La sociologue Firouzeh Nahavandi est professeur à l’ULB et directrice du Centre d’études de la coopération internationale et du développement (CECID). Madame Nahavandi, que vous inspire le fait que la justice belge ait jugé que Sharia4Belgium était une organisation terroriste et qu’elle ait condamné plusieurs de ses membres ? Sans mettre aucunement en cause la neutralité et l’indépendance des juges anversois, je crois qu’il faut mettre leur relative sévérité en relation avec le climat actuel, lui-même créé par les attentats terroristes qui, ces derniers mois, ont bouleversé l’Europe et plus singulièrement la France et la Belgique. Certains ont estimé que Sharia4Belgium et son porte-parole Fouad Belkacem étaient des prosélytes et non des terroristes et que leur message et leurs actes tenaient essentiellement du folklore et ne représentaient pas réellement de menace pour la société belge… De ce point de vue, je ne peux que faire référence aux études du spécialiste du salafisme qu’est Samir Amghar. Selon lui, il existe trois types de salafisme : le salafisme piétiste, le salafisme politique et le salafisme jihadiste. A mes yeux, Fouad Belkacem fait clairement partie de la troisième catégorie, lui qui prône la violence et dit admirer les actes les plus atroces commis un peu partout dans le monde au nom du jihad. Tous ceux qui l’entourent ne sont peut-être pas de la même eau mais qu’on puisse parler de folklore en évoquant un groupuscule dont on a pu mesurer les dérives est parfaitement erroné. Le comportement de Sharia4Belgium a-t-il fait du tort à la communauté musulmane du pays ? Bien évidemment. Tous les musulmans ne sont pas jidahistes et tous les salafistes ne le sont pas non plus. Les membres de Sharia4Belgium, tout leur parcours le montre, ne représentaient en quelque sorte qu’eux-mêmes mais leurs actions ont entretenu le risque de confusion. Ce groupuscule a fait du tort à l’ensemble de la population : en instillant le doute au sein de la population non musulmane, encline à voir tout musulman comme un terroriste en puissance ; en salissant la réputation de la communauté musulmane, qu’il ne représente pourtant en aucune façon ; en jetant une suspicion de nature à radicaliser les autres communautés. Peut-être le jugement aidera-t-il à calmer les choses ? Je n’en suis pas sûre car le mal est fait et le vivre ensemble est déjà ébranlé. De ce point de vue, Belkacem et les siens ont en quelque sorte réussi. La figure de Fouad Belkacemn est quelque peu particulière. Il a agi en gourou, subjuguant littéralement ses ouailles... Oui, ce fut une locomotive, une étoile, un leader charismatique. Mais de telles figures ne sont pas propres aux mouvements islamistes radicaux. On en retrouve dans d’autres contextes, religieux ou non. Par ailleurs, beaucoup de ceux qu’il a subjugués comme vous dites étaient sans doute prêts à le suivre pour avoir déjà été conditionnés par d’autres canaux. Internet et les réseaux sociaux, par exemple… En effet, pour les jihadistes, Internet est un outil de propagande très précieux. Les vidéos qu’ils y déposent, toute la littérature qu’ils développent sur la Toile les aident sans doute à convaincre et à recruter. Mais il faut une motivation particulière pour surfer sur leurs sites, il faut être prêt à recevoir leur message. L’endoctrinement n’est pas qu’une question de technologie.
© Copyright 2025 ExpyDoc