au printemps 1635. Les douze victoires des troupes de Philippe IV, exécutées par les
plus grands peintres espagnols de l’époque, furent réparties entre les deux murs latéraux, tandis que les
dix travaux d’Hercule peints par Zurbarán furent accrochés dans la partie haute, au-dessus des fenêtres.
Comme l’avait fait Vélasquez avec Le Triomphe de Bacchus en 1628~1629 ou La Forge de Vulcain en
1630, Zurbarán conçut son héros mythologique dans une perspective naturaliste : comme un être
humain vigoureux placé devant des entreprises extraordinaires, bien loin de l’image idéalisée diffusée
par la culture classique.
La Défense de Cadix contre l’Anglais (Madrid, Museo Nacional del Prado) et Le Marquis de Caldereita
commandant une flotte sont les deux scènes historiques peintes par Zurbarán. Seule la Défense s’est
conservée : cette première peinture d’histoire éloignait fortement l’artiste de la thématique religieuse en
lui faisant représenter un événement qui s’était produit seulement dix ans plus tôt. La composition en
est résolue comme la plupart des peintures de la série : avec un premier plan réservé aux protagonistes,
tandis que la bataille, reléguée au second plan, occupe le reste de la toile. Au-delà des oeuvres peintes
pour le palais du Buen Retiro, rares sont celles que Zurbarán put réaliser pendant les mois passés à la
cour. Le portrait de Don Alonso Verdugo de Albornoz (Berlin, Gemäldegalerie), placé sous l’influence
manifeste de Vélasquez, a peut-être été peint à Séville. Le séjour de Zurbarán à la cour laissera une
profonde empreinte sur son style. Les collections royales lui ont permis de contempler la peinture de la
Renaissance, mais aussi et surtout celle du baroque, qui l’influenceront, comme l’attestent en particulier
l’adoucissement des contrastes lumineux et la complexité accrue des compositions.
ANNÉES DE SUCCÈS
Image 5
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De retour de Madrid, Zurbarán continue d’exécuter des
commandes, qui commencent à lui venir surtout des environs
de Séville. C’est ainsi qu’en 1636, il réalise pour l’église de
Llerena Notre-Dame-de-la-Grenade, un retable dominé par Le
Martyre de saint Jacques (Madrid, Museo Nacional del Prado).
L’année suivante, Zurbarán peint la série de Marchena avec
l’aide de son atelier, et le cycle aujourd’hui perdu commandé par
les religieuses d’Arcos de la Frontera. Avant d’exécuter les
commandes pour la chartreuse de Jerez et le monastère de
Guadalupe, il peint à Séville les oeuvres destinées à la décoration
de certains retables et dépendances du couvent de la Merci
Déchaussée (Merced Descalza). Vers 1636, le couvent SaintJoseph, de l’ordre de la Merci Déchaussée, construisait une
nouvelle église, et Zurbarán fut chargé des peintures du maîtreautel, dont la disposition n’est pas connue précisément, attendu
que le retable subit d’importantes modifications. Les anciennes
descriptions nous apprennent qu’il était constitué du Père
éternel (Séville, Museo de Bellas Artes) et de deux saintes :
Sainte Apolline (Paris, musée du Louvre), et Sainte Lucie
(Chartres, musée des Beaux-Arts), bien que celles-ci soient
traitées d’une manière très différente.
Il est fort possible que Le Christ couronnant saint Joseph (Séville, Museo de Bellas Artes) ait occupé le
centre du retable. Les retables de la croisée du transept étaient présidés par Saint Antoine (Madrid,
Fondo Cultural Villar Mir) et Saint Laurent (Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage), peintures de
grandes dimensions et d’une conception ample. Dans les chapelles des collatéraux, Zurbarán a aussi
réalisé avec son atelier les peintures de deux retables montrant des scènes de la vie de saint Raymond
13
Nonnat et de saint Pierre Nolasque, qu’Odile Delenda attribue également au Maître de Besançon. Ont
aussi été exécutées par Zurbarán, avec l’intervention de ses assistants, les nombreuses peintures du
cloître — près de quarante —, représentant des martyrs de l’ordre des mercédaires. À la même époque,
vers 1638, Zurbarán exécute aussi les peintures des retables latéraux du collège Portaceli, à Séville. Le
Bienheureux Henri Suso et Saint Louis Bertrand (Séville, Museo de Bellas Artes) dénotent l’empreinte
du séjour madrilène : une nouvelle conception des peintures à un seul personnage apparaît avec des
fonds plus amples et une palette éclaircie.
