EN TOUTE FRANCHISE Lettre d’information des Franchisés Cabinet MERESSE SCP Thréard Bourgeon Méresse & Associés www.tbm-avocats.com RAPPEL À LA LOI : LE FRANCHISEUR DOIT COMMUNIQUER Janvier-Février 2014, n°1 DES PRÉVISIONNELS SÉRIEUX Dans un arrêt du 4 octobre 2011 la Cour de cassation a cassé un arrêt d’appel pour avoir rejeté une demande d’annulation du contrat de franchise « après avoir constaté que les résultats de l’activité du franchisé s’étaient révélés très inférieurs aux prévisions et avaient entrainé rapidement sa mise en liquidation judiciaire, sans rechercher si ces circonstances ne révélaient pas, même en l’absence de manquement du franchiseur à son obligation précontractuelle d’information, que le consentement du franchisé avait été déterminé par une erreur substantielle sur la rentabilité de l’entreprise. » Nous avions souligné à l’époque l’importance de cet arrêt qui affirmait pour la première fois, que la rentabilité de l’entreprise franchisée était un élément déterminant pour le franchisé lors de son engagement. Sur renvoi de cassation la Cour d’appel de Paris a confirmé dans un arrêt du 12 septembre 2013 l’annulation du contrat de franchise parce que « le franchisé a été déterminé à conclure le contrat de franchise sur la base d’éléments trompeurs lui laissant escompter des résultats bénéficiaires » alors qu’en réalité ses résultats furent déficitaires au point d’entrainer la liquidation judiciaire de sa société un an après son ouverture. La Cour d’appel retient à charge contre le franchiseur d’avoir remis un compte d’exploitation prévisionnel peu sérieux, alors qu’il connaissait le lieu d’exploitation pour avoir visité les locaux, l’acte « pour lequel il avait reçu une mission d’analyse rétribuée » sans tenir compte du fait que la franchise serait installée dans une galerie marchande en cours de création, sans intégrer l’aléa prévisible d’un retard d’ouverture, sans comptabiliser en charge la caution bancaire requise par le fournisseur exclusif—qui est par ailleurs filiale du franchiseur—et sans tenir compte d’un dépassement prévisible du montant des investissements. Le franchiseur avait aussi omis de mettre en charge le coût de l’adhésion obligatoire à l’association des commerçants, celui de l’informatique, celui de l’adhésion à la coopérative , de la caution bancaire et de l’étude préalable qu’il avait pourtant facturé. Pour la Cour d’appel, ces données et « circonstances… auraient du être intégrées dans un prévisionnel sérieux ». Quant au manque de chiffre d’affaires réel par rapport au chiffre mentionné dans le prévisionnel, la Cour relève qu’il « était largement prévisible en période de démarrage pour un fonds de commerce crée dans une zone commerciale nouvelle » mais que le franchiseur n’en a pas tenu compte, son prévisionnel reposant « sur des données propres aux autres franchisés du réseau qui n’étaient en rien comparables » à celle du franchisé concerné. Et la Cour de poser comme principe que le « déficit d’analyse pertinente du chiffre d’affaires a été aggravé par un manque de rigueur dans l’analyse des charges auxquelles le franchisé allait devoir faire face ; que si un prévisionnel reste un élément aléatoire, il n’en demeure pas moins qu’il doit être réalisé avec sérieux et prendre en compte l’ensemble des éléments positifs et négatifs connus, concernant l’activité concernée, afin de permettre au candidat de s’engager en connaissance de cause notamment en termes de risques » Salutaire mise au point de la Cour d’appel qui amplifie l’arrêt de la Cour de cassation : 1. Le franchiseur doit communiquer des informations sérieuses qui permettent au franchisé de s’engager en connaissance de cause. 2. Le chiffre d’affaires mentionné dans le prévisionnel doit résulter d’une analyse pertinente du marché local, sans se contenter de reprendre celui des autres franchisés situés ailleurs et exploitant dans d’autres environnements. Il doit tenir compte des spécificités du site étudié. 