Les futurs agents chélatants sont déjà là

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La chélation, du grec « khêlê »
qui signifie « pince », est
le processus de complexation
d’un atome métallique par
un ligand ou chélateur.
Les futurs agents chélatants sont déjà là
Les éléments métalliques de la série des actinides sont des radionucléides dont les
propriétés radioactives et chimiques peuvent induire des effets toxiques pour
l’organisme. Remédier à la contamination interne n’est pas simple mais reste possible
grâce au principe de la chélation. La conception de nouveaux traitements de chélation
repose sur un grand nombre de contraintes tant chimiques que biologiques. En voici
quelques grands traits.
© LBNL/M. STURZBECHER-HOEHNE
l’auteur
Rebecca Abergel
es attentats terroristes du
11 septembre 2001 aux
États-Unis à l’accident de la
centrale nucléaire de Fukushima
Dai-Ichi, au Japon, le 11 mars
2011, les événements de cette
dernière décennie ont renforcé
l’inquiétude du public vis-à-vis
du danger que représente la dispersion, délibérée ou accidentelle,
de radionucléides dans l’environnement. Le défi de limiter l’exposition d’individus aux radionucléides a suscité un intérêt sans
précédent pour le développement
de nouvelles approches de traitement de la contamination interne
par chélation des radionucléides,
ainsi que pour leur séquestration
dans l’environnement.
D
LES ACTINIDES
ET LE PRINCIPE
DE CHÉLATION
La toxicité des 15 éléments de
la série des actinides, tous radioactifs, peut être attribuée tant à
leurs propriétés radioactives que
chimiques. Les membres les plus
lourds de cette série étant cependant trop instables pour être isolés
dans de plus grandes quantités
que quelques atomes à la fois, les
éléments qu’il est le plus probable
de rencontrer dans des scénarios
de contamination sont le thorium
(Th), l’uranium (U), le neptunium
(Np), le plutonium (Pu), l’américium (Am), et le curium (Cm).
À l’inverse de certains métaux
lourds*, les actinides ne possèdent
aucune fonction biologique naturelle et ne peuvent, de plus, pas
être métabolisés comme le sont un
grand nombre de molécules organiques. En cas de contamination,
ces éléments radioactifs sont partiellement retenus par la plupart
des organismes vivants. L’immobilisation des actinides dans le
corps entraîne alors l’émission
répétée et localisée de particules α,
ce qui présente un risque particulier de cancer en raison des doses
de rayonnement absorbées par
les tissus concernés.
* Le terme « métaux lourds » est jugé incorrect
par l’Union internationale de chimie pure et
appliquée (IUPAC) car souvent utilisé de manière incohérente (1). Il reste cependant pratique pour dénoter les métaux à forte masse
volumique.
Indépendamment de la voie de
contamination (inhalation, ingestion ou blessure), les actinides
sont absorbés et transportés par le
sang avant d’être déposés dans les
organes cibles (os, foie et reins),
dans lesquels ils sont stockés avant
d’être lentement et partiellement
excrétés par l’urine et les fèces.
Si les biocinétiques des actinides
après inhalation, ingestion et injection ont été relativement bien
étudiées au cours des 50 dernières
années (lire p. 27), très peu de progrès on été faits en matière de
traitement de la contamination
interne. Les traitements disponibles varient principalement en
fonction de la voie et du niveau
de contamination, de la substance
chimique associée au contaminant
radioactif et du temps d’intervention
après l’incident ou l’accident (2).
Deux catégories de méthodes de
traitement des personnes contaminées sont aujourd’hui recommandées. La première regroupe
des procédures de lavage qui
visent à réduire le déplacement
des radionucléides à partir du site
d’entrée (poumons, estomac ou
plaie) et sont applicables a tout
Division des sciences chimiques
Lawrence Berkeley National Laboratory,
Berkeley, États-Unis
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© LBNL – R. ABERGEL
DES CRITÈRES
DE PRÉDILECTION…
Coordination d’un actinide
formant quatre cycles chélates
avec un ligand octadenté
(à gauche) ou avec deux ligands
tétradentés (à droite).
Exemples d’agents chélatants
pour les actinides
En rouge, les atomes se liant
au métal. Une fonction
chélatante par ligand est
encerclée.
radionucléide ou toute espèce
radioactive. La seconde comprend
les traitements dits de décorporation, dont le but est d’empêcher les dépôts d’actinides dans
les tissus en accélérant leur élimination de l’organisme par voie
naturelle. Le principe de décorporation repose sur l’utilisation rapide
de ligands organiques de faible
poids moléculaire qui peuvent
former des complexes solubles et
facilement excrétables avec les
radionucléides incorporés. Ce processus de complexation est ce que
l’on appelle la chélation, du grec
« khêlê » qui signifie « pince »,
en référence à la manière dont
le ligand – ou chélateur – se lie
au métal.
© LBNL – R. ABERGEL
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Pour complexer efficacement
les actinides et promouvoir leur
excrétion rapide, la structure
moléculaire d’un agent chélatant
doit remplir des critères précis
qui reposent sur des principes
élémentaires de chimie de coordination mais prennent aussi
en compte plusieurs facteurs biologiques. Les actinides étant des
cations électropositifs durs, ils se
lient plus facilement à des ligands
organiques dont les fonctions
chimiques contiennent des atomes donneurs d’électrons tels que
l’oxygène (3). Leur nombre de
coordination peut varier de 6 à 12,
en fonction de leur état d’oxydation, ce qui favorise les ligands
polydentés qui peuvent former un
plus grand nombre de liaisons
avec le métal. Par exemple, un
ligand qui contient quatre fonctions chélatantes portant chacune
deux atomes d’oxygène peut ainsi
former quatre cycles chélates avec
un métal dans un complexe mononucléaire stable de stœchiométrie
1:1 (ligand:métal), ce qui est
préférable à un ligand contenant
seulement quatre atomes donneurs et nécessitant une deuxième
molécule pour former un complexe de stœchiométrie 2:1
(ligand:métal) (figure ci-dessus).
La géométrie du complexe formé
avec l’actinide ainsi que sa stabilité
en conditions physiologiques
dépendent également du type de
fonctions chélatantes incorporées
dans le ligand et du squelette
carboné qui les relie. Idéalement,
un bon ligand doit avoir une plus
grande affinité pour les ions actinides au pH physiologique que les
autres espèces biochimiques complexantes qui les lient dans les tissus
et les fluides corporels. Il doit aussi
avoir une faible affinité pour les
ions métalliques essentiels tels que
le calcium (Ca), le sodium (Na), le
potassium (K), le fer (Fe) ou le zinc
(Zn). Enfin, un agent chélatant
conçu à des fins thérapeutiques
doit présenter une faible toxicité
chronique à une dose efficace et ne
doit pas être métabolisé et dégradé
avant d’atteindre l’actinide ciblé.
D’autres paramètres tels que la
biodisponibilité, la solubilité et
la lipophilicité d’un chélateur
jouent certainement aussi un rôle
quant à son efficacité, tout comme
son potentiel d’utilisation comme
médicament oral.
… À LA SYNTHÈSE
DE NOUVELLES
MOLÉCULES
Bien que l’idée d’utiliser des
agents chélatants pour accélérer
l’élimination des actinides chez
l’homme date des années 1950,
peu de recherches ont été menées
dans la poursuite de nouvelles
voies thérapeutiques et le traitement médical de référence reste
l’acide diéthylène triamine pentaacétique (DTPA), la première
molécule à avoir été conçue à cet
effet, en 1954 (figure ci-dessous).
Le DTPA est un ligand polyamino-carboxylate linéaire octadenté, développé sur le modèle de
son équivalent hexadenté, l’acide
éthylène diamine tétra-acétique
(EDTA), en s’appuyant sur le principe que l’efficacité de complexation s’accroît avec la denticité du
ligand. Plusieurs modifications
de la structure de ces deux composés ont été entreprises, comprenant, entre autres, l’élongation du
squelette ou l’addition de groupes
amino-carboxylates, mais n’ont
pas abouti à une amélioration de
l’efficacité observée avec le DTPA (4).
Une seconde approche menée
par des équipes américaines a
été l’élaboration d’une famille de
nouveaux ligands biomimétiques,
analogues des sidérophores, les
composés organiques produits
par les plantes et bactéries pour
transporter le fer. Cette stratégie
s’appuie sur des analogies chimiques mises en évidence entre
les ions physiologiquement pertinents, Fe3+ et Pu4+ – dont les
rapports charge/rayon (z/r) donc
les propriétés sont équivalents –,
et exploite la forte affinité pour
ces cations de fonctions chélatantes telles que les groupes catécholamides et hydroxypyridinones.
En faisant principalement varier
la géométrie et la flexibilité du
squelette carboné, et en examinant l’effet de substituants sur
l’électropositivité des fonctions
chélatantes, ce sont près d’une
soixantaine de composés qui ont
été synthétisés et testés au cours
des 30 dernières années, aboutissant à la sélection de deux ligands
multidentés hydroxypyridinonates
comme candidats médicaments
à développer : le 3,4,3-LI(1,2HOPO) (figure p. 48, en bas) et
le 5-LIO(Me-3,2-HOPO) (5,6).
Plus récemment, des recherches
effectuées par plusieurs équipes
françaises se sont concentrées
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sur deux autres familles d’agents
chélatants ayant pour cible l’ion
uranyle (UO22+), forme la plus
courante de l’uranium en milieu
physiologique. La première utilise
des structures macrocycliques
telles que les calixarènes, les éthers
couronnes et les cryptands qui
constituent d’excellentes plateformes de préorganisation pour la
séquestration de l’uranium et sur
lesquelles il est possible de greffer
plusieurs fonctions chélatantes.
Le 1,3,5-OCH3-2,4,6-OCH2COOHp-tertbutylcalix[6]arène est une
des structures dont la forte affinité vis-à-vis de l’uranium a été
exploitée a des fins thérapeutiques
(figure p. 48, en bas) (7). La seconde
famille récemment mise en avant
pour ses propriétés remarquables
de chélation de l’uranium est
la famille des acides diphosphoniques. En partant d’une simple
structure diphosphonate, l’acide
éthane hydroxydiphosphonique
(EHDP) (figure p. 48, en bas), la
combinaison de techniques modernes de modélisation moléculaire et de criblage à haut débit
a permis d’assembler et d’étudier
un grand nombre de molécules
pouvant former de très stables
complexes d’uranyle (8).
Enfin, une nouvelle approche
concertée de méthodes d’ingénierie rationnelle et combinatoire de
protéines vient d’être appliquée à
la conception de protéines présentant de très fortes affinités pour
l’ion uranyle et permettant la capture sélective de l’uranium dans
des milieux biologiques variés (9).
L’utilisation de tels outils modernes de criblage en chimie organique et biologie moléculaire
ouvre ainsi la voie à la découverte
de nouvelles molécules ayant
des propriétés inégalées pour la
chélation des actinides.
ÉVALUER CES AGENTS
CHÉLATANTS
L’affinité chimique d’un ligand
pour les actinides ou d’autres ions
métalliques peut être quantifiée à
partir de mesures de constantes
d’équilibre thermodynamique
en utilisant des méthodes de séparation par chromatographie ou
électrophorèse capillaire couplées
à des techniques d’analyse telles
que les spectrométries d’absorption, d’émission et de masse. Ces
méthodes peuvent aussi permettre
d’établir les paramètres cinétiques
de complexation des différents
cations. Les constantes de stabilité et de vitesse ainsi déterminées
sont particulièrement utiles pour
comparer des ligands entre eux
ou avec des ligands biologiques,
mais aussi pour comparer les
mécanismes de complexation d’un
ligand avec différents métaux ou
éléments essentiels (sélectivité).
Il est, par exemple, démontré que
l’affinité du DTPA pour les actinides Th, Pu et Am est de 107 à
1015 fois plus élevée que celle de
la transferrine, un des ligands biologiques le plus souvent cités,
confirmant le haut potentiel du
DTPA comme agent chélatant (10).
En revanche, l’affinité du DTPA
pour des métaux essentiels tels
que le zinc est aussi très élevée, ce
qui implique un possible déficit
en zinc au cours d’un traitement
chronique et a mené à l’élaboration du sel ZnNa3DTPA comme
forme thérapeutique préférable
pour compenser cet effet de perte.
Néanmoins, il est important de
noter que ces constantes sont
établies in vitro, dans des conditions expérimentales qui ne reproduisent pas tous les facteurs
rencontrés en milieux biologiques.
L’expérimentation in vivo est
donc préconisée pour évaluer
le potentiel thérapeutique de
nouvelles molécules, démontrer
l’efficacité de décorporation d’un
ligand ne pouvant rigoureusement
être effectué que chez l’animal.
Les modèles de contamination par
voie intraveineuse ou pulmonaire
chez la souris, le rat et le chien
sont les plus communs (11) .
La radioactivité intrinsèque des
actinides est alors facilement
détectable et permet non seulement d’identifier les organes
cibles, mais aussi de quantifier les
changements de distribution et
d’élimination dus à un traitement
par chélation. Ce sont les résultats de multiples expériences
de décorporation qui ont permis
d’identifier le 3,4,3-LI(1,2-HOPO)
comme l’un des nouveaux agents
chélatants les plus prometteurs :
administré par voie intrapéritonéale, ce ligand induit, en effet,
l’excrétion de plus de 80 % du Pu,
de l’Am ou de l’U injectés à la
souris, 24 heures après contamination, ce qui représente à peu près
le double de l’excrétion induite
par le DTPA dans les mêmes
conditions (figure ci-dessus) (6).
Il apparaît aussi que le ratio de
contaminant éliminé par voie fécale ou urinaire varie en fonction
de l’actinide ciblé ou du ligand.
Et bien que le principe de ces
expériences soit simple, un grand
nombre de variables doivent
être contrôlées, comme le ratio
isotopique et la forme physicochimique du contaminant, la
quantité de contaminant et la
dose de rayonnement associée, la
durée entre la contamination et le
traitement, la quantité de ligand
dispensée ou encore le type, la
fréquence et le nombre de traitements. Un traitement par voie
orale au 3,4,3-LI(1,2-HOPO) entraîne une perte d’efficacité, due
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Biodistribution des actinides
(Pu, Am et U) 24 heures
après injection chez la souris
Lorsque le traitement est
administré par injection ou par
voie orale, une heure après la
contamination, le taux d'actinide
décroît, montrant l’efficacité
décorporante du ligand
3,4,3-LI(1,2-HOPO).
D’après (6).
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à la faible absorption orale de
cette molécule, qui peut cependant
être compensée par une augmentation de la dose administrée.
DU CHÉLATEUR
AU MÉDICAMENT
(1) Duffus JH (2002) Pure Appl Chem 74, 793-807
(2) Bair WJ et al. (2008) NCRP Report No. 161
(3) Pearson RG (1963) J Am Chem Soc 85, 3533-9
(4) Durbin PW (2008) Health Phys 95, 465-92
(5) Gordon AEV et al. (2003) Chem Rev 103, 4207-82
(6) Abergel RJet al. (2010) Health Phys 99, 401-7
(7) Spagnul A et al. (2011)
Eur J Pharm Biopharm 79, 258-67
(8) Sawicki M et al. (2008)
Eur J Med Chem 43, 2768-77
(9) Zhou L et al. (2014) Nature Chem 6, 236-41
(10) Ansoborlo E et al. (2007)
C R Chimie 10, 1010-19
(11) Stradling GN et al. (2000)
Radiat Prot Dosimetry 87, 19-28
(12) Shankar GN et al. (2012)
Drug Dev Res 73, 290-98
(13) Cassatt DR et al. (2008) Rad Res 170, 540-48
(14) Yang YT et al. (2014)
Pharm Dev Tech 19, 806-12
(15) Gervelas C et al. (2007)
J Control Release 118, 78-86
(16) Phan Get al. (2006) Biochimie 88, 1843-9
(17) Kaur Met al. (2013)
Environ Sci Technol 47, 11942-59
(18) Kim YS et al. (2012) Tumor Biol 33, 573-90
Une fois leur potentiel décorporant et leur efficacité in vivo
déterminés, il est important d’évaluer le devenir dans l’organisme
(pharmacologie) et la toxicité
éventuelle (toxicologie) de nouveaux agents chélatants, ainsi que
d’établir des méthodes fiables
d’analyse, de certification, de fabrication à grande échelle et de
stockage. Il faut aussi rendre les
chélateurs administrables sous une
forme galénique adaptée – gélule
ou comprimé pour la voie orale,
solution pour la voie intraveineuse,
poudre sèche pour la voie pulmonaire, patch ou crème pour la voie
cutanée... –, sachant qu’une modification de la formulation pharmaceutique peut altérer le métabolisme d’un agent chélatant mais
aussi permettre de mieux le diriger
vers les sites de dépôt des actinides ciblés, améliorant ainsi son
efficacité.
Le DTPA est la seule molécule à
avoir obtenu, depuis 2008, une
autorisation de mise sur le marché au niveau international, sous
forme de solution injectable et
d’aérosol. Il est donc naturel que
la plupart des programmes actuels
de développement de formulations
pharmaceutiques pour la chélation des actinides soient concentrés sur cette molécule. Des efforts
sont ainsi en cours pour en
préparer des formes galéniques
destinées à une administration
orale, sous forme de tablettes
comprenant un cocktail d’excipients (12), sous forme de nanocapsules lipidiques (13) ou encore
sous forme de prodrogues (14).
Toutes ces stratégies ont pour but
d’augmenter l’absorption orale du
ligand mais sont plus ou moins
fructueuses, comme l’attestent des
études menées sur des rats et des
chiens.
En parallèle, une poudre sèche
a aussi été développée par atomisation-séchage pour améliorer
l’efficacité du DTPA après une
contamination pulmonaire au
plutonium, limitant le transfert
de l’élément des poumons vers le
foie et le squelette dans des expériences menées chez le rat (15).
Enfin, l’encapsulation du DTPA
dans des liposomes a permis de
modifier de manière significative
les profils de circulation et de
rétention du DTPA après une
injection intraveineuse, permettant en particulier de réduire
la rétention du plutonium dans
le foie chez le rat (16). D’autres
techniques ont été exploitées, dont
le développement de nano-émulsions de calixarènes pour des
traitements cutanés (7) ou encore
l’incorporation de multiples chélateurs dans des nanoparticules
magnétiques qui peuvent être
facilement collectées par aimantation (17). Bien que toutes ces
approches soient à la pointe des
outils accessibles de nos jours,
seuls des essais cliniques pourront
confirmer leur succès et la possibilité d’optimiser de nouvelles
formes pharmaceutiques d’agents
chélatants.
Néanmoins, de nombreuses
applications autres que la décontamination ont fait surface dernièrement, qui reposent sur l’utilisation
de complexes d’actinides et
d’autres éléments (métaux rares ou
de transition) en imagerie ou pour
traiter les cancers (encadré ci-dessous) et les maladies infectieuses,
promettant ainsi la continuation
d’efforts de recherche et de nouvelles perspectives dans le domaine de la chélation. I
Ces dernières années ont vu
naître un engouement pour
l’utilisation de certains actinides en médecine nucléaire,
en particulier pour traiter les
α-immunothérapie
cancers. L’α
repose sur l’usage de particules α pour détruire des
cellules cancéreuses en
épargnant les cellules saines,
contrairement aux thérapies
classiques par irradiation ou
à la chimiothérapie. Certains
isotopes des actinides tels
que 225Ac, 227Th et 230U sont
des émetteurs de particules
α qui, en raison de leur
courte demi-vie – quelques
jours –, de leur courte portée
– 60 à 100 μm – et de leur
quantité élevée d’énergie
50 > BIOFUTUR 353 • AVRIL 2014
transférée de la particule ionisante à la matière traversée
(transfert linéaire), peuvent
délivrer une dose de rayonnement létale sur un parcours de
quelques cellules. Conjugués
à des anticorps monoclonaux
ciblant des protéines de la
membrane des cellules tumorales, ces radionucléides sont
transportés directement sur
les sites cancéreux, augmentant alors considérablement
l’efficacité du traitement.
La préparation de ces radioimmunoconjugués nécessite
un agent chélatant reliant
l’actinide à l’anticorps (figure)
et répond à des critères de
chimie de coordination semblables à ceux désirés pour les
© LBNL – R. ABERGEL
α-immunothérapie
L’α
Le principe de l’α-immunothérapie.
traitements de décorporation.
La plupart des radio-immunoconjugués produits pour des
essais cliniques sont formulés
à partir de composés de
référence comme le DTPA (18).
Toutefois, de nombreuses
molécules conçues pour la simple
chélation des actinides dans
le cadre de la décontamination
peuvent être modifiées et
optimisées pour les vectoriser,
ouvrant la voie à de nouvelles
thérapies très prometteuses.
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CATO, UN PROJET POUR GÉRER LES CRISES
Par le passé, nombre de groupes
terroristes ont employé ou menacé
d’employer des agents nucléaires,
radiologiques, biologiques ou chimiques (NRBC). Mais il n’y a eu que
très peu de réelles tentatives d’attentat de grande ampleur les utilisant.
Seules quelques attaques de centrales nucléaires, des menaces non
confirmées de déclenchement de
dispositifs explosifs contenant un
agent NR et au moins un cas de
dépôt par des terroristes de césium
dans un parc en Russie ont été dénombrées à travers le monde (1).
Réduire les conséquences sanitaires et
socio-économiques d’un éventuel évènement NRBC nécessite une préparation permanente que l’Union européenne (UE) encourage au travers de
projets qu’elle finance. Parmi ceux-ci,
le projet CATO* développe une boîte
à outils générique, support de la gestion de crise, pour faire face à un acte
terroriste impliquant de tels agents.
© LBNL – R. ABERGEL
Traiter un grand nombre
de victimes
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s
ion
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Explosion d’une « bombe sale »,
contamination de l’environnement,
des réserves d’eau ou des aliments,
attaque d’une centrale nucléaire…
Différents types d’incidents peuvent
conduire à une contamination de
masse. Les conséquences sur la santé
dépendent du type de rayonnement
émis, du temps et du niveau d’exposition. On estime à 10 millions
environ le nombre de sources radioactives à travers le monde, dont
plusieurs centaines de milliers sont
suffisamment radioactives pour poser
un problème sanitaire. Les sources
potentiellement utilisables dans un
dispositif de dispersion radiologique
comprennent le cobalt-60, le césium137, l’iridium-192, le strontium-90,
l’américium-241, le californium-252,
le radium-226 et le plutonium-238.
À cette liste des radionucléides d’intérêt qui, avant d’être détournés à
des fins terroristes, sont d’abord
utilisés en médecine et dans l’indus* CBRN crisis management Architecture,
Technologies and Operational procedures
trie (radiographie, radiochirurgie,
brachythérapie, détecteurs de
fumée…), il faut ajouter l’iode-131,
l’uranium-235 et le plutonium-239,
qui seraient libérés dans l’atmosphère
en cas d’attentat sur une centrale
nucléaire (1,2).
La contamination interne par des
radionucléides peut se produire par
plusieurs voies : inhalation, ingestion, absorption à travers une blessure
et, dans une moindre mesure, à
travers la peau saine. Le mode de
contamination dépend notamment
de la cause de celle-ci et des propriétés physico-chimiques des composés radioactifs impliqués. Par
exemple, après l’explosion d’une
bombe sale, l’exposition est majoritairement pulmonaire mais aussi
au travers de blessures.
Les solutions actuelles pour traiter
localement une contamination pulmonaire sont limitées et inadaptées
au traitement d’un grand nombre
de victimes. La Pharmacie centrale
des armées, en partenariat avec le
Laboratoire de radiotoxicologie du
CEA, travaille ainsi à l’optimisation
de la formule galénique d’un antidote, l’acide diéthylène triamine
penta-acétique (DTPA), pour améliorer son pouvoir décorporant. Cette
poudre inhalable ne nécessitant
pas de surveillance médicale, elle
pourrait être auto-administrée. Si
une contamination interne par des
radionucléides nécessite une prise en
charge rapide, c’est le traitement des
blessures potentiellement mortelles
qui reste la priorité.
Contre-mesures médicales
Les connaissances des services
médicaux d’urgence sur les traitements des contaminations par des
agents NRBC sont, en général, limitées, de même que le nombre de
bases de données regroupant les
informations utiles et les recommandations de traitement. La boîte
à outils CATO met en place une base
de connaissances sur les différents
agents NRBC et sur les contremesures médicales existantes facilement consultable par les profession-
nels de santé. Le choix des produits
pharmaceutiques qui y sont répertoriés est fondé sur un consensus des
recommandations nationales et internationales, et sur la disponibilité de
ces produits dans l’UE. Mais seuls les
protocoles thérapeutiques faisant
l’objet d’un niveau de preuves scientifiques suffisant sont proposés. Cette
base est appelée à évoluer avec les
progrès dans le domaine des contremesures médicales, certains NRBC
n’ayant pas d’antidote efficace pour
le moment. En particulier les radionucléides, pour lesquels l’efficacité
d’un traitement est fonction de la
forme chimique du contaminant.
La pertinence des informations et
la convivialité de l’interface ont été
testées les 12 et 13 mars derniers,
lors d’un exercice, à la suite duquel
les participants ont proposé des
axes d’amélioration de cette base
de connaissances, à savoir continuer
à en enrichir le contenu et faciliter
son utilisation.
l’auteur
Alexandra Leiterer
Protection sanitaire contre
les rayonnements ionisants
et les toxiques nucléaires,
CEA/DSV,
Fontenay-aux-Roses
Un support de la gestion
de crise
La diversité actuelle des intervenants
et des structures organisationnelles
(police nationale, sécurité civile, SAMU,
hôpitaux, préfectures…) entraîne un
morcellement des approches et des
systèmes se traduisant par des lacunes
dans le partage des informations et
dans la vision opérationnelle. Pour
remédier à ce fractionnement, CATO
entend répondre aux besoins de toutes
les parties prenantes, des intervenants
aux décideurs, et couvrir l’ensemble
des phases d’un incident, de la préparation à la remédiation en passant
par la détection et la réponse. Ce projet de trois ans, débuté en janvier
2012, regroupe 25 partenaires de
domaines variés tels que les technologies de l’information, la direction
d’opération de secours, la communication de crise, l’éthique, l’expertise
physico-chimique et la médecine. La
boîte à outils CATO pourra servir de
base à la construction de systèmes
logiciels d’aide à la décision adaptés à
la structure et aux contraintes des
organisations qui en seront équipées.
Pour en savoir plus : www.cato-project.eu
Le projet CATO est en partie financé
par le FP7 de la CE (n°261693)
(1)
(2)
OTAN (2005) Special Report 167 CDS 05 E
NCRP (2010) Report No.166
AVRIL 2014 • BIOFUTUR 353 < 51