monoprix discrimination syndicale cgt licenciement abusif

Monoprix discrimination syndicale cgt licenciement abusif
Au Monoprix Roquette, la chasse aux syndicalistes est ouverte
Henri Le Roux
Mardi, 29 Juillet, 2014
Akila Diagne, déléguée CGT, est sous le coup d'une procédure de licenciement avec mise à
pied immédiate engagée par la direction.
Crédit: HLR
La directrice de ce magasin du 11e arrondissement parisien veut se débarrasser d'Akila
Diagne. Par tous les moyens, y compris les plus douteux !
La déléguée CGT en est à sa sixième ou septième mise à pied. Déjà, en mars 2008, elle avait
été accusée de vols , arrêtée et menacée de licenciement avant d'être complètement blanchie
par l'Inspection du travail. Akila Diagne, 55 ans, dérange la direction du Monoprix Roquette,
où elle travaille depuis 1987 comme chargée du rayon lingerie.
Représentante syndicale, elle est aussi secrétaire du CHSCT (comité d'hygiène, de sécurité et
des conditions de travail), élue et trésorière du CE (comité d'entreprise). En récompense de
ses loyaux services, la direction a engagé contre elle, le 25 juin dernier, une procédure de
licenciement "pour faute grave" avec mise à pied immédiate.
Depuis mai 2011 et l'arrivée de Jocelyne Flips à la tête du magasin, les attaques contre les
salariés sont légion et les conditions de travail de plus en plus difficiles, malgré plusieurs
mouvements de grève victorieux. Fin 2013, la nouvelle directrice avait déjà supprimé douze
postes d'employés, mais presque doublé le personnel encadrant(*).
Les élus CGT (syndicat majoritaire), considérés comme les "meneurs", sont les premiers
visés. Pressions permanentes, insultes, provocations, menaces, la discrimination syndicale est
d'autant plus violente que tout est fait pour diviser les salariés. "Pour la directrice, c'est
donnant donnant, tu fais quelque chose contre Akila, je t'aide", raconte la déléguée, qui ajoute
que Mme Flips a juré qu'elle ne quitterait pas le magasin avant d'avoir eu sa "tête".
Insinuations, insultes... agressions physiques
Le licenciement d'un salarié "protégé" doit faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès
de l'Inspection du travail, qui doit déterminer si ce licenciement a - ou non - un lien avec le
mandat syndical du salarié. Désormais mise à pied, Akila Diagne prépare sa défense. Le
soutien et les témoignages collectés auprès de ses collègues et de nombreux clients semblent
lui donner raison.
Alors que nous parlons, elle reçoit un coup de fil. L'un de ses collègues s'est fait "remonter les
bretelles" par la directrice parce qu'il a témoigné en sa faveur. "Pour attester en faveur d'Akila,
il faut être très courageux", ajoute Marie-Thérèse Podevin, de l'Union syndicale CGT
Commerce de Paris.
"Elle me salit devant les salariés en insinuant que le CE détourne de l'argent", s'indigne Akila
Diagne. "Elle m'insulte devant tout le monde, devant les clients, en disant que je suis la honte
du magasin, que je ne fous rien, que je suis une menteuse, que je me cache derrière la loi, que
je suis une moins que rien..." La déléguée CGT parle aussi d'agressions physiques "régulières"
de la part de Mme Flips ou par l'intermédiaire des vigiles.
"Un jour, elle me demande de signer un ordre du jour du CE avant de le lire. Je lui ai répondu
que j'allais le photocopier puis prendre le temps de le lire avant de le signer. Mme Flips est
venue dans le local syndical. Elle criait. Elle a essayé de m'arracher la photocopie des mains
et, en faisant cela, elle m'a griffé le bras avec ses bijoux. Quand je suis allé la voir pour lui
dire que j'allais porter plainte, je l'ai vue se griffer l'épaule elle-même. Elle se faisait mal pour
faire croire à tout le monde que je l'avais agressée. Puis elle a convoqué un salarié pour qu'il
témoigne contre moi au commissariat. Elle voulait lui dicter ce qu'il devait dire !"
Akila Diagne est mise à pied depuis le 25 juin. Un timing "parfaitement choisi" selon MarieThérèse Podevin. "Akila n'a pas eu de paie pour le mois de juillet et elle avait posé ses congés
en août. Elle part donc en vacances avec un mois de salaire en moins." Mariée et mère de
quatre enfants, l'intéressée ajoute : "Dernièrement, elle m'attaque au porte-monnaie".
