La Gelinotte des bois peut-elle vivre en Morvan? - Bourgogne

les espèces en voie de disparition
La Gelinotte des bois Bonasa bonasia
peut-elle vivre en Morvan ?
Régis DESBROSSES 12 Rue Saulx de Tavane - 21560 Arc sur Tille - [email protected]
Résumé
La Gelinotte des bois est un oiseau qui n’appartient pas à l’avifaune du Morvan, bien
que ce massif de moyenne montagne possède de réelles capacités d’accueil pour l’espèce.
Malgré la présence de ressources alimentaires hivernales et la forte couverture forestière,
l’espèce n’y a jamais été contactée. Les conditions climatiques atlantiques semblent être
la seule explication de cette absence. A défaut de démontrer combien le climat atlantique
ne permet pas à une population de se développer, nous démontrons que le climat continental, même s’il est parfois très rude, est favorable à une espèce qui a su adopter un
comportement spécialisé. Nous étayons cette hypothèse à partir des observations faites
dans le Jura entre 1982 et 1997.
Introduction
Les Tétraonidés sont des oiseaux originaires des forêts boréales ; ils se sont bien maintenus dans les forêts de moyenne montagne d’Europe occidentale et centrale jusqu’au
milieu du vingtième siècle. Mais depuis, le déclin est généralisé en Europe (Amblard 1991,
Ledant 1991, Marti 1988, Dronneau 1989, Desbrosses 1993). Espèce sédentaire
très exigeante quant à la structuration de l’habitat forestier, la présence de ressources
alimentaires précises en hiver, la Gelinotte a été victime de la modification des pratiques
en sylviculture, des prélèvements cynégétiques et dans une moindre mesure, des nouveaux
usages de la forêt notamment par le tourisme.
La Gelinotte en Bourgogne …
Au cours du 20e siècle, la Gelinotte est signalée très localement à l’est de Côte-d’Or
(Heim de Balsac 1935, Desbrosses 1985) mais n’a jamais été observée en Morvan,
territoire de moyenne montagne a priori favorable par son fort taux de boisement. De
rares observations à l’est des reliefs morvandiaux signalent des individus erratiques, qui
n’ont jamais établi une population durable : un individu à Autun, une nichée en Auxois
sont les données les plus proches.
L’hypothèse d’une situation climatique atlantique défavorable à l’espèce semble en
être la meilleure explication.
... et en Jura
Afin d’étayer cette hypothèse, il est nécessaire d’analyser les résultats de l’étude qui
a été conduite dans le Jura, mais également dans l’est de la Côte-d’Or entre 1982 et
1997 (Desbrosses 1997). La dynamique de population étudiée en Jura tend à montrer
que la réussite de la reproduction est étroitement liée à la chronologie météorologique
hivernale et printanière. Ainsi l’espèce sait-elle tirer parti du climat continental avec des
hivers rudes et enneigés qui apparaissent plutôt favorables.
Les conditions climatiques qui règnent dans cet habitat peuvent être très rigoureuses et
ne sont pas transposables à celles du Morvan. Au cours de notre étude ont été enregistrées
certaines années des conditions climatiques spectaculaires : un cumul d’enneigement qui
dépasse 6000 mm au cours de l’hiver 1982-1983, des températures nocturnes au-dessous
de -35°C en janvier 1985, plus de 2000 mm de précipitations annuelles. La zone d’étude
ne se libère habituellement de sa couverture neigeuse qu’au cours de la seconde quinzaine
de mai. Nous avons cependant observé une période de moindre enneigement au début
des années 90 qui a conduit à un déneigement complet dès la fin de mars.
Ces exemples démontrent que l’espèce peut supporter des situations de survie très
difficiles et qu’elle résiste aux conditions extrêmes proposées par le climat continental.
