15 JEUDI 22 JANVIER 2015 BUSINESS Les FEMMES gagnent du terrain Depuis quatre ans, le football féminin français vit une transformation profonde, tiré par ses deux locomotives, l’OL et le PSG. Une évolution vers le professionnalisme au modèle économique encore incertain. C’EST un peu comme si Olivier Sadran (au hasard), président du TFC, avait enfilé, un samedi soir, le maillot de son club de Toulouse pour faire le nombre dans le onze d’Alain Casanova… Il y a quinze jours, Christine Aubère (46ans), présidente du club de foot féminin d’Issy-les-Moulineaux (D 1), a disputé une partie de la rencontre de Coupe de France contre Rouen (D 2), faute de joueuses disponibles pour ce match qui se déroulait exceptionnellement en semaine. L’anecdote pourrait valider l’idée que le football féminin, rattaché à la Ligue de football amateur (LFA) de la FFF, n’est pas encore professionnel, mais ce serait oublier sa belle progression depuis quatre ans. Pour Brigitte Henriques, secrétaire générale de la Fédération française de football, plus qu’une mutation, «c’est st une révolution. Je vois des filles jouer dans les cours d’école, dans la rue. Quand j’ai débuté dans le foot, en 1982, le problème était culturel, c’était ‘’on ne te prend pas parce que t’es une fille’’. Les mentalités ont changé et je rêve éveillée depuis 2011. » Cette année-là, Lyon était le premier club français à remporter la Ligue des champions (il a récidivé en 2012), l’équipe de France de Bruno Bini disputait la demi-finale de la Coupe du monde et séduisait le grand public (2,325 millions de téléspectateurs en moyenne avaient suivi France - États-Unis sur Direct 8). Depuis, la progression est constante, à tous les niveaux. À Guingamp, l’école de foot a vu le nombre de licenciées multiplié par huit (40 cette saison), selon Marlène Bouédec, manager du club breton. « Les clubs se sont structurés. Ici, notre staff s’est étoffé, nos joueuses sont aujourd’hui semi-professionnelles alors qu’auparavant elles étaient amateurs. Cela les a complètement libérées. » Depuis que les Qatariens, d’abord réticents, ont investi dans la section féminine du PSG en 2012, le Championnat, diffusé en partie par Eurosport et France Télévisions, s’est, lui, doté d’une deuxième locomotive sur le plan financier.Le club de la capitale a ainsi multiplié son budget par douze en trois ans (6 millions d’euros cette saison) et offert des contrats fédéraux à toutes ses joueuses (23). Par le passé, les rares Parisiennes « privilégiées » ES R U E H travaillaient en parallèle, au mieux, à 4 «2 T la boutique ou à la Fondation du DU SPOR » IN il club. e s n FÉMIN o C t par le Aujourd’hui, le PSGet l’OL mèotammen visuel (CSA), n s e é rt o P » l’audio e in d in r m u nent un Championnat à deux, e fé ri supé sport econde eures du voire trois vitesses, ce que reles « 24 h e week-end leur s isibilité la v nt c connaîtro stinée à améliorer l’opération grette Patrice Lair, l’ancien tech, e s nicien de Lyon (2010-2014) et édition. D es dans les média accru sur iv rd rt a o g p s re n u aujourd’hui consultant d’Euros, des r s e te n ion e je permet d titions, les champ ais port. « Il y a deux grosses cyliné m p , les com nditions de vie que drées, mais sinon, cela n’a pas trop ti ra p la leurs co olution de évolué, les clubs n’ont pas tout mis en aussi l’év s sports au de place en termes de moyens et d’in. in fémin frastructures. Alors, un Championnat 100 % professionnel, ce sera difficile. Tous les présidents (des clubs professionnels masculins) n’ont pas l’ambition de développer le foot féminin, m ê m e p o u r m e tt re u n m i l l i o n d’euros. » Un budget que l’historique Juvisy (champion en 2006), amateur dans l’âme, mais qui, au fil des années, a évolué pour rester dans la roue des deux gros, voire les bouger un Proportion de joueuses professionnelles LE FOOTBALL À LA POURSUITE DU BASKET ET DU HANDBALL (comparaison des sports collectifs féminins en France) Budget moyen des clubs 69 % Division 1 de football (Lotta Schelin) 112 sur 163 Handball 1,541 M€ Basket 1,45 M€ Football* Volley Volley 65 % Top 8 de rugby 130 sur 200 Handball Rugby 1,23 M€ 1,026 M€ 100 000 € (*) Cette moyenne reflète mal la disparité des budgets, puisque si on exclut l’OL (4,5 M€) et le PSG (6 M€), la moyenne des budgets des clubs s’élève s’élèv à 330 000 €. 