Le travail de Zurbarán pour la chartreuse de Jerez est peut-être la manifestation suprême de la maturité
du peintre. Le programme incluait les peintures du retable principal, du couloir du tabernacle et des
autels séparant chœur des laïcs et chœur des moines. Au fil du temps, l’ensemble a subi différentes
altérations et a été dispersé après l’invasion française de 1812. Pour les deux compartiments latéraux
verticaux du retable principal, de grandes dimensions et décoré de sculptures de José de Arce et de
menuiseries d’Alejandro de Saavedra, Zurbarán peignit quatre tableaux magnifiques aujourd’hui
conservés au musée de Grenoble : L’Annonciation, L’Adoration des mages, L’Adoration des bergers
signé en 1638, et La Circoncision, signé en 1639. Au-dessus de ces tableaux ont pu figurer ceux des
évangélistes. Le registre inférieur du retable principal était dominé par La Bataille de Jerez (New York,
The Metropolitan Museum of Art), tandis que le registre supérieur était placé sous le signe de Saint
Bruno (Cadix, Museo de Cádiz).
Le couloir d’accès menant de la partie basse du retable au tabernacle conçu comme Sancta sanctorum
et situé en retrait derrière l’église, était entièrement décoré de tableaux représentant, dans la partie la
plus proche du tabernacle, deux anges thuriféraires, et derrière eux, alignés à la manière d’une
procession, quatre frères de chaque côté, tous représentés à peu près en demi taille naturelle. Les
peintures, adaptées aux lignes complexes de l’architecture, représentaient saint Bruno, saint Airald,
saint Anthelme, saint Hugues, saint Arthald, le bienheureux Nicolas Albergati, saint Hugues de Lincoln
et le saint John Houghton (Cadix, Museo de Cadiz). D’autres peintures magnifiques ont été réalisées par
Zurbarán pour lemême ensemble. La Vierge du rosaire (Poznan´, Muzeum Narodowe, Fondation
Raczyn´ski) faisait vraisemblablement partie d’un des retables qui séparaient les deux choeurs.
Concernant L’Immaculée Conception avec saint Joachim et sainte Anne (Édimbourg, National Gallery
of Scotland), de taille légèrement inférieure, on ne sait rien de son emplacement d’origine. À l’époque,
le peintre travaille à la fois sur de grandes commandes et sur la réalisation de majestueux tableaux
d’autel comme Saint Romain et saint Barulas d’Antioche (Chicago, The Art Institute) ou des oeuvres de
grande qualité comme Saint François (Londres, The National Gallery) ou Le Repas d’Emmaüs (Mexico,
Museo Nacional de San Carlos). Le splendide ensemble du monastère royal Santa Marta de Guadalupe,
en Estrémadure, est l’autre grande commande que Zurbarán exécute hors de Séville pendant cette
période. En 1639, après la rénovation de la sacristie du monastère, le peintre met en chantier huit
grandes toiles. Cet ensemble, contrairement à ceux qui ont été cités jusqu’ici, est resté intact à
l’emplacement même où il a été peint. Comme le montre la facture de ces œuvres, la pression des délais
a contraint Zurbarán à faire appel à son atelier. Les peintures montrent des frères vénérables de l’ordre
des hiéronymites 7, parmi lesquels se distinguent Frère Gonzalo de Illescas et Frère André de Salmerón
réconforté par le Christ. Au fond de la sacristie, sous l’égide du Saint Jérôme sculpté par Torrigiano,
une chapelle abrite sur ses murs latéraux deux grandes peintures montrant les scènes les plus
représentatives de la vie du saint : La Tentation de saint Jérôme et Saint Jérôme flagellé par les anges,
tandis que dans l’attique du retable, une peinture de moindres dimensions représente saint Jérôme en
gloire. Ces œuvres sont d’une exécution plus tardive — vers 1645. Mais le travail de Zurbarán culmine
avec la réalisation de deux peintures dont le style permet d’affirmer qu’elles datent de la fin des années
1650, à l’époque où le peintre était déjà établi à Madrid.
