Implantationcochléaire – better safe than sorry

étude
Implantation cochléaire –
better safe than sorry
Le bénéfice de l’implantation cochléaire dans la réhabilitation
des surdités neurosensorielles sévères bilatérales est indéniable. En Suisse, une implantation bilatérale est recommandée pour les enfants sourds. En raison des relations anatomiques de la cochlée et du vestibule, la fonction vestibulaire
peut être altérée, voire abolie lors de l’implantation. Les conséquences d’un déficit vestibulaire bilatéral sur le développement de l’enfant et la qualité de vie peuvent être sérieuses.
Même si le risque théorique d’induire une aréflexie bilatérale
est de l’ordre de 1%, il doit être considéré. Un bilan vestibulaire devrait être fait avant toute implantation cochléaire. Pour
l’implantation bilatérale, nous préconisons une stratégie séquentielle. Le côté controlatéral ne devrait être implanté que
si la fonction vestibulaire est conservée.
Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 1820-3
L. Vankatova
H. Cao Van
A. Perez Fornos
N. Guinand
Drs Lenka Vankatova,
Angelica Perez Fornos,
Hélène Cao Van et Nils Guinand
Service d’oto-rhino-laryngologie
et de chirurgie cervico-faciale
Département des neurosciences
cliniques
HUG, Faculté de médecine
Université de Genève
1211 Genève 14
[email protected]
[email protected]
[email protected]
[email protected]
Cochlear implantation – better safe than
sorry
The benefit of cochlear implants in the treatment of profound bilateral sensorineural hearing loss is undeniable. In Switzerland, bilateral cochlear implantation is the treatment of
choice in bilateral deafness in children. Due
to the anatomical relations of the cochlea and
the vestibule, vestibular function can be affected during implantation. Bilateral vestibular areflexia can significantly impair the quality of life and a child’s development. Therefore, even if the theoretical risk of bilateral
vestibular areflexia after cochlear implantation is only about 1%, it must be taken into
account. Vestibular function assessment must
be part of the pre-implantation workup. For
bilateral implantations, we recommend a sequential procedure. The second implantation
will take place only if the vestibular function
is preserved in the other side.
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introduction
L’implant cochléaire est une neuroprothèse performante (figure 1). Depuis plus de 30 ans, elle permet de réhabiliter les
surdités neurosensorielles bilatérales. La plupart des enfants
sourds, qui sont implantés dans les premières années de vie,
développent un langage normal et poursuivent un parcours
scolaire normal. L’implant cochléaire permet aux patients devenus sourds après l’apprentissage du langage de retrouver
une communication orale, sans l’aide de la lecture labiale, et
le plus souvent l’usage du téléphone.
Malheureusement, l’intervention est grevée d’un risque d’atteinte vestibulaire. Pour rappel, le système vestibulaire fait partie de l’oreille interne. Il joue un rôle primordial dans le système multisensoriel
de l’équilibre avec la vision et la somesthésie. Il est composé de cinq sous-unités, trois canaux semi-circulaires et deux organes otolithiques, le saccule et l’utricule, sensibles aux accélérations angulaires et linéaires, respectivement. Il est
comparable à un capteur de mouvements qui détecte en temps réel la position
et les changements de position de la tête, informations essentielles pour la stabilisation du regard et le maintien de la posture. Ces informations sont l’objet
d’une intégration multimodale et multisensorielle complexe. Enfin, il ne semble
pas qu’une zone corticale spécifique soit dédiée aux informations vestibulaires,
mais plutôt que ces dernières sont projetées de façon multifocale et qu’elles
contribuent à une multitude de fonctions cérébrales, selon des mécanismes qui
restent encore relativement peu connus.1
L’insertion d’un faisceau d’électrodes dans la cochlée, quelles qu’en soient les
modalités (directement via la fenêtre ronde ou par une cochléostomie), représente un risque de déficit vestibulaire, selon des mécanismes physiopathologiques encore mal connus. Il pourrait s’agir de facteurs mécaniques (l’insertion du
faisceau, même faite avec la plus grande précaution, causant un «tsunami» dans
l’oreille interne endommageant les cellules sensorielles) ou de processus inflammatoires.2 Une étude évaluant les symptômes vestibulaires au moyen de questionnaires3 montre que jusqu’à trois quarts des patients souffrent de vertiges ou
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Le but de cet article est d’évaluer l’atteinte vestibulaire
résultant d’une implantation cochléaire chez nos patients
et de discuter les possibles problèmes qui en découlent.