64 % LUNDI ENTRETIEN MARDI AUTOMOBILE MERCREDI PORTRAIT Ligue féminine de basket (Céline Dumerc) 130 sur 202 Basket 30 % Salaire moyen (1) 96 sur 234 JEUDI Plus haut salaire BUSINESS VENDREDI NOSTALGIE Football 17 000 € Football Ligue gue A de voll volley (Victoria toria Ravva) 16 sur 240 RENDEZ VOUS 7% Rugby* (*) Les joueuses sont semi-professionnelles 11 074 € Basket Volley 10 177 € Handball 9 742 € Rugby « peu, atteint presque. Sandrine Soubeyrand, l’ancienne capitaine essonnienne, à la tête des équipes de France féminines de jeunes depuis janvier 2014, peut en témoigner : « J’ai constaté l’évolution de mon club avec aujourd’hui certaines filles qui ne font que jouer au foot. Mais tout le football féminin ne ressemble pas à Paris ou à l’OL, il faut le structurer, et cela va prendre du temps. On est dans la situation du rugby il y a quinze ans, mais cela prendra plus de temps que les garçons car la plupart des clubs vivent de 70 % d’aides territoriales. » Aucun modèle économique viable, à l’heure actuelle, ne permet à un club féminin de survivre sans un mécène (Jean-Michel Aulas à Lyon, QSI au PSG ou Louis Nicollin, le pionnier, à Montpellier) ou sans les aides des collectivités locales, même si l’OL, qui a réduit son budget de moitié depuis trois ans, s’appuie sur plusieurs sponsors afin de limiter les pertes. « Dans la dynamique actuelle, la professionnalisation est inéluctable pour crédibiliser le foot » féminin, analyse Sébastien Duret, spécialiste du football féminin depuis quinze ans et dirigeant d’Orvault Sport Football (D 2). En même temps, le retour sur investissement n’existe pas, faute de billetterie, de merchandising ou de droits télé conséquents. » La FFF aide les clubs, à sa mesure, chaque équipe de l’élite touchant 5 000 € par an auxquels s’ajoutent 4,5 € du kilomètre pour les frais de déplacement… Pour Henriques, l’argent n’est qu’une partie du problème : « Aux Pays-Bas, la fédération a donné 80 000 € à chaque club, cela n’a pas servi à la structuration, le Championnat a coulé. » La D 1 française n’en est pas là. Elle s’appuie sur des clubs et une tradition historiques. Trop, grincent certains, qui aimeraient voir les clubs de Ligue 1 (des hommes donc) investir ce terrain sans être gênés par des barrières culturelles. Le président nantais Waldemar Kita a évoqué avec Brigitte Henriques sa nouvelle équipe féminine, rappelant qu’il s’est heurté à la défiance d’Orvault, le club de la banlieue « Avoir douze équipes pros ou semi-pros » JEAN-MICHEL AULAS, le président de Lyon, double vainqueur de la Ligue des champions, milite pour une politique volontariste. Qui imposerait notamment à une partie des clubs de L1 d’avoir une section féminine. « L’ALLEMAGNE envisage de créer une ligue professionnelle féminine ; est-ce possible en France ? – Oui. Il suffirait que la Fédération française de football oblige tous les clubs de Première Division à avoir une équipe féminine. Si c’est difficile de l’imposer aux vingt clubs, elle pourrait le faire pour les douze premiers par leur budget et/ou leur classement. Noël Le Graët, le président de la Fédération, l’a déjà réclamé il y a deux ans, sans grand résultat. – Nous vivons économiquement des années difficiles. Mais Marseille arrive ; sa section féminine est en D 2 et elle va monter. Il faut motiver Saint-Étienne (actuellement premier non-relégable) pour qu’il ne descende pas. Juvisy a le soutien des collectivités territoriales, Guingamp est présent. Avec les deux clubs pros, Lyon et Paris, ça fait déjà six. Il faut en trouver six autres. Le moment est venu. Que préconisez-vous ? – Il faudrait prendre des mesures via la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG) afin que la section féminine ne soit pas prise en compte dans le