Moins solennelles que celles de la sacristie, les scènes qu’elles représentent sont L’Imposition de la
chasuble à saint Ildefonse et Saint Nicolas de Bari. Ces deux ouvres sont caractérisées par un style
adouci et une approche moins austère du sujet. Une autre commande que Zurbarán reçoit
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d’Estrémadure en 1643 est le retable de la Vierge de Miséricorde pour l’église de Zafra. Il s’agit d’un
ensemble sobre et élancé conservé in situ et composé de dix peintures dont la composition et le format
semblent conditionner l’apparence allongée des personnages. La gamme de couleurs s’adoucit du bas
vers le haut, produisant un ensemble particulièrement lumineux dans le registre supérieur, où sont
représentés Saint Michel, Saint Nicolas de Tolentino et, dans l’attique, La Sainte Famille.
Le portrait masculin du donateur — seul autographe — est d’une facture magistrale. Dans le premier
registre sont représentés, de nouveau à raison d’un par compartiment vertical, Saint Jean-Baptiste et
Saint Jérôme. L’intervention d’assistants dans cet ensemble montre qu’au fil du temps, le système de
production de l’atelier s’est appuyé sur une structure de plus en plus nombreuse et diversifiée. En 1644,
Zurbarán épouse en troisièmes noces Leonor Tordera, également veuve, avec qui il aura six enfants. En
même temps, le peintre assiste au tarissement progressif des commandes qui lui ont valu son renom et
ses moyens financiers. Après l’exécution des peintures de Santa Maria de Guadalupe, Zurbarán recentre
sa production sur des séries de tableaux de qualité inférieure qui ne s’inscrivent pas dans le cadre de
commandes concrètes, et dont la plupart devaient être vendus une fois produits.
NOUVEAUX MODES DE PRODUCTION ARTISTIQUE : LES SÉRIES
Plusieurs documents attestent d’une relation soutenue entre Zurbarán et le Nouveau Monde. L’on y
relève différents cas de commandes ou de règlements en instance. La plupart portent sur des ensembles
de natures diverses ou même sur des lots de tableaux. À titre d’exemple, citons une commande de 1647
concernant un lot de peintures destinées à l’église du monastère de l’Incarnation à Lima, ou les
démarches pour obtenir le paiement d’une série de douze portraits équestres de César. Malgré la
participation de l’atelier et la qualité inégale des œuvres, ce qui est réellement intéressant dans ces séries
est qu’elles constituent un témoignage de la liberté créatrice atteinte par le peintre 8. Les peintures et
séries de saintes, dont la Sainte Marguerite d’Antioche (Londres, The National Gallery) est un des
meilleurs exemples, seront un des grands apports de Zurbarán en ce qu’elles établissent un modèle que
son atelier reproduira ensuite avec divers degrés de participation de l’artiste.
Un autre thème cultivé de manière récurrente dans ces séries est celui des romanceros espagnols du
Moyen Âge — notamment les légendes des sept enfants de Lara ou celle des sept Archanges de Palerme—
, qui jouissaient d’une extraordinaire popularité en Amérique. Un exemplaire de référence en est le Saint
Michel qui s’est conservé dans la collection Banco Santander. De cette période datent aussi les peintures
pour le retable de Saint-Pierre, dans la cathédrale de Séville, et le retable de l’église Saint-Stéphane,
toutes réalisées en collaboration avec des membres de son atelier, et dont la datation reste extrêmement
imprécise.