Cette question est d’autant plus importante que, depuis le
début des années 2000, une implantation cochléaire bilatérale est recommandée pour les enfants. Elle permet essentiellement une meilleure localisation des sons dans l’espace et compréhension du langage dans un environnement
bruyant.14 La stratégie d’implantation varie selon les centres,
soit simultanée, c’est-à-dire que les deux oreilles sont implantées dans le même temps opératoire, soit séquentielle,
avec un intervalle aussi court que possible entre les deux
implantations.
matériel et méthode
Figure 1. Implant cochléaire
Le son est capté par un microphone (1) et transmis à un processeur électronique (2) qui transforme les signaux acoustiques en signaux électriques.
L’information codée est transmise à l’implant sous-cutané par télémétrie
(3). L’implant envoie les impulsions électriques au faisceau d’électrodes
implanté dans la cochlée (4) au contact des fibres du nerf auditif. Le cerveau interprète l’information comme du son. C : cochlée ; V : vestibule.
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de déséquilibre après une implantation cochléaire. La sévérité, la durée et le délai d’apparition des symptômes sont
variables. Plusieurs études récentes témoignent d’un risque
d’altération de la fonction vestibulaire atteignant jusqu’à
60% après l’implantation cochléaire.4 La sévérité du déficit
va d’une diminution de la réactivité aux tests vestibulaires
sans répercussion clinique jusqu’à une aréflexie (observée
chez 10% d’un groupe d’enfants implantés).5,6
Une perte unilatérale subite de la fonction vestibulaire
se traduit par la présence d’un nystagmus spontané, souvent accompagné d’intenses vertiges, de nausées et de vomissements. Elle est facilement détectable. Après la mise
en place de processus centraux de compensation, les symptômes statiques, les plus dérangeants, régressent et le patient est rapidement remis sur pied. Il n’y a pas de conséquence majeure, le côté controlatéral continuant à fournir
des informations de mouvement.
En cas de perte bilatérale de la fonction vestibulaire, le
système nerveux central ne reçoit plus du tout d’information de mouvement provenant du système vestibulaire.
Aucun processus de compensation ne permet de pallier ce
manque. Les patients se plaignent principalement d’instabilité et d’oscillopsies (une illusion de mouvement de l’environnement visuel au moindre mouvement). Ils souffrent
aussi d’autres troubles, comme ceux de l’orientation et de
la navigation spatiale,7 des troubles dans la régulation de la
tension artérielle lors de changement rapide de position,8
des émotions, de la mémoire, des capacités cognitives…9,10
et même de la personnalité.11 L’impact négatif sur leur qualité de vie est important12 et il n’y a actuellement aucun
moyen de les traiter.13
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Une analyse rétrospective des tests vestibulaires effectués chez 265 patients, ayant reçu un implant cochléaire
entre 1985 et 2013 dans le service, a été faite. N’ont été inclus que les patients ayant eu un bilan avant et après l’implantation, et dont le bilan vestibulaire préchirurgical était
normal.
Les critères de normalité de la fonction vestibulaire
étaient une moyenne de la vitesse maximale des phases
lentes du nystagmus au test calorique  6°/s et un test de
mouvements impulsifs de la tête enregistrés par un système
vidéo (video Head Impulse Test, vHIT) normal, si disponible.
Les critères d’aréflexie vestibulaire étaient une moyenne
de la vitesse maximale des phases lentes du nystagmus
au test calorique  6°/s, et un vHIT pathologique (si disponible) et des potentiels évoqués myogéniques, vestibulaires, oculaires et cervicaux (o-/c-PEMV – Potentiels évoqués myogéniques vestibulaires) absents (si disponibles).
résultats
L’analyse a porté sur 50 patients (23 femmes et 27
hommes ; âgés entre 15 et 72 ans). Dans ce groupe, le taux
d’aréflexie vestibulaire induite par l’implantation cochléaire
était de 14%. Dans tous les cas, l’insertion du faisceau d’électrodes dans la cochlée avait été faite par une cochléostomie.
discussion
Nos données rétrospectives corroborent celles de la littérature. Le risque d’induire une aréflexie vestibulaire lors
d’une implantation cochléaire se situe aux environs de 10%.