déficit du club. Dans les règles du fair-play financier (*), par exemple, deux choses sont déduites des déficits : les investissements dans les académies (centres de formation) et ceux dans le foot féminin. Cela permettrait d’avoir douze équipes pros ou semipros et d’élever le niveau. Y a-t-il une troisième voie entre le professionnalisme de Lyon et Paris et les clubs amateurs ? – Il existe plusieurs modèles. Ce que font Guingamp ou Juvisy, qui trouvent de bonnes joueuses et les font embaucher par les collectivités ou d’autres structu- res publiques, participe du professionnalisme. D’ici à quatre ou cinq ans, il y aura peu de différence entre les équipes. L’écart n’est pas de 1 à 5, comme en Ligue 1, entre Paris qui a un budget de 7 M€, Lyon qui dispose de 5 à 6 M€ et Juvisy avec 2 M€ (près de 1 M€ selon nos informations). Comment se compose le budget de l’OL féminin ? – 3 M€ sont apportés par les sponsors (onze au total, dont Adidas, GDF-Suez, April) et le reste par une dotation du club. La billetterie du Championnat nous rapporte 200 000 € par saison et on ne touche quasiment rien sur les droits télé (200 000 € annuels). La FFF s’est approprié les droits télé sans en référer aux clubs, contrairement à la Ligue 1 où les droits sont redistribués en fonc- tion de plusieurs critères, dont le classement et l’exposition télé des clubs. En D 1, il y a des remboursements sur les frais, mais pas de vraie redistribution des droits télé. En 2012, vous aviez fustigé les ‘’pharaons et les dinosaures des vestiaires’’ chez les hommes. Constatez-vous les mêmes dérives chez les femmes ? – C’est complètement différent, y compris pour les meilleures joueuses parmi lesquelles Wendie Renard, que je considère comme l’une des plus grandes. Je pense que c’est lié au fait qu’elles n’ont pas d’agents très véhéments et intéressés par leurs revenus. Le foot féminin n’est pas perturbé par des salaires trop élevés. C’est aussi lié aux valeurs portées par les filles : les joueuses ont plein de qualités footballistiques, mais pas seulement. » R. P. (*) Le fair-play financier, imposé par l’UEFA, sanctionne les clubs qui dépensent plus qu’ils ne gagnent. 3 700 € Basket 3 554 € Handball Volley Rugby Non communiqué POUR MOI,C’EST UN CHÂTEAU DE CARTES QUI PEUT VITE S’ÉCROULER PATRICE LAIR, ancien entraîneur de Lyon, double champion d’Europe Football 2 803 € 2 634 € 1 400 € (2) (1) Salaires mensuels brut. (2) À cette somme s’ajoutent diférentes aides, le but de la fédération étant d’encourager les joueuses à continuer leurs études ou à avoir un travail à côté du sport. EN CHIFFRES 77020 LE NOMBRE DE LICENCIÉES EN 2014, soit 27 000 de plus par rapport à 2011. De 2013 à 2014, les 5-19 ans ont augmenté de 24,75 %. 17000€ LE SALAIRE DE LOTTA SCHELIN. L’attaquante suédoise de Lyon est la joueuse la mieux payée de D 1 devant ses coéquipières de l’OL, Wendie Renard (14 000 €) et Camille Abily (11 000 €). Les Lyonnaises occupent les huit premières places de ce classement. La Parisienne la mieux rémunérée est Laura Georges (8 000 €). 2500€ LE SALAIRE MENSUEL BRUT DE L’ATTAQUANTE NORVÉGIENNE ADA HEGERBERG, arrivée l’été dernier à Lyon en provenance du club allemand de Potsdam. La star allemande Fatmire Alushi qui a signé au PSG, au même moment, émarge à 6 650 euros brut. 60000€ LE MONTANT ESTIMÉ DU PREMIER TRANSFERT PAYANT dans le football féminin français en juillet 2013. L’attaquante Marie-Laure Delie avait alors quitté Montpellier pour le PSG. Division 1 de handball (Cléopâtre Darleux) Photos, E. Ga Garnier, F. Golesi, A. Martin/L’Équipe ; S. Pillaud/Sportissimo nantaise : « On a rencontré les dirigeants de l’association du FCN (pas Waldemar Kita directement), reconnaît Sébastien Duret, également fondateur du site de référence www.footofeminin.fr. On leur a présenté la structure de notre club, les moyens à mettre pour bien figurer en Division 2 dans un premier temps. Ils étaient intéressés, mais surtout pour récupérer le niveau (la place en D2) sans s’appuyer sur les dirigeants actuels, ni sur les