Les peintures exécutées pour la sacristie de la chartreuse Sainte-Marie-des-Grottes, à Séville
(aujourd’hui conservées au musée des Beaux-Arts de Séville), constituent un des ensembles les plus
personnels réalisés par l’artiste : l’on n’y relève en effet la trace d’aucune autre main que la sienne. Créée
pour un espace réduit, chaque peinture était destinée à un mur particulier. Toutes sont « pleines de
bravoure et de tendresse », comme le dit une chronique de l’époque, et chacune représentait les aspects
particuliers de la spiritualité de l’ordre chartreux. La Vierge des Grottes représente la protection que la
Sainte Vierge dispense à l’ordre, La Visite de saint Bruno au pape Urbain II se réfère au modèle
d’humilité que fut le saint fondateur, Saint Hugues au réfectoire des chartreux explique l’origine
mystérieuse de la règle d’abstinence de consommation de viande chez les moines. Le décor de plâtres du
sculpteur Pedro Roldán fut réalisé en 1655, mais certains avis divergent quant à la date d’exécution de
la commande. Les propositions les plus récentes 9 tendent à dater l’œuvre vers 1655 en s’appuyant
surtout sur des références documentaires indirectes, le contrat ne s’étant pas conservé. Reste que
certains aspects touchant la composition et la technique sont suffisamment probants pour envisager une
date de création antérieure, en l’occurrence vers 1635.
15
DERNIÈRES ANNÉES À MADRID
À partir de 1658, Zurbarán s’établit à Madrid, où
il meurt en 1664. Ce changement décisif n’a sans
doute pas été motivé par une seule mais plutôt
par un ensemble de raisons. Vers la moitié du
siècle, suite à l’effondrement du marché
américain et aux guerres menées en Europe, qui
ne favorisent pas le commerce, Séville subit un
grave déclin économique. En 1649, l’épidémie de
peste bubonique, qui emportera Juan de
Zurbarán, réduit considérablement le nombre
d’habitants de la ville et met un frein brutal à
toute activité autre qu’ensevelir les morts,
nourrir les vivants et préparer leurs âmes. Sur le
plan artistique, le retour à Séville du peintre
Herrera le Jeune, après sa formation en Italie et
ses années de travail à Madrid, fait apparaître
que le style de Zurbarán est résolument étranger
à la nouvelle esthétique du haut baroque qui
s’annonce à Séville. Enfin, l’apparition sur la
scène artistique sévillane de peintres comme
Valdés Leal et surtout le jeune Murillo, qui
accaparent les rares commandes encore lancées,
Image612
Image
mettent Zurbarán, toujours avec une famille à
charge, face à la nécessité de changer de ville et
de chercher une nouvelle clientèle. De fait, les peintures que Zurbarán réalise à partir de 1658 signalent
un changement de cap flagrant. En premier lieu, on devine une tentative d’adapter son style à
l’esthétique nouvelle : sa peinture devient plus émotionnelle et plus tendre, une palette plus douce et
harmonieuse bannit les forts contrastes de lumière qui ont assuré sa célébrité au début de sa carrière. Il
s’agit en majorité de peintures dévotionnelles de format plus réduit, dans lesquelles domine une
thématique appropriée au genre : aimables Vierges à l’Enfant, parfois accompagnées de saint JeanBaptiste enfant, comme La Vierge à l’enfantet le petit saint Jean (The San Diego Museum of Art), scènes
de la Sainte Famille comme Le Repos pendant la fuite en Égypte (Budapest, zépmú´veszeti Múzeum),
ou les Vierges enfants de l’Immaculée Conception de l’église de Langon (France). La thématique
dévotionnelle comprend les représentations de saints comme saint François de Paule, sainte Catherine
et saint François d’Assise. Concernant ce dernier, il convient d’attirer l’attention sur la splendide version
de Munich et la découverte récente dans une collection particulière espagnole. Exception faite de la
commande qu’il partage avec Alonso Cano pour la chapelle du couvent franciscain d’Alcalá de Henares,
Zurbarán consacre les dernières années de sa vie à une peinture intimiste et sereine, dans un processus
que l’on suit jusqu’à a dernière des œuvres signées, La Vierge, l’Enfant et saint Jean (Bilbao, Museo de
Bellas Artes) peinte en 1662. Ensuite, Zurbarán tombe malade et s’éteint le 27 août 1664.