Théoriquement, le risque d’induire un déficit bilatéral lors
d’une implantation cochléaire des deux oreilles est donc
d’environ 1%. Au vu des possibles conséquences, ce risque,
même relativement faible, devrait être pris en considération et le patient en être informé. Il en va de même chez
l’enfant. Chez lui, le développement moteur pourrait être
significativement retardé pour les compétences psychomotrices de base (maintien de la posture, marche, etc.).15
Dans notre étude, ce risque est peut-être quelque peu
surévalué, en effet, les tests vestibulaires ont probablement plus souvent été effectués chez les patients présentant des symptômes vestibulaires en postopératoire que
chez les patients asymptomatiques. L’évaluation de la foncRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 1er octobre 2014
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tion vestibulaire consiste en des tests fiables et peu invasifs (tests caloriques, vHIT, test pendulaire et PEMV). Il nous
apparaît clairement qu’ils sont trop peu pratiqués chez
l’enfant. On entend souvent l’argument qu’ils sont difficiles
à réaliser, alors que tout indique qu’ils peuvent parfaitement l’être même chez le tout petit enfant,16 à condition
d’avoir le personnel compétent et le temps à disposition.
Avant une première implantation, il est indispensable de
détecter d’éventuelles atteintes vestibulaires préexistan­
tes, qu’on retrouve chez 50% des enfants nés avec une surdité profonde, dont 5,5% présentant une aréflexie vestibulaire unilatérale.6 Dans de tels cas, une implantation du côté
où la fonction vestibulaire est conservée est contre-indiquée. En cas d’implantation bilatérale, l’évaluation de la
fonc­tion vestibulaire, après la mise en place du premier im­
plant, permet de contrôler si la fonction vestibulaire est con­
servée du côté déjà implanté avant de procéder à l’implan­
tation du deuxième côté. Redisons-le, malheureusement
les tests de la fonction vestibulaire ne se font pas encore
partout et systématiquement, ni avant ni après l’implantation cochléaire.
ment aucun traitement efficace. Les conséquences d’un déficit vestibulaire bilatéral total, acquis dans les toutes premières années de vie, sont encore très mal connues. Elles
pourraient être multiples et difficiles à détecter au vu des
très nombreux systèmes influencés par le système vestibu­
laire et au vu de ses projections corticales diffuses. Le suivi
systématique de la fonction vestibulaire avant et après
l’implantation cochléaire, ainsi que le choix d’une stratégie
séquentielle en cas d’implantation bilatérale devraient permettre de minimiser les risques d’un déficit bilatéral.
Remerciements
Les auteurs remercient le Pr Jean-Philippe Guyot pour ses conseils
et suggestions lors de la préparation du manuscrit.
Conflit d’intérêt
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec
cet article.
Implications pratiques
> Le risque d’aréflexie vestibulaire induite par l’implantation
cochléaire est d’environ 10%
conclusion
Le bénéfice d’une réhabilitation auditive par l’implantation cochléaire chez le sujet sourd profond est indiscutable.
Néanmoins, l’implantation d’un faisceau d’électrodes dans
la cochlée peut abolir la fonction vestibulaire dans environ
10% des cas. L’implantation cochléaire bilatérale, dont l’indication est de plus en plus fréquente, comporte donc un
risque de générer un déficit vestibulaire bilatéral. Celui-ci
constitue un handicap majeur avec des conséquences négatives sur la qualité de vie et pour lequel il n’y a actuelle-
> Un déficit vestibulaire bilatéral engendre un handicap sévère,
pour lequel il n’existe actuellement pas de traitement
> Un bilan vestibulaire avant l’implantation permet d’implanter
le côté avec le vestibule le moins fonctionnel
> Une implantation bilatérale séquentielle, avec un bilan vestibulaire après la première implantation, permet d’éviter l’implantation du deuxième côté en cas d’aréflexie vestibulaire
du côté déjà implanté
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