Monseigneur Aloyse KIEFFER

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Caecilia 2/2013 : Rencontres
© Union Sainte Cécile - Strasbourg
Monseigneur Aloyse KIEFFER
M
onseigneur
Aloïse Kieffer,
ancien vicaire
général du diocèse
de Strasbourg,
nous parle de la
manière dont il a
vécu le Concile et
les événements de
1968.
grammé « Fanfan la Tulipe » au moment de
la Vigile : vous imaginez l’exode massif de la
jeunesse pour le cinéma ! On ne percevait
guère l’enjeu d’une telle réforme liturgique
parmi les paroissiens. Dans nos réunions
de doyenné par contre, il était beaucoup
question de pastorale liturgique ou d’animation liturgique, car, je le rappelle, toutes
les célébrations se déroulaient en latin et la
plupart des fidèles n’avaient pas de missel
latin-français.
Vous avez vécu la période conciliaire
comme directeur au Séminaire de Strasbourg. Que pouvez-vous nous dire de
la vie liturgique au Séminaire à cette
époque ?
Mgr Aloyse Kieffer
Caecilia : Monseigneur, vous avez été
vicaire à Hochfelden au moment où le
pape Pie XII réformait la Vigile pascale
puis l’ensemble de la Semaine sainte.
Quels souvenirs en gardez-vous ?
Mgr Aloyse Kieffer : Nommé vicaire à
Hochfelden en été 1952, j’avais fait mon séminaire de 1947 à 1952, sans interruption,
comme la plupart d’entre nous revenants
de la guerre. Dès cette époque, nous étions
très ouverts à la dimension liturgique de la
vie chrétienne. On lisait Parsch, Aemiliana
Loehr, Odon Casel, le père Bouyer, Guardini, et nous attendions des réformes liturgiques. Dès cette époque, avant même le
Concile, avaient été mises en œuvre, sous
l’impulsion de l’Office de Pastorale Liturgique, certains changements, par exemple
la communion à la grand-messe, la suppression des messes devant le saint Sacrement exposé, et bien sûr, la Vigile Pascale.
Je me souviens, en ce qui concerne celle-ci,
de célébrations ferventes, mais avec des assemblées restreintes. Ainsi, par exemple, le
cinéma paroissial de Hochfelden avait pro-
Mon ministère de directeur au Grand
Séminaire de Strasbourg a commencé en
automne 1956, après une année de stage
à Paris, à la Solitude de Saint-Sulpice, où
la liturgie ne joua pas un grand rôle. Mais,
comme je viens de le dire plus haut, nous
avions à Strasbourg le souci d’une bonne
formation liturgique, laquelle n’était pas directement touchée par les programmes de
la Faculté de Théologie. Le chanoine Mappus était certes l’homme des rubriques et
de leur respect, mais son enseignement
touchait aussi l’intériorité des rites et
l’aspect sacré de la liturgie. En participant
chaque dimanche à la grand-messe à la
cathédrale, nous avions la chance de bénéficier des homélies au ton très liturgique de
Mgr Fischer. Dès cette époque, donc bien
avant le Concile, avait été introduite la coutume de l’homélie à chaque messe : une
nouveauté absolue alors ! Tous les samedis
soir, le chanoine Mathieu commentait les
textes de la liturgie du dimanche et les « actualisait ». On n’insistait que modérément
sur les dévotions populaires. La prière commune était celle du bréviaire, matin et soir,
prié bien entendu en latin jusqu’au moment où il fut permis de le
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vant un seul directeur célébrait avec la
communauté et que les autres prêtres
devaient se chercher un lieu de célébration dans une autre chapelle ou à la
cathédrale.
CHARTRES, pèlerinage des étudiants de Paris en mai 1956.
Exemple de célébrations simultanées à de petits autels en arrière plan,
autour du célébrant principal.
prier en français. Je me souviens de
l’émotion que nous avions en chantant les premières fois les mélodies du
père Gélineau : « Je m’avancerai jusqu’à
l’autel de Dieu »… Il faut aussi rappeler
que les séminaristes avaient bénéficié,
en 1948, si mes souvenirs sont bons, de
deux conférences de Romano Guardini
lui-même, un des pères du Mouvement
liturgique !
Les évêques strasbourgeois, Mgr
Weber et Mgr Elchinger, rendaient
régulièrement compte des travaux
conciliaires aux séminaristes. Comment cela se passait-il ? Quels souvenirs particuliers en gardez-vous ?
Nous avons à l’époque reçu l’annonce du Concile et suivi son déroulement avec beaucoup d’espérance et
de joie. Nos évêques nous rendaient
compte des travaux du Concile lors de
leurs conférences spirituelles du vendredi soir. Certains prêtres avaient été
invités à passer quelque temps à Rome
pour suivre les travaux du Concile.
Au réfectoire on lisait les chroniques
du Père Wenger ou de Henri Fesquet.
Nous étions particulièrement heureux
des interventions de Mgr Elchinger
sur l’œcuménisme, les relations avec le
judaïsme, l’affaire « Galilée ». Les documents conciliaires furent reçus avec
beaucoup de joie. Certes, à l’époque,
notre attente était plutôt diffuse, mais
nous espérions un renouveau qui donnerait à l’Eglise un visage plus humain,
plus sensible aux aspirations qui se faisaient jour dans le monde.
Un moment psychologiquement
important, mais sans lien direct avec le
Concile, fut la permission donnée par
l’épiscopat français, de porter le clergyman. C’est de cette époque-là aussi
que datèrent les relations cordiales du
Séminaire avec le Stift, le Séminaire
protestant…
Le bouillonnement du Concile a
été suivi par un autre, bien différent,
lors des événements de mai 1968.
Trop rapidement certains induisent
un lien de cause à effet entre le
Concile et Mai 1968 dans leur incidence sur la vie de l’Église. En cette
période trouble, quelle était la parole épiscopale ? Différente de celle
tenue au moment du Concile ?
Les vrais changements concrets
sont arrivés lorsque les textes d’application du Concile - en particulier sur
la liturgie - furent publiés, et que la
traduction ad experimentum du Missel
en français avec les nouvelles prières
eucharistiques furent introduites. Ce
qui nous marqua le plus au Séminaire,
ce fut la possibilité de concélébrer dorénavant l’eucharistie, alors qu’aupara-
Nous avons adopté sans hésitation
ces changements du Missel et du Rituel
en plein accord avec Mgr Elchinger et
en essayant de les faire comprendre.
Les événements de mai 1968 - dont
on sentait déjà les premiers frémissements dès avant cette date dans
le monde étudiant -, ont bouleversé
beaucoup de choses au Grand Séminaire. Thomas Schmitt étudie cette
période dans son ouvrage : « Les séminaristes de Strasbourg en mai 1968 ».
Le régime de vie, les sorties, l’ouverture à l’extérieur ont été libéralisés,
avec une proximité plus grande entre
directeurs et séminaristes, mais aussi
avec des mises en cause de l’institution
ecclésiale ou du sacerdoce dont nous
ne soupçonnions pas la profondeur
à l’époque. Nous sentions chez Mgr
Elchinger beaucoup de réserve face à
cette évolution et une crainte que bien
des éléments de la tradition chrétienne
ne soient jetés par-dessus bord. Ce ne
furent pas des années faciles, ni pour
lui, ni pour l’équipe des directeurs, car
nous voulions à la fois travailler en
toute confiance avec notre évêque,
mais aussi rester à l’écoute des séminaristes et de ce qui les animait.