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Photographie 1 : Gelinotte attentive. Lorsqu’elle perçoit un
danger, la Gelinotte recherche un perchoir dans les arbres et
se met en observation. Risoux 24 mars 1987
Photographie 2 : Gelinotte se déplaçant sur une branche
horizontale de Hêtre. Risoux 24 mars 1987
Présentation de l’espèce
La Gelinotte des bois est une espèce qui a été peu étudiée dans son habitat forestier,
cela pour plusieurs raisons :
• un comportement très discret, que ce soit au niveau des manifestations territoriales
(chant, parades) ou lorsque survient un danger : elle se dissimule dans le sousbois, reste en observation et ne fuit qu’au dernier moment,
• le plumage est très mimétique et l’oiseau passe facilement inaperçu,
• le milieu occupé est assez difficile à pénétrer pour un observateur qui cherche à
contacter l’espèce : présence de sous étage pouvant être dense,
• les densités sont faibles et la recherche des individus fastidieuse ; il faut 3 journées
complètes de prospection pour contacter un individu dans l’est de la Côte-d’Or.
Les méthodes de dénombrement
Nous avons appliqué trois méthodes d’étude à la population de Gelinotte du massif
du Risoux dans le Haut-Jura (département du Jura) : recherche d’indices de présence sur
neige, battue en ligne et rappel. Ces 2 dernières permettent de connaître l’évolution des
effectifs à des saisons différentes et pour la même population pendant 15 ans.
Disposant d’un suivi continu des effectifs de la population et des variations climatiques qui ont été enregistrées pendant la même période, nous avons mis en parallèle ces
données afin de vérifier si les conditions climatiques influaient notamment sur la réussite
de la reproduction.
La battue en ligne
Disposés sur une ligne qui avance de front, conduits par un batteur situé au centre de
la traque et qui donne l’allure et la direction, les 7 à 10 observateurs silencieux, espacés
de 25 mètres identifient et signalent tous les tétraonidés, oiseaux pièteurs, qui sont levés
depuis le sol. Appliquée en été, c’est une excellente méthode pour connaître le taux annuel
de réussite de la reproduction de la Gelinotte. Elle nécessite la participation d’un grand
nombre d’observateurs.
Le rappel
Au printemps et en automne, l’observateur parcourt la zone d’étude et émet à intervalles
réguliers, tous les 120 mètres environ, 5 appels à l’aide d’un appeau qui imite parfaitement
le chant du mâle. Lorsqu’une Gelinotte répond, toutes les caractéristiques de la réponse
sont notées et le chant est codé. C’est une méthode souple, efficace et rapide, elle s’applique aussi bien à des populations de bonnes densités qu’à des populations marginales.
Elle ne comptabilise que les mâles stimulés dans leur comportement territorial.
Cette méthode a permis de décrire des modes de réponses dissociables notamment
en fonction de la saison et de la situation du mâle territorialisé (mâles célibataires et
appariés).
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Le rappel est la seule méthode qui peut être utilisée pour des populations relictuelles
et marginales. En plaine de Saône Côte-d’Orienne, la méthode nous a permis d’observer
des Gelinottes dans des forêts de feuillus purs, situation exceptionnelle dans l’ensemble
de l’aire de répartition. La plupart des études ont montré qu’elle apprécie et recherche
surtout les peuplements mixtes, où la protection apportée par les essences résineuses
est importante.
Solliciter la réponse d’un mâle est la seule solution pour révéler sa présence. D’autres
solutions pour découvrir les individus : une écoute du chant spontané ou la recherche d’indices de présence ou encore les enquêtes, sont beaucoup plus incertaines et inefficaces.
Ainsi nous avons réussi 10 contacts avec les oiseaux de forêts de plaine, ce qui nous
a permis de réaliser des observations étonnantes et peut-être uniques de Gelinottes mâles
sur un parterre d’Anémone sylvie (Anemone nemorosa) en fleur en forêt de Chaume et
Courchamp, ou la fuite d’un couple qui s’est réfugié dans une parcelle inondée par la
Saône, en forêt de Talmay.