16
CREDITS
Image 1
Francisco de Zurbarán, Saint Casilda ca. 1635 oil on canvas, 171 x 107 cm, Inv. 448 (1979.26), Madrid, Museo
Thyssen-Bornemisza
Image 2
Francisco de Zurbarán, Agnus dei ca. 1635-1640 Oil on canvas, 35,56 x 52, 07cm, Inv. 1947.36, The San Diego
Museum of Art, gift of Anne R. and Amy Putnam
Image 3
Francisco de Zurbarán, Saint Gregory, ca. 1626-1627, Oil on canvas, 198 x 125 cm, Inv. CE0171P, Sevilla, Museo
de Bellas Artes
Image 4
Francisco de Zurbarán, Saint Peter Nolasco’s Vision, 1629, Oil on canvas, 179 x 223 cm
Inv. P1236, Madrid, Museo Nacional del Prado
Image 5
Francisco de Zurbarán, Fray Jerónimo Pérez, ca. 1632-1634, Oil on canvas, 193 x 122 cm,
Inv. 667, Madrid, Museo de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando
Image 6
Francisco de Zurbarán, The Immaculate Conception, ca. 1635, Oil on canvas, 174 x 138 cm,
Inv. 35, Sigüenza, Museo Diocesiano (Fundación Perlado Verdugo, Jadraque)
Image 7
Francisco de Zurbarán, Saint Gabriel the Archangel, ca. 1631-1632, Oil on canvas, 146.5 x 61.5 c, Inv. 852.1.2,
Montpellier, Musée Fabre
Image 8
Francisco de Zurbarán, The Young Virgin Asleep, ca. 1655-60, Oil on canvas, 109 x 90 cm
Jerez de la Frontera, Catedral de San Salvador, Cabildo
Image 9
Francisco de Zurbarán, The House of Nazareth, ca. 1644-1645, Oil on canvas, 151.2 x 204.8 cm, Madrid, Fondo
Cultural Villar Mir
Image 10
Francisco de Zurbarán A Cup of Water and a Rose ca. 1630 Oil on canvas, 21,2 x 30,1 cm Inv. NG6566 London,
The National Gallery
Image 11
Francisco de Zurbarán , The Virgin of the Rosary with Carthusians, ca. 1638-1639, Oil on canvas, 325 x 190 cm,
Inv. MNP FR 433, Poznań, Muzeum Narodowe w Poznaniu (Raczyński Foundation)
Image 12
Francisco de Zurbarán, The Virgin and Child with Saint John the Baptist, 1662, Oil on canvas, 169 x 127 cm, Inv.
69/249, Bilbao, Museo de Bellas Artes
17
IGNACIO CANO RIVERO ET GABRIELE FINALDI
COMMISSAIRE IGNACIO CANO RIVERO
Ignacio Cano Rivero, ancien Directeur du Museo de Bellas Artes à Séville (2003-2007) et aujourd’hui
Commissaire en Chef de ce même musée, est un expert de la peinture sévillane et de l’Âge d’Or Espagnol.
Il a publié de nombreux articles sur Zurbarán et a fait des recherches au Department of Baroque
Painting à la National Gallery de Londres. Cano a également organisé de nombreuses expositions,
comme par exemple “Manet and Velázquez, the French taste for Spanish Painting” au MET à New York
et “Zurbarán: IV centenario” à Seville (1998).
