Sur la route de Galaway

Texte du mois
Mars 2014
Vincent Bossel
Sur la route de Galaway
Comté de Clare (Irlande), 1848.
Aussi douce que fut ma randonnée nocturne,
Non loin de la tour O’Brien,
Mon cœur dut s’arrêter – j’en devins taciturne –
Quand les nuages laissèrent à grand-peine
La place à une Lune pleine :
Le mildiou ravageait toute pomme de terre,
Puis semait la Fin par la faim;
Et le mildiou rongeait son corps tel un gros ver,
Lui donnait faim jusqu’à sa Fin.
Mais que dire du goût du pain ?
La pénombre ambiante s’en alla mourir ailleurs
Dévoilant une jeune fille,
Aux cheveux rouillés, à la triste maigreur,
À demi vêtue de guenilles,
Laissant voir un sein à qui prie.
Oublié, que dis-je ! Au moins depuis l’époque
Où on commença à la battre.
Des gnons, des gnons ! Toujours, des gnons ! Et tous ces chocs
Avaient rendu sa peau bleuâtre.
Et cela depuis l’âge de quatre.
M’avançant vers elle, jusqu’à dix petits yards
Du bord des Ruines, ces falaises
Qui tutoyaient les flots et en étaient les gardes,
J’ôtai mon haut-de-forme à l’aise
Pour mieux admirer l’Irlandaise.
Toute brutalisée par tous ces Britanniques,
Fiers bouffons de sa Majesté,
D’un sourire béat, peut-être un peu inique,
Mais diabolique et attristé,
Elle me salua sans rester.
Je ne pus distinguer comment étaient ses yeux,
Peut-être bleus, peut-être verts.
Ils étaient très bavards, mais sans ton facétieux,
Et me parlaient d’une voix claire,
Car nous ne dîmes mot ou vers.
Je souris en retour, elle saute apaisée,
Pour rejoindre les doux Enfers,
Pour que fût réduite toute sa vie lésée
Avec ses douleurs en poussières !
Ah, ces assassines Moher !
Tout me fut avoué par ses grandes prunelles :
Elle avait vécu orpheline,
Violée par des brigands, ses entrailles charnelles
Souillées jusqu’à l’os et l’échine !
La pauvre ! La vie est coquine !
L’Atlantique agité l’engloutit sans attendre.
Il y avait pour seuls témoins
Les montagnes et moi, qui devais entreprendre
La route de Galway au loin.
Ses yeux étaient verts, je crois bien...
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