joueuses. » L’affaire a capoté et Kita a lancé sa propre structure « car, comme beaucoup, ils veulent surfer sur la vague (du foot féminin) », selon Duret. Si son plan se déroule sans accroc, le FCN version féminine, qui débute cette saison au plus petit niveau de district, atteindra donc la D2 dans quatre ans. D’ici là, il ne faudrait pas que la dynamique retombe. Ce que craignent certains, Lair en tête : « Pour moi, c’est un château de cartes qui peut vite s’écrouler. » Le président de la Fédération, Noël Le Graët, qui appuie la candidature française pour la Coupe du monde 2019, demande du temps (« On a encore besoin de cinq à six ans ») et, pas forcément fan d’une discipline 100 % professionnelle, cite en exemple Juvisy : « Leur modèle économique doit être copié par les autres. Les joueuses ont un contrat fédéral (*) et un travail à mi-temps ou vont à l’école en dehors du club. » D’ailleurs, le nombre des contrats fédéraux a explosé en France (99 cette saison, contre 43 en 2011). Autres évolutions ? La billetterie va être réglementée et, du coup, l’affluence, pour la première fois, officiellement enregistrée. Par ailleurs, une société d’audit, sollicitée par la FFF, accompagne depuis peu les dix clubs qui courent après l’OL et le PSG, alors que « pour resserrer le niveau », la D2 va passer lors de la saison 20162017 à deux poules de douze (contre trois poules de douze aujourd’hui). Brigitte Henriques, enfin, veut lancer un programme de formation de managers spécialisés dans la gestion des clubs féminins. En espérant que ces dirigeants n’aient pas à rechausser les crampons. YOHANN HAUTBOIS (AVEC R. P.) (*) Autorisé en D1 et D2 féminines depuis 2009, le contrat fédéral est un contrat semi-professionnel qui permet la rémunération des joueurs au statut amateur (National, CFA, CFA2 et DH) selon un barême de points fixé en fonction de la division dans laquelle ils évoluent. Les modalités de ce contrat sont validées par le syndicat des joueurs pros (UNFP), qui revalorise chaque année les minima salariaux. En quête de sponsors individuels LES INTERNATIONALES françaises ont, depuis 2011, un peu plus souvent que par le passé leur trombine dans les journaux. Moins dans les encarts publicitaires en revanche, faisant écho à Brigitte Henriques, la secrétaire générale de la FFF, sur la frilosité des sponsors dans le foot féminin. « Ce que je n’explique pas, c’est que tout est réuni, tout le monde le dit et parle de l’émergence du foot féminin et de ses valeurs.Tout est au vert mais peu de partenaires économiques tentent le pari.» À l’heure actuelle, si quelques joueuses ont des contrats avec leurs équipementiers (Adidas pour la capitaine Wendie Renard, Nike pour la Parisienne Laure Boulleau), aucune n’a mis le pied en dehors du football.Un agent d’image d’une internationale, en vue de la Coupe du monde au Canada (6 juin-5 juillet), commence à sonder le marché mais constate : «C’est bien de trouver un sponsor, encore faut-il pouvoir honorer les opérations.» L’an dernier, sa joueuse, retenue par un ras- semblement à Clairefontaine, n’avait pu se déplacer et avait finalement vu le (petit) contrat avec Point P lui filer sous le nez au profit d‘une joueuse... à la retraite. « On ne voit pas assez les filles hors du cadre du foot, la FFF ne les soutient pas assez dans ce sens», constate l’agent. Frank Hocquemiller, patron de l’agence d’image VIP Consulting, ne gère aucune des Bleues :«J’ai rencontré des joueuses de foot comme Laure Boulleau qui a une belle image mais j’ai renoncé à travailler avec elle car elle aurait été déçue.Le sport féminin n’est pas exposé même si les joueuses réalisent un très gros exploit sportif, il n’est pas viable économiquement.C’est un constat négatif mais je regarde la réalité des chiffres. » Quatre joueuses de l’équipe de France (Sandrine Soubeyrand, Gaëtane Thiney, Laure Lepailleur, Bérangère Sapowicz) avaient signé en 2012 un contrat personnel avec Carrefour, partenaire de la FFF et des Bleues.Qui n’a pas été renouvelé. Y. H. ET R. P.
© Copyright 2024 ExpyDoc