Le 27 juin, la CGT, le Front de gauche, des associations féministes et des salariés du magasin
et d'autres entreprises sont rassemblés devant le Monoprix Roquette pour soutenir Akila
Diagne.
Crédit: DR
"Projet de licenciement pour faute grave"
Dans l'épais dossier déposé à son encontre à l'Inspection du travail, Mme Diagne est accusée
de tous les maux. "L'insubordination disciplinaire, ainsi que les dénigrements, violences et
actes de harcèlement qui portent atteinte à la santé physique et mentale des autres salariés et
au fonctionnement du Magasin Monoprix Roquette", permettraient, selon la direction, de
justifier le "projet de licenciement pour faute grave" de la déléguée syndicale.
Des dizaines d'attestations et de déclarations signées par la responsable et ses soutiens dans
l'entreprise font état du "comportement agressif et insultant récurrent" d'Akila Diagne "à
l'encontre tant des membres de l'encadrement et de la Direction de l'établissement que de
nombreux autres salariés voire de clients du magasin".
A l'opposé de ce portrait monstrueux, Marie-Thérèse Podevin reconnaît "une très bonne
déléguée", qui "continue à bosser et à assumer ses fonctions de déléguée malgré les coups, les
insultes." "La directrice a fabriqué un dossier d'une façon spectaculaire avec des témoignages
de salariés et des attestations mensongères", explique la syndicaliste.
Un audit pour justifier la discrimination syndicale
A charge également, l'audit social de la société Monoprix Roquette mené du 22 mai au 4 juin.
L'Humanité a pu consulter ce maigre rapport, dont les six pages barrées de la mention
"Hautement confidentiel" insistent sur "le comportement de certains élus" syndicaux. Après
s'être entretenu avec un échantillon "représentatif" de 27 salariés (*), l'auteur constate "des
conditions sociales et humaines de travail très dégradées", "pouvant porter atteinte à
[l']intégrité morale" des salariés. Et de souligner, en caractères gras :
"Je considère qu'il y a 10 salariés, en souffrance morale. Les personnels concernés sont
majoritairement des responsables. Je m'autorise à y inclure la directrice du magasin qui ne se
manifeste pas à ce sujet, mais qui supporte les assauts répétés de certains élus et doit de plus
rassurer, accompagner et épauler les équipes."
Dans son "plan d'action", l'expert suggère de procéder à des mutations dans d'autres magasins
de "certains managers ou salariés très éprouvés", mais aussi de salariés "ayant perdu la
confiance et l'estime de leurs collègues". Il insiste : "Les salariés espèrent que les auteurs de
troubles seront rapidement rappelés à l'ordre, sanctionnés ou mutés."
L'auteur de cette étude, Pascal Depoortere est expert conseil en ressources humaines agréé
IPRP (Intervenant en prévention des risques professionnels) et consultant pour la société
Essentiel formation et coaching, filiale du groupe Avera, à laquelle Monoprix a commandé
l'audit. Jusqu'en 2010, Pascal Depoortere était directeur de la sécurité des Galeries Lafayette.
Or, entre 2004 et 2007, Mme Flips a exercé les fonctions de directrice des Galeries Lafayette
de Rouen et de Montauban. "Ils sont amis", assure Akila Diagne. Sur son site Internet, la
société Essentiel vante la neutralité de ses consultants, "un regard extérieur, bienveillant,
respectueux et discret, à la bonne distance". A l'opposé du contenu de l'étude et du
témoignage de la déléguée CGT : "Pendant l'audit, il mangeait avec la directrice tous les
midis".
Le 22 juillet, les deux parties se sont confrontées devant l'inspectrice du travail, qui rendra sa
décision le 5 septembre prochain, après enquête.
Ni la directrice du magasin, ni la direction du groupe Monoprix n'ont souhaité répondre à nos
questions, cette dernière se contentant de rappeler que "la procédure est en cours".
(*) Au 31 décembre 2013, la société Monoprix Roquette employait 93 personnes (contre 99
au 30 avril 2011), dont 79 employés, 5 agents de maîtrise et 9 cadres.
Source L'Humanité.fr