CONSEILLER GABRIELE FINALDI
Gabriele Finaldi, Directeur Associé de la Conservation et de la Recherche au Museo Nacional del Prado
à Madrid, est vu comme l’un des experts majeurs du monde de la peinture espagnole et italienne. Ce
titre lui a permis d’organiser d’importantes expositions internationales et de publier des études
approfondies sur des peintres tels que Ribera, Zurbarán et Velázquez. Pendant dix ans, il a également
été le conservateur de la peinture italienne et espagnole à la National Gallery à Londres. En 2002, il a
été nommé Directeur associé de la Conservation et de la Recherche au Prado à Madrid, où il pilote la
réorganisation et l’expansion extraordinaires de la collection permanente du musée
18
CRAIGIE HORSFIELD
29.01 > 25.05.2014
Craigie Horsfield est une figure clé de l’actuelle renaissance de la tapisserie flamande. Dans « The
Archiconfraternity of Santa Monica », Horsfield évoque les notions de lenteur du temps et de profondeur
du présent dans les relations. Pour Horsfield, la tapisserie a une connotation sociale: les fils sont conçus
comme un nombre incalculable de vies faisant partie d’une même communauté, chaque fil étant unique
mais prenant tout son sens dans sa relation avec les autres. Ici, le tissu des robes représentées a été
reconstitué dans le tissu actuel de la tapisserie. Horsfield a été influencé par le portrait de Saint François
par Zurbarán. Dans ce tableau, le tissu grossièrement cousu et usé de la bure du moine est peint avec
une telle intensité graphique qu’il donne l’impression que Saint François est réellement présent et
confère toute sa singularité à l’œuvre. Horsfield fait le lien entre cette matérialité intense, et la fluidité
de la profondeur du présent, et l’œuvre de Cristina Iglesias, dans laquelle l’histoire investit le présent
telle une énergie vivante.
Craigie Horsfield (né en 1949 à Cambridge) vit et travaille à Londres, New York et Naples. Il a
participé à Documenta X et XI (Kassel, 1997, 2002), Whitney Biennial (New York, 2004) et Carnegie
International (Pittsburg 1995). D’autres expositions solo récentes : Kunsthalle Basel (Basel, 2012), M
HKA (Anvers, 2011), Museo di Capodimonte, (Naples, 2008), Museum of Contemporary Art (Sydney,
2007), Jeu de Paume (Paris, 2006), Centro de Arte Moderna – Fundacao Calouste Gulbenkian
(Lisbonne, 2006); Il a de nombreuses œuvres dans des collections publiques (e.a. Tate Gallery,
Londres; Whitney Museum, New York; Walker Art Center, Minneapolis; Museum of Modern Art, San
Francisco et Museum Boijmans van Beuningen, Rotterdam), ainsi que dans des collections privées de
par le monde.
CRISTINA IGLESIAS
29.01 > 25.05.2014
Dans son œuvre, la sculptrice espagnole Cristina Iglesias, connue pour la Fontaine profonde sur la place
face au Musée Royal des Beaux-Arts Anvers, étudie la sculpture comme un objet mis en relation avec
l’espace et l’environnement. Ses sculptures en béton, en fer, en albâtre, en vitrail et en textile ouvrent la
porte à la réflexion et invitent le spectateur à s’interroger sur son rapport évident à la nature.
Cristina Iglesias (née en 1956, à San Sebastian. Vit et travaille à Madrid.) a participé à de nombreuses
expositions internationales et a représenté l’Espagne à la Biennale de Venise en 1986 et 1993. L’artiste
a également été exposée en solo : « Metonomy » au Musée national centre d'art reine Sofía (2012), à
la Pinacothèque de Sao Paolo (2009), au Ludwig Museum (2006) et au Guggenheim New York (1997).
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L’OREILLE DE ZURBARAN
A l’occasion de l’exposition consacrée à Zurbarán, BOZAR invite le public à découvrir son
univers sonore à travers un cycle de concerts, un CD – production inédite avec le label
Cypres et le Huelgas Ensemble –, ainsi que des concerts nocturnes au cœur de l’exposition
et des points d’écoute tout au long du parcours.
29.01 > 26.05.2014
DANS L’INTIMITÉ DU S ACRÉ
L’œuvre riche et contemplative de Francisco de Zurbarán est pétrie de mysticisme. Son art est une
transfiguration du réel, destinée à susciter une forte intimité émotionnelle à l’égard du sacré. Une
émotion que le public pourra également vivre grâce au dialogue entre les œuvres de Zurbarán et le cycle
de concerts L’Intime et le sacré organisé jusqu’au 26 mai autour de la thématique de l’exposition.