Dans le Parc Naturel Régional des Vosges du Nord, le rappel appliqué à une population réputée disparue n’a pas permis de mettre en évidence dans les parcelles les plus
favorables la présence éventuelle d’individus. Ce qui ne signifie pas que, dans ce vaste
espace boisé où l’espèce a pourtant été notée nicheuse, elle n’est plus présente ; là encore,
aucune autre méthode ne peut donner plus de précisions.
Les besoins de l’espèce
Le facteur ressources alimentaires
La prospection dans les zones d’enneigement constant en hiver nous a permis de
confirmer que la Gelinotte recherche des bourgeons d’essences alimentaires très précises
en hiver. Dans le haut Jura, il s’agit du Sorbier des oiseleurs (Sorbus aucuparia), et en
plus basse altitude, du Noisetier (Corylus avellana). Un tiers de l’alimentation est constitué
d’autres essences feuillues, mais les essences résineuses n’apparaissent jamais.
Dans les habitats étudiés en Scandinavie, les ressources principales sont le Bouleau
(Betula sp.) et l’Aulne (Alnus glutinosa) (Swenson 1991). En plaine de Saône, c’est
l’Aulne et le Noisetier qui sont recherchés.
L’utilisation de la couverture neigeuse comme protection
Pour passer la nuit en sécurité, la couverture neigeuse est habilement mise à profit par
la Gelinotte afin de se protéger des conditions climatiques et des prédateurs forestiers,
au premier rang desquels se rencontre, en hiver, la Martre (Klein 1989). La Gelinotte
creuse dans la neige poudreuse et constitue un igloo dans lequel elle ne reste qu’une
seule nuit. Lors de forts épisodes neigeux, nous avons pu découvrir des couloirs de fuite
dans la neige et des igloos diurnes. Pour établir un igloo nocturne, la Gelinotte force un
tunnel qui présente un coude à 90°. Cette curieuse situation, jusqu’ici jamais décrite,
a sans doute pour objectif de tromper un prédateur qui aurait suivi les traces et trouvé
l’entrée de l’abri.
En absence de neige, le perchoir nocturne est installé dans un petit épicéa, mais il
n’offre aucune protection thermique et expose l’oiseau à ses prédateurs.
Ainsi la régularité des précipitations neigeuses, sans réduire l’accès aux ressources
alimentaires, procure un bénéfice évident.
La couverture neigeuse évolue assez rapidement, et à l’issue d’une semaine sans précipitations, les Gelinottes ne peuvent plus forcer des tunnels dans la neige tassée. Dans
ces conditions, nous avons observé des tentatives infructueuses de construction d’igloos
indiquant l’insistance avec laquelle les individus recherchent cette protection.
La découverte d’un igloo «de fortune » au bout d’un sillon superficiel de plusieurs mètres
qui n’a pas permis à la Gelinotte de s’enfoncer totalement dans la neige ; au cours de la
nuit, elle n’a été que partiellement recouverte.
Ou encore cet individu qui traverse en piétant un petit vallon abrité pour gagner le
versant exposé au nord ; il s’envole et plonge immédiatement dans la neige ; celle-ci trop
transformée ne lui permet pas d’être recouvert. Il repart à pied et effectue une nouvelle
tentative sans plus de succès. On retrouve à proximité un perchoir nocturne dans un
épicéa.
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Photographie 4 : on devine au fond de la “chambre”, les
fientes émises pendant la nuit. L’oiseau vide totalement son
tube digestif au cours de la nuit. Une légère dépression souligne le couloir entre l’entrée et la chambre.
Photographie 5 : arrivée en vol (en haut à gauche), la
Gelinotte a plongé dans la poudreuse pour y disparaître.
Une fois recouverte, elle pivote d’un angle de 90°, force un
couloir et établit sa chambre de laquelle elle repart en piétant au lever du jour.
Photographie 6 : cette photo résume l’activité de la
Gelinotte ; le soir, elle arrive en piétant (de gauche à droite)
et installe un igloo nocturne : entrée, couloir, chambre qu’elle quitte au matin en volant, se pose à quelques mètres,
vide ses coecums et part en prospection alimentaire.
Photographie 7 : lorsque la neige est transformée, les igloos
ne sont plus possibles ; l’oiseau a plongé, à deux reprises,
sans réussir à disparaître dans le manteau neigeux. Il abandonne les igloos et dort dans les épicéas.
Photographie 8 : autre exemple de tentative d’igloo ; sur 2
mètres, l’oiseau tente de se cacher dans la neige ; comme il
n’y parvient pas, il passe la nuit en partie recouvert.
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Photographie 3 : L’igloo est constitué dans la neige fraîche.
Sa découverte n’est pas toujours facile notamment lorsque l’oiseau est arrivé en vol et qu’il est reparti en volant.
Lorsqu’il est arrivé en piétant, c’est la trace qui nous conduit
à des trous dans la neige. Ici, il a déjà plusieurs jours.
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Les résultats
Les comportements de réponse lors du rappel
Lorsqu’un mâle territorialisé repère le « rival » que représente l’observateur, sa réponse
n’est pas toujours identique. Nous avons distingué un certain nombre de comportements
associés à la réponse. L’un d’eux obtenu rarement mais exclusivement au printemps (11%
des réponses printanières) a retenu notre attention parce que très surprenant : le mâle
se met à chanter avec une grande régularité, une phrase toutes les 30 secondes pendant
plus de 30 minutes : la réponse de « plein chant ». Habituellement, l’oiseau répond par
un nombre variable de chants (1 à 15) qui sont de plus en plus espacés ; le silence de
l’oiseau qui attend une réaction du « rival » peut durer alors trois minutes.
Autre caractéristique du plein chant : il apparaît une synchronisation des mâles dans
la zone d’étude. Lorsqu’un individu réagit de cette façon, d’autres réactions du même type
sont obtenues le jour même ou au cours d’une période d’environ 8 jours.
Mais d’une année à l’autre, ces pleins chants ne sont pas notés à la même date.
C’est en rapprochant cette période annuelle de la chronologie climatique printanière, que
nous avons pu établir l’impact des conditions météorologiques sur le déclenchement des
accouplements.
Nous avons eu l’occasion d’observer à trois reprises un mâle qui répondait à l’appeau par le plein chant : il accompagne une femelle, il se tient en évidence sur un petit
promontoire tel un rocher ou une souche d’arbre ; la poule ne cesse de s’alimenter en se
déplaçant au sol. Lorsqu’il la juge trop éloignée, le mâle la rejoint en piétant, esquisse une
rapide posture de parade autour d’elle comme s’il la contraignait à ne pas s’écarter, puis
il reprend son rôle de surveillance et se signale en chantant. Nous lui attribuons le rôle
de mâle sentinelle. Celui-ci est particulièrement vigilant vis à vis de la femelle alors que
cette dernière, entrée dans la phase de réceptivité et de ponte, s’alimente en permanence
et ne se préoccupe pas de sa sécurité.
Les dates de plein chant obtenues ont été les suivantes :
1987 : 1er mai, 07 mai et 08 mai,
1989 : 09 mai,
1990 : 15 avril,
1991 : 26 avril (2 réponses),
1992 : 08 mai,
1993 : 22 avril,
1994 : 10 mai (2 réponses) et 12 mai,
1995 : 7 mai,
1996 : 1er et 8 mai (2 réponses).
Les dates extrêmes s’étalent sur près d’un mois et indiquent que les périodes de ponte
varient d’une année à l’autre. C’est la disponibilité des ressources alimentaires qui permet aux femelles de s’alimenter suffisamment en prévision de la constitution des œufs.
Cette alimentation est composée de pousses printanières et bourgeons de myrtilles qui
n’apparaissent que lorsque le manteau neigeux a disparu.