3. L’analyse des charges doit être faite avec rigueur et sérieux et prendre en comptes les éléments négatifs et positifs, ainsi que les aléas inhérents à ce type d’étude. L’aléa fait partie de l’étude et il n’exonère pas le franchiseur de sa faute s’il omet de le prendre en compte. Cet arrêt du 12 septembre 2013 doit être mis en perspective avec les 2 arrêts rendus par la Cour de cassation le 10 décembre 2013, commentés ci après par Me Anne Cécile Benoit. Serge MERESSE DANS CE NUMERO: Non, la Loi Doubin n’est pas jetée aux oubliettes Renforcement du devoir de mise en garde pour les banques spécialisées dans la franchise Abus de confiance du franchiseur 2 3 4 EN TOUTE FRANCHISE Lettre d’information des Franchisés NON, LA LOI DOUBIN N’EST PAS JETEE AUX OUBLIETTES Dernièrement, les débats se sont concentrés autour de l’arrêt rendu le 4 octobre 2011 par la Cour de cassation qui a fait rentrer la rentabilité du concept dans le champ du contrat : la communication de prévisionnels très supérieurs à la réalité provoque une erreur substantielle sur la rentabilité de l’activité entreprise, ce qui vicie le consentement du franchisé et rend nul le contrat. Mais qu’est-il advenu de la Loi Doubin (art. L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce) que les franchiseurs cherchent si souvent à contourner ? Rappelons que cette Loi impose au franchiseur une obligation d’information précontractuelle : il doit, avant à la signature du contrat, communiquer au candidat à la franchise un document contenant des informations sincères sur son réseau, son expérience, une présentation de l’état général et local du marché et ses perspectives de développement (le DIP). Le but : permettre au franchisé, qui ne connait pas le marché qu’il va intégrer, de s’engager en connaissance de cause. La Cour de cassation, par deux arrêts rendus le 10 décembre 2013 (N° 12-23115 et 1223890), vient très justement rappeler les exigences de la Loi. Le franchiseur d’un réseau de conseillers en gestion de patrimoine avait remis aux candidats une simple trame à compléter pour qu’ils réalisent eux-mêmes l’étude du marché local à sa place, ainsi que des comptes d’exploitation prévisionnels complètement irréalistes. Les deux franchisés demandaient l’annulation de leur contrat pour vice du consentement. Le Tribunal de commerce et la Cour d’appel de Paris (Pôle 5 – Chambre 4) les avaient débouté de leur demande en jugeant – contre l’évidence du texte de la Loi – qu’il appartenait au franchisé de procéder lui-même à une étude d’implantation précise. De plus, bien qu’ayant constaté le caractère irréaliste des prévisionnels, la Cour refusait de sanctionner la faute du franchiseur au motif que l’expérience professionnelle des Page 2 franchisés (l’un avait été ingénieur dans l’industrie et l’autre consultant en risques financiers) leur aurait permis d’apprécier les prévisions du franchiseur !!! En cassant dans leur totalité ces deux arrêts d’appel, la Cour de cassation réaffirme l’autorité d’une loi que les franchiseurs et certains Juges dénaturent trop souvent. Deux moyens sont particulièrement à retenir : 1. L’annexe intitulée « trame d’état du marché local » ne contenait aucune information fournie par le franchiseur ; 2. La Cour d’appel n’a pas expliqué en quoi l’expérience professionnelle des franchisés aurait pu leur permettre de se livrer à une appréciation du caractère réaliste ou non des prévisions du franchiseur. La Cour suprême rappelle donc que les franchiseurs ont l’obligation de fournir des données sur le marché local et ses perspectives de développement et qu’ils ne peuvent pas rester passifs en se limitant à la transmission d’un support à compléter par le franchisé. Espérons également que les Juges du fond cesseront de cautionner le comportement peu scrupuleux des franchiseurs qui n’hésitent pas à annoncer des chiffres extravagants sur la rentabilité de leur concept, tout en sachant très bien que malgré son parcours, qui n’a en général rien à voir avec le marché concerné, le candidat à la franchise n’a aucun moyen d’en vérifier la réalité puisqu’il n’a pas accès aux informations du réseau. Les franchiseurs ne peuvent pas fuir leurs responsabilités lorsqu’ils ventent les mérites de leur concept pour y faire investir les franchisés. Anne-Cécile BENOIT