Éprouver le sacré au plus profond de soi, une relation que de nombreux compositeurs ont cherché à
imprimer dans leurs œuvres. De Byrd à Händel, la musique sacrée du XVIe au XVIIIe siècle vous engage
sur le chemin de l’ascension spirituelle grâce à des formations telles que le Cercle de l’Harmonie ou le
Huelgas Ensemble, et des artistes aussi talentueux que René Jacobs ou Paul Van Nevel.
Le programme complet des concerts du cycle « L’intime et le sacré » est disponible sur le site BOZAR.
L’OREILLE DE ZURBARÁN : LE DISQUE
Projet élaboré dans le cadre de l’exposition Zurbarán. Maître de l’âge d’or espagnol, qui
se tiendra du 29 janvier au 25 mai 2014 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
BOZAR a le plaisir de s’associer au label Cypres et au Huelgas
Ensemble pour la production d'un CD destiné à rendre au mysticisme
de Zurbarán sa dimension sonore. Quel était l’univers sonore de
Francisco de Zurbarán ? Paul Van Nevel et le Huelgas Ensemble ont
tenté d’approcher l’univers musical du peintre en imaginant ce qu’il
aurait pu entendre à Séville et Madrid au XVIIe siècle. Ce disque,
accompagné d’un livret, présente un florilège d’œuvres sacrées et
profanes pour beaucoup inédites, oscillant entre archaïsme et
modernité. Il entend montrer comment musique et peinture procèdent
d’une même vision du monde, offrant à l’auditeur-spectateur les clés
de compréhension d’une époque dont « mysticisme » fut le maître-mot. Le 26 mai, pour clôturer le cycle
de concerts L’intime et le sacré, le public découvrira en live ce programme musical conçu en dialogue
étroit avec l’exposition.
Coproduction : BOZAR MUSIC | Cypres-Records | Huelgas Ensemble
Prix : €18,00 (- €2,00 pour les BOZARfriends), en vente à la BOZARBOUTIK
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LA MUSIQUE AU CŒUR DE L’EXPOSITION
LES CONCERTS
Afin d’offrir au public une expérience esthétique et sensorielle complète, BOZAR MUSIC propose des
concerts au cœur de l’exposition durant les nocturnes du jeudi. Ceux-ci, qui se feront dans une salle
dédiée exclusivement à la musique, présenteront le riche répertoire musical de l’époque de Zurbarán,
qui se compose en grande partie de polyphonie vocale et dont la majorité est aujourd’hui encore
inconnue du public. Ces concerts représentent également un projet pédagogique dans la mesure où ils
seront interprétés par des jeunes musiciens venus de divers conservatoires dont la classe de musique
ancienne du Conservatoire royal de Bruxelles ou encore le Conservatoire de Lyon. Les étudiants d’un
certain nombre d’ensembles bénéficieront d’un encadrement particulier prenant la forme d’une master
class menée par un spécialiste de la polyphonie belge.
De 18h15 à 20h15 (trois sessions) tous les jeudis durant la durée de l’exposition (29.01 > 25.05.2014), à
l’exception des vacances scolaires.
Gratuit avec le ticket de l’exposition
LES POINTS D’ÉCOUTE
Trois points d’écoute sont placés tout au long du parcours de l’exposition et offrent la possibilité
d’entendre des extraits sonores sélectionnés par Paul Van Nevel. Ces points d’écoute invitent à la
contemplation, aspect central de l’œuvre de Zurbarán.
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ALBERT SERRA
Du 31.01 au 26.02, BOZAR CINEMA & CINEMATEK mettront à l’honneur Albert Serra. En moins de 4
films, le réalisateur catalan s’est imposé comme artiste inclassable et incontournable. Au programme: la
première de son dernier film «Història de la meva mort», une carte blanche et ses films précédents à la
CINEMATEK. Il reviendra le 14.03 pour une rencontre avec Catherine Millet.