Nous avons mis en relation les dates de plein chant avec le cumul de l’enneigement.
Le plein chant se situe en mai au cours des 5 années qui connaissent un fort enneigement. De 1990 à 1993, les cumuls d’enneigement sont faibles voir nuls (1991), le plein
chant a lieu en avril.
Nous n’avons observé qu’une seule ponte, celle-ci était complète le 16 mai 1989 avec
7 œufs. Le premier œuf aurait été pondu vers le 7 mai (chaque œuf est pondu avec un
intervalle de 1.3 jour) et nous avons observé le plein chant le 9. L’incubation a débuté le
16 avant la nuit, ce qui conduit à une éclosion aux alentours du 10 juin.
Les résultats de la battue.
La battue donne d’excellents résultats en ce qui concerne les nichées et la réussite
de la reproduction. Nous obtenons chaque année le nombre d’adultes, de femelles et de
poussins à partir desquels nous déterminons la densité pour 100 ha. Le taux de reproduction (nombre de jeunes par femelle) a varié de 0 à 2.9 jeunes par poule.
Nous avons recherché d’éventuelles corrélations entre les densités d’adultes et le taux de
reproduction, et des variables climatiques qui nous ont été fournies par Météo France.
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L’influence des facteurs climatiques
Aucune corrélation n’est vérifiée entre la densité d’adultes et un des facteurs climatiques saisonniers retenus :
- températures moyennes mensuelles et annuelles,
- cumuls mensuels et annuels de précipitation,
- cumul de l’enneigement hivernal.
Dans la zone d’étude, il n’y a pas eu d’influence directe des facteurs climatiques
annuels sur les densités d’adultes. Par contre, le taux de reproduction est influencé par
les facteurs climatiques de l’hiver et du printemps.
L’enneigement hivernal.
Les trois années de très faible enneigement : 1990, 1991 et 1993 sont les années
de plus faible taux de reproduction ; l’année 1991 étant nulle. A l’inverse, les printemps de bonne reproduction font suite à des hivers de fort enneigement (1988, 1984).
L’enneigement faible apparaît être un facteur climatique défavorable pour la réussite de
la reproduction.
La température moyenne de juin.
Lorsque la moyenne des températures de juin est inférieure à 11°C (moyenne la plus
basse), la reproduction est mauvaise. Les années de forte reproduction ont connu des
températures moyennes supérieures à 12°C.
Les faibles températures de juin sont défavorables à la reproduction.
Les précipitations de juin.
4 des 5 années ayant des précipitations en juin supérieures à 200 mm sont des années
de mauvaise reproduction ; à l’inverse, toutes les années de bonne reproduction ont connu
un mois de juin peu arrosé.
Les précipitations fortes de juin conduisent à une forte mortalité des poussins.
En testant ces corrélations, seules les précipitations de juin sont bien corrélées aux taux
de reproduction. Les fortes précipitations sont accompagnées de températures basses.
C’est au cours de la première semaine de leur vie que les poussins sont particulièrement
vulnérables parce qu’ils ne sont pas capables d’une parfaite thermorégulation. Nidifuges,
ils ont le choix entre s’alimenter en s’exposant aux précipitations et basses températures,
et rester sous la protection et la chaleur de la femelle et ne pas s’alimenter. Aussi les
périodes de fortes précipitations et les vagues de froid constituent un réel danger pour
eux. Plus les éclosions seront tardives en juin, plus les conditions météorologiques seront
potentiellement favorables.
Discussion
Chronologie climatique et taux de reproduction.
