Petites considérations sur la cabane

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Petites considérations sur la cabane
Cabane : construction légère, spartiate, de petite dimension ? A destination particulière ? Plus
qu’une résidence il s’agit plutôt d’un abri, d’un refuge, qui permet une pause, une évasion, un repli…
pour… s’échapper physiquement ? Rêver, voyager, déambuler mentalement ?
Edifice à l’origine de l’architecture ? Une construction vernaculaire créant un lien direct entre
l’homme et son environnement ? Souvent de bric et de broc, ce serait une aventure à construire, un
modèle de pédagogie ? Pour l’architecte, le témoin d’une réflexion approfondie, entre art et
technique, théorie et pratique ? (extrait de Vagabond’Art- « Cabanes, construis ton aventure », juin
2002)
Le Corbusier considérait la cabane primitive comme preuve de la création rationnelle, géométrique
et économe voulue de l’homme et preuve de cette science de bâtir. Cette cabane est aussi la preuve
de l’affinité entre architecture et nature, permettant d’atteindre la poésie par la rigueur : « car la
poésie est un phénomène d’une exactitude rigoureuse ». Sa cabane ? L’archétype d’un habitat pour
« revenir à l’échelle humaine », une réponse à ses préoccupations techniques et humanistes
caractérisées par l’emploi du Modulor. Une telle vision de la cabane ne nous interroge-t-elle pas sur
nos véritables besoins, déformés et amplifiés par notre nouvelle société de consommation de ce
début de 21ème siècle, développée sur l’ère internet et son cortège de nouvelles communications et
d’accès à l’information consumