ÉDUCATION MERCREDI25MARS2015 P 34 CLEMI SEMAINE DE LA PRESSE À L’ÉCOLE Dans les coulisses de La Kleberienne La liberté d’expression, ça s’apprend Conf’ de rédac’ au lycée Créé et conçu à 100% par des jeunes, le journal du lycée Kléber, à Strasbourg, a repris du poil de la bête cette année. Fraîcheur et bonne humeur en réunion avec des journalistes motivés. «E Une édition 2015 marquée par Charlie. Depuis lundi et jusqu’à samedi, c’est la 26e Semaine de la presse et des médias dans l’école. Le thème choisi cette année par le Clemi (le centre de liaison de l’enseignement, des médias et de l’information), c’est : « La liberté d’expression, ça s’apprend ! », en hommage aux victimes des attentats survenus en janvier dernier. Créer un journal scolaire est justement l’un des moyens de se frotter à l’apprentissage de la liberté d’expression. Également organisé par le Clemi, le concours annuel Mediatiks récompensera bientôt les parutions de l’académie qui y ont participé (chaque année, une trentaine). À noter, le « dépôt pédagogique » obligatoire auprès du Clemi, qui donne aussi sur son site de nombreuses pistes aux journalistes scolaires. www.ac-strasbourg.fr/ pedagogie/clemi EN PRIMAIRE PÉRISCOLAIRE Des trimestriels dans sept écoles La jeune association strasbourgeoise SLFA (Schbört on Loisir fer Ale) a fait naître des journaux dans sept écoles primaires de la ville depuis la rentrée, en tant que nouvelle activité périscolaire née de la réforme des rythmes. Les enfants ont une dizaine de séances d’une heure et demie pour produire leur numéro, dont ils ont le droit de changer le titre à chaque trimestre. « Le journal des Petits Romains » à Koenigshoffen, « Le N’importe quoi et nous » à Stoskopf, « Les informations de Fischart » ou « Le journal 2 la Cath » à la maille Catherine sont distribués en grand format pour chaque classe, et en petit à chaque contributeur. « Ce sont eux qui choisissent leurs thèmes ; ils sont totalement libres », raconte Yannick Cabald, le président de SLFA. « C’était une des premières actions qu’on a proposées, pour que les enfants puissent s’exprimer et qu’ils comprennent qu’écrire n’est pas forcément une contrainte. » st-ce que vous avez des idées d’articles ? », attaque Valentine, l’énergique rédactrice en chef du lycée Kléber, à Strasbourg, alors que s’installent ses neuf collaborateurs du jour pour la conférence de rédaction de « La Kleberienne ». « On va parler du séjour à Londres ! » se télescopent plusieurs voix, sur le ton de l’évidence. « Hé, cherchez si vos correspondants ont des talents ! », s’enflamme illico Inès, dix idées à la seconde. « Tu pourrais me pondre un truc pour samedi ? » Le chemin de fer (la représentation page par page) du numéro 2, presque bouclé, s’affiche sur l’ordinateur portable de Valentine. En première ES, c’est elle qui fait toute la mise en forme. Il faut déjà réfléchir au numéro 3. « Ce serait bien de sortir le 1 er juin », plannifie-t-elle. « Trop tard », objectent les autres. Va pour le 20 mai. « Est-ce que tu connais un autre bar qui fait de l’art, parce que c’était bien, ça », encourage la rédac chef en s’adressant à Inès. Elle « peut trouver », promet-elle en triturant une canette de thé glacé. Quel livre chroniquer ? « J’ai lu quoi, récemment ? », s’interroge Hiba à haute voix. « Ça va être un roman de gare », se moque gentiment une L. La section littéraire est majoritaire dans l’équipe de rédaction, mais Hiba, bien qu’en S, ne s’en laisse pas conter en matière de littérature. Le CPE, parce qu’il est beau « On pourrait faire un article « Si j’étais proviseur », propose Sofia, dans l’enthousiasme général. Margaux, sweat-shirt gris au blason de Kléber, arrive avec des sandwiches – la réunion se tient un peu avant 13 h, un mercredi. « Guillaume, tu veux faire un article « sciences » ? demande Valentine au discret et seul garçon Une douzaine de lycéens publient « La Kleberienne » cette année (trois numéros prévus). « Il y a les fixes et ceux qui envoient leurs articles et viennent quand ils veulent », résume Inès. Les permanents et les pigistes, en somme. PHOTO DNA – CÉDRIC JOUBERT présent, qui a déjà écrit deux pages sur le cerveau dans le premier numéro. « On peut interviewer le CPE pour savoir pourquoi il a choisi ce métier ! » lance Inès. Sourire en coin, Valentine la toise : « parce qu’il est beau ? » « Ouiiii », se lâchent quelques filles. Et Élisabeth, la « nouvelle recrue », elle veut écrire sur quoi ? Elle est open sur tout, elle peut même faire de la vidéo car plus tard, elle voudrait être monteuse. « Fais un truc sur les régimes », suggère Inès. « Mais arrête de bouffer des beignets quand tu dis ça ! », la tacle Hiba en éclatant de rire. Des sujets en rapport avec le bac ou sur l’orientation ? Saôulant, s’accorde l’équipe. Ou alors, « comment rater son bac », s’amuse Margaux. « Il faudrait sortir plus d’infos sur Strasbourg, qu’on ne trouve pas sur internet », exhorte la rédac’ chef, super pro. « Un truc sur la politique ? », demande Yéléna. « On peut pas, on doit rester neutre. » « Et la cantine, vous avez vu comme elle est belle ? » « En prépa, y’a une Libanaise, elle chante trop bien ! » « Et le mec qui a fait le concours d’éloquence ? » Ça y est, Élisabeth a une idée de sujet : elle va au Maillon demain soir, elle pourrait parler de la pièce de Tchekhov. Les yeux de Valentine se mettent à briller : « Tu pourrais me pondre un truc pour samedi ? » « Ouais », avance timidement Élisabeth, réalisant qu’elle n’aura pas plus de 24 heures pour livrer son papier… Hiba, rédactrice mais également correctrice, se souvient du numéro 1 : « J’ai passé trois heures à corriger ce truc et à la fin, il n’y avait pas la correction ! », soupire-t-elle, en enlevant discrètement la canette vide des mains d’Inès. Il faut dire qu’elle faisait sans s’en rendre compte un sacré bruit de fond. CHARLOTTE DORN R Un journal autogéré par les ados Avec les lycéens, les étudiants de prépa, les collégiens, et tous les adultes qui travaillent sur le site scolaire de la place de Bordeaux, la Kleberienne s’adresse à un vivier de près de 3 000 personnes. « C’est plus que certains villages de France », milite Valentine Zeler, sa rédactrice en chef. L’an dernier, lorsqu’elle était encore en seconde, avec deux élèves de terminale, elle fait renaître la publication restée en souffrance quelques années. En septembre, elle se retrouve seule, mais vite rejointe par des premières L « super-motivés » et d’autres élèves de ES et de S, recrutés dans son groupe d’arts plastiques ou grâce à la pub faite par les profs. Les adultes, à commencer par le proviseur, soutiennent l’initiative, mais ce sont les Distribué à 400 exemplaires, le numéro 2 vient de sortir. DOCUMENT REMIS jeunes qui gèrent entièrement le journal, gratuit, tiré à 400 exemplaires sur les imprimantes du lycée. En noir et blanc, sauf 20 exemplaires en couleur. Webradio, vidéo : d’autres médias scolaires Un journal vidéo, une webradio : la presse scolaire locale explore de nouveaux supports. AU COLLÈGE FOCH, à Stras- bourg, le « Canard Foché », journal implanté depuis plusieurs années dans l’établissement, « battait un peu de l’aile », de l’aveu du documentaliste Jean-Charles Ambroise. Avec sa collègue de lettres Sophie Metzger, ils couvaient tous les deux la publication depuis plusieurs années, et ses équipes de rédaction aux visages changeant à chaque rentrée. « Il y a des années où ça marchait vraiment bien, et d’autres… moins. C’est toujours aléatoire », témoigne le patron du CDI (centre de documentation et d’information). Depuis septembre dernier, le Canard s’est mis au son et à l’image. Les reportages se font en vidéo et s’affichent sur le site du collège, qui a acquis un logiciel de montage, un caméscope avec une prise de micro externe et un bon micro. « À l’origine, on s’était formé pour le concours de la Résistance », raconte le documentaliste – compétition dans laquelle s’est plusieurs fois illustré l’établissement. Depuis le début de l’année, une vingtaine d’élèves ont joué les journalistes. Des troisièmes proposent un reportage sur un débat à l’initiative des élèves. Le thème : le streaming et le téléchargement illégal. Une classe raconte en vidéo l’exposition « Strasbourg en guerre ». Jérémy et Capucine présentent l’UNSS (le sport associatif scolaire), Robin dévoile les secrets de sa trompette, démo à l’appui… Certains travaillent dans le cadre d’un projet scolaire, d’autres viennent volontairement entre midi et deux. « C’est assez souple, explique Jean-Charles Ambroise. En fonction des initiatives, on leur explique quelques consignes pour la caméra mais ils comprennent très vite. » AU LYCÉE LE CORBUSIER, à Illkirch, c’est aussi dans le giron du CDI que se concocte la naissance d’une webradio, pour la rentrée prochaine. « Je ne sais pas exactement vers quoi on va mais en tout cas, c’est enthousiasmant ! », confie Laëtitia Ory, qui avait très envie de faire explorer aux élèves cet « outil intéressant pour que les apprenants parlent aux apprenants ». La documentaliste s’est déjà entourée de volontaires parmi ses collègues pour encadrer l’atelier radio : prof de lettres histoire en lycée professionnel, prof de lettres en lycée technologique, prof de multimédia en post-bac : l’équipe reflète déjà la diversité des profils du lycée. Reste à recruter, en septembre, des élèves de seconde et première. Pascal Freund, le chef d’établissement, a promis de se casser la tête sur l’emploi du temps pour mettre en regard les créneaux des filières technologiques et professionnelles. « S’intéresser les uns aux autres » Laëtitia Ory se démène pour un octroi de moyens : du temps scolaire pour les journalistes, quelques heures sup pour les enseignants, le coaching d’un pro de la radio. D’abord impressionnée par le défi technique, elle change d’avis après une petite formation : « Je me suis bien aperçue que c’était faisable. Ce qui paraît finalement plus difficile, c’est l’écriture radio. » Côté matériel, elle peut compter sur deux enregistreurs numériques avec un pied. Même si la radio tournera aussi avec les smartphones des élèves, « pour leur montrer qu’on peut faire plein de choses autres que Snapchat et Instagram ». « On sera vraiment dans l’éducation aux médias, mais aussi à la citoyenneté : il s’agit de s’intéresser les uns aux autres. Ce n’est pas habituel d’entendre ses camarades parler. Et puis, par la voix, on donne plus de soi. J’espère que ça va les séduire, que ça va être quelque chose de nouveau pour eux, et pas simplement l’intrusion des adultes dans leur univers. D’ailleurs, finalement, la radio, ils ne connaissent pas si bien que ça. » R F12-LST 02
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