Janvier-Février 2014, n°1 RENFORCEMENT DU DEVOIR DE MISE EN GARDE POUR LES BANQUES SPECIALISEES DANS LA FRANCHISE Pas à pas, la jurisprudence évolue dans le sens d’une meilleure protection des franchisés-cautions à l’égard des banques qui se présentent comme "spécialistes de la franchise". Le franchisé personne physique est, dans la quasi-totalité des projets, amené à se porter caution personnelle du prêt contracté auprès de la banque dans le but de financer l’ouverture de son point de vente. Dans l’hypothèse où la société franchisée ne peut pas faire face au remboursement du prêt (notamment en cas de dépôt de bilan), la banque appellera inévitablement le franchisé-caution à payer sur ses biens personnels. Quelles solutions s’offrent alors à lui ? Outre les hypothèses de non-conformité de la mention manuscrite ou de disproportion entre le montant de l’engagement et les biens et revenus de la caution, qui permettent à cette dernière d’être déchargée de son engagement, le franchisé peut également chercher à engager la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde. Certains juges n’hésitent pas à sanctionner des banques qui, bien que s’étant vantées d’être, à travers leur Pôle franchise, à même de recueillir des informations sur tout type de réseau et, par là même, de se prononcer sur le sérieux et sur la faisabilité du projet qui lui est soumis par un candidat franchisé, n’ont en réalité fourni aucun travail d’analyse. On rappellera que par un arrêt du 5 août 2011, la Cour d’appel de Paris, relevant que la Banque Populaire « s’est prévalue à l’époque des faits d’une compétence et spécialisation en matière de franchise, ainsi que d’un accès, sur le plan national, à des informations centralisées sur les réseaux de franchise », avait estimé que cette dernière « a manqué à son obligation de mise en garde de l’emprunteur, en ne s’étant pas suffisamment renseignée sur la faisabilité du projet qui lui était soumis ». Les juges condamnaient alors la banque à indemniser le franchisé à hauteur de 140.000 euros. Le Tribunal de commerce de Lyon s’est fait le relais de cette approche dans un jugement du 10 décembre 2012. Très récemment, la Cour d’appel de Douai, par un arrêt du 29 octobre 2013, réitère on ne peut plus clairement la solution. Relevant que la Société Générale se prévalait dès avant le prêt consenti « d’une compétence et d’une spécialisation en matière de franchise » et qu’elle « avait une connaissance particulière du réseau en ce qu’elle finançait d’autres franchisés de ce réseau », la Cour a estimé que la banque « ne pouvait manquer de percevoir que le dossier prévisionnel établi par le franchiseur n’était pas conforme à la rentabilité du réseau », et concluait qu’elle « détenait des informations sur le réseau dont ne disposait pas (le franchisécaution) », et qu’ « en s’abstenant de les lui communiquer et en ne l’alertant pas sur le risque tiré de l’opération, la Société Générale a commis une faute de nature à engager sa responsabilité et dont elle ne peut se dédouaner aux motifs inopérants que (le franchisé) aurait dû s’assurer les services d’un comptable ou que le risque incombe à l’emprunteur ». La Cour, au titre du « non-respect de ses obligations de loyauté et de mise en garde », a condamné la banque à payer la somme de 165.000 euros au franchisé-caution, après l’avoir déchargé de son engagement de caution. Les banques ne peuvent donc plus se présenter comme des spécialistes de la franchise sans en fournir la contrepartie, sous peine d’avoir à en assumer les conséquences juridiques et financières. Les franchisés, emprunteurs et cautions, sauront s’en souvenir. Charlotte BELLET Rodolphe PERRIER Page 3 SCP THREARD BOURGEON MERESSE & ASSOCIES ABUS DE CONFIANCE DU FRANCHISEUR Tribunal correctionnel de Toulouse 18 novembre 2013 Dans un réseau de transport de petits colis, le franchiseur avait organisé un système de facturation et d’encaissement centralisés supposés améliorer la rentabilité des franchisés. Au sein de la même banque, le franchiseur encaissait les factures des franchisés sur un compte appelé « compte réseau ». Il possédait un autre compte, intitulé « compte exploitation ». SCP Thréard Bourgeon Méresse & Associés 181 rue de la Pompe 75116 Paris Téléphone : 01 47 27 00 60 Télécopie : 01 45 53 61 13 Messagerie : [email protected] Dépôt légal janvier 2014 ISSN 1961-3490 S. Méresse, Directeur de la publication O. Zakharova-Renaud, Responsable de la rédaction Sur le compte réseau, le franchiseur agissait comme « mandataire transparent » des franchisés et ne devait prélever que les sommes contractuellement définies : les redevances, les frais annexes et les charges communes. Sur le compte exploitation, le franchiseur disposait d'une liberté de mouvements. Malgré un développement important, le franchiseur s'est trouvé en difficulté financière. La banque a compensé le débit du compte exploitation par le crédit du compte réseau, puis refuser tous nouveaux concours. Ceci provoquera la liquidation judiciaire du franchiseur, mettra fin au système de facturation centralisée ainsi qu’au versement des recettes des franchisés. Les franchisés s’apercevront alors que le compte réseau servait à octroyer aux franchisés en difficulté des avances de trésorerie et à financer des projets de développement du franchiseur, en manque de fonds propres. Ce compte réseau connaissait des découverts dépassant les 2 millions d'euros. Le tribunal correctionnel de Toulouse a condamné le franchiseur pour abus de confiance. Cette infraction est ainsi définie : « le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé » (article 314-1 du code pénal). Selon le tribunal : « en utilisant les sommes qu'elle devait rembourser à chaque franchisé dans un délai d'un mois, pour financer des avances à d'autres franchisés, de surcroît de manière systématique sans considération de leur chiffre d'affaires et dans de nombreux cas, sans même en solliciter le remboursement, il a été commis dans le cadre de la société X des faits de détournements constitutifs d'abus de confiance au préjudice des franchisés ». La volonté affichée du franchiseur de soutenir le réseau ne le dédouane pas. Outre le préjudice des franchisés dont la trésorerie a été sollicitée, ce système permettait au dirigeant de la franchise de se rémunérer confortablement et de maintenir sa société en survie artificielle dans le but de la céder. Le fait pour le franchiseur d’être propriétaire des comptes bancaires litigieux n’a pas non plus été pertinent. En effet, s'il était propriétaire des comptes, il n'était pas propriétaire des sommes qu’il gérait pour les franchisés. Or constitue précisément un détournement, le fait de déposer des fonds de tiers sur son propre compte, et de les exposer ainsi aux poursuites de ses créanciers. La banque a pu compenser les deux comptes pour se rembourser, provoquant ainsi la chute de tout le système. Ainsi, le franchiseur qui met en place un système de facturation centralisée et de gestion de la trésorerie des franchisés doit constamment être en mesure de restituer les sommes qu'il a reçues en tant que mandataire transparent. Le dépôt de ces sommes sur un compte qui lui appartient est fautif. Le fait d’utiliser ces sommes en dehors de ce qui est prévu au contrat est également constitutif d'un détournement. Le dirigeant a été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10,000 euros. Le tribunal se prononcera ultérieurement sur les dommages et intérêts dus aux franchisés. À suivre, donc. Olivier TIQUANT Le Cabinet a le plaisir d’accueillir Maître Rodolphe PERRIER qui travaille en équipe avec Maître Charlotte BELLET. Docteur en droit, titulaire de deux 3e cycles en Droit des affaires et en Droit des obligations, il a exercé pendant plusieurs années dans des Cabinets d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation. Il y a notamment développé une véritable spécialité dans le domaine des contrats de distribution en général et des contrats de franchise en particulier. En parallèle, après avoir été attaché de cours à l’Université Paris V pendant 4 ans, il intervient depuis 2010 comme maître d’enseignement à l’Ecole du Barreau de Paris, et enseigne depuis 2012 à Sciences Po Paris. Page 4
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