Au cours de l’hiver, les Gelinottes sont soit seules (80 % des cas) soit appariées
(20 %). L’enneigement régulier leur procure une possibilité de protection importante
avec les igloos. Dans ces conditions, les femelles arriveront au printemps dans de bonnes
conditions physiologiques pour débuter la période de reproduction en avril. Les couples
se forment, les mâles se manifestent par des réponses à l’appeau. Les précipitations
neigeuses maintiennent encore longtemps un manteau continu qui interdit tout accès
à la nourriture printanière. Celle-ci est constituée de pousses tendres et de bourgeons
de myrtille. Leur apparition est un moment décisif puisqu’à partir de cet événement, les
femelles vont alors consacrer l’essentiel de leur activité à l’alimentation. Elles deviennent
réceptives et les mâles qui les accompagnent ne les quittent plus, jouant un rôle important
de sentinelle efficace contre les prédateurs et les rivaux. L’observateur peut repérer cet
événement avec l’apparition du plein chant.
La date du début de la ponte varie donc d’une année à l’autre en fonction de la phénologie de la végétation, elle-même dépendante de l’enneigement. Il est indispensable
que la femelle trouve de nouvelles pousses printanières très nutritives. Le gain de poids
indispensable avant le début de la ponte atteint 30 % de la masse corporelle. Tant que
persiste l’enneigement, la nourriture n’est pas disponible.
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Les années au cours desquelles l’enneigement est faible sont des années à reproduction
précoce, exposant d’autant plus les poussins à des conditions défavorables à l’éclosion.
En 1990, le déneigement est complet fin mars, le plein chant est observé vers le 15 avril,
date la plus précoce. Les éclosions ont pu se situer vers la fin mai, les précipitations de
juin sont supérieures à 200 mm et la température moyenne est de 9°C : la reproduction
est mauvaise.
Lorsque l’enneigement est fort et que des chutes de neige surviennent fin avril, les
dates de dépôt des pontes seront repoussées d’autant et les éclosions surviendront au
delà du 10 juin. Tous les risques météorologiques ne sont pas écartés et la reproduction
peut encore être fortement affectée. Ainsi en 1987, le 3 mai la couverture neigeuse est
complète, le plein chant est noté les 7 et 8 mai avec observation de deux coqs en parade
accompagnant chacun une femelle. Les pontes seraient donc déposées vers le 15 mai, ce
qui conduit à des éclosions assez tardives, vers le 10 juin. Or les conditions climatiques
de juin sont très défavorables, près de 290 millimètres de précipitation et une température
moyenne inférieure à 8°C. Dans ces conditions, la reproduction a presque échoué (0.69
juv/femelles).
La meilleure reproduction est observée en 1988 puisque nous découvrons 14 nichées
sur 1050 ha comptabilisant 55 poussins, soit une densité record de 5.25 jeunes pour 100
ha et un taux de reproduction de près de 3 jeunes par femelle. La météorologie remplit
toutes les conditions favorables : un enneigement très important, des précipitations
modestes (100 mm) en juin avec des températures supérieures à 12°C.
Conclusions
L’ensemble de ces résultats indique que la Gelinotte sait tirer profit des conditions
climatiques continentales qui s’imposent dans le haut Jura, même si celles-ci peuvent
paraître véritablement difficiles à affronter. Le climat océanique, plus doux, connaissant
un enneigement exceptionnel, bénéficiant d’un printemps plus précoce, n’est peut-être
pas idéal pour cette espèce. Sa répartition Européenne semble l’indiquer :
• absente de la façade atlantique de Scandinavie, comme des îles anglo-normandes,
• absente ou disparue des massifs de moyenne montagne du centre de la France comme
les Cévennes, le Massif central, les Pyrénées (Catusse et al. 1992). Dans ce dernier
massif cependant où le Grand Tétras s’est bien maintenu, la présence très localisée
de la Gelinotte confirme des difficultés qui seraient d’ordre climatique.
Le Morvan, massif essentiellement sous influence atlantique ne semble pas présenter
les conditions potentielles pour accueillir cette espèce.
La pratique de l’enrésinement et l’échauffement climatique auront sans doute pour
effet d’éloigner encore plus ce petit Tétraonidé de ce territoire.
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