L’histoire, la tradition mais surtout le mysticisme et la foi sont au cœur de son œuvre, tout comme chez
Zurbarán.
Figure remarquable du cinéma contemporain, Serra s’est imposé comme un artiste incontournable. Il
dialogue souvent avec l’histoire et la tradition. Des films peu dialogues, presque entièrement portés par
la force des images, en couleur ou dans un noir et blanc énigmatique, des paysages espagnols et des
personnages étranges, sommairement définis, presque beckettiens, qui donnent parfois l'impression
d'appartenir à la faune ou la flore.
PROGRAMME
31.01 - PREMIÈRE HISTÒRIA DE LA MEVA MORT DE ALBERT SERRA – EN SA
PRÉSENCE
(Espagne, France, 2013, 148’)
Palais des Beaux-Arts – Salle M – 20h
Prix € 10 - € 8
Langue : catalan – st français
02.02 - HONOR DE CAVALLERIA
(Espagne, 2006, 95’)
CINEMATEK – 19h30
Langue : catalan – st français
06.02 – EL CANT DELS OCELLS
(Espagne, 2008, 99’)
CINEMATEK – 21h
Langue : catalan – st français
01 > 26.02 - CARTE BLANCHE ALBERT SERRA – PRÉSENTÉE PAR ALBERT
SERRA LE 01.02 (CINEMATEK)
14.03 – RENCONTRE ALBERT SERRA & CATHERINE MILLET
Palais des Beaux-Arts – Studio
Prix € 8 - € 6
Langue : français
En coproduction avec BOZAR LITERATURE
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CATALOGUE
A l’occasion de l’exposition, un catalogue richement illustré sera réalisé. La publication comprendra des
contributions d’entre autres Ignacio Cano Rivero (étude introductive et contextualisation culturelle de
Zurbarán dans son époque), Odile Delenda (Status Questionis Zurbarán), Gabriele Finaldi (Zurbarán et
l’art italien), Benito Navarrete (Zurbarán et son atelier), Paolo Tanganelli (Zurbarán et la Mysticisme)
et Maria del Valme Muñoz Rubio (Les matériaux et techniques de Zurbarán).
248 pages
€ 49 dans la BOZAR BOUTIK
Deux versions : NL et FR
BOZAR BOOKS & Mercatorfonds
INFORMATIONS PRATIQUES
ZURBARÁN. MAÎTRE DE L'ÂGE D'OR ESPAGNOL
Adresse
Palais des Beaux-Arts
Rue Ravenstein 23
1000 Brussel
Dates
29.01>25.05.2014
Heures d’ouverture
Du mardi au dimanche, 10.00 > 18.00 uur
Jeudi: 10.00 > 21.00 uur
Fermé le lundi
Tickets
€12 - €10 (BOZARfriends).
Tickets combinés : Zurbarán + Borremans : €18 - €16 (BOZARfriends)
Tickets combinés : Zurbarán + Borremans + Nautilus: €23 - €21 (BOZARfriends)
Plus de réductions: www.bozar.be
BOZAR Info & tickets
+32 2 507 82 00 – [email protected] - www.bozar.be
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COORDONNÉES DU SERVICE PRESSE
Palais des Beaux-Arts
Rue Ravenstein 23
B – 1000 Bruxelles
Info & tickets: T. +32 (0)2 507 82 00 - www.bozar.be
Hélène Tenreira
Senior Press Officer BOZAR THEATRE, DANCE, CINEMA, CORPORATE
T. +32 (0)2 507 84 27
T. +32 (0)475 75 38 72
[email protected]
Déborah Motteux
Press Officer BOZAR EXPO
T. +32 (0)2 507 83 89
T. +32 (0)471 95 14 60
[email protected]
Barbara Porteman
Press Officer FESTIVAL, WORLD MUSIC, ARCHITECTURE
T. +32 (0)2 507 84 48
T. +32 (0)479 98 66 04
[email protected]
Laura Bacquelaine
Press Officer BOZAR MUSIC, LITERATURE
T. +32 (0)2 507 83 91
T. +32 (0)471 86 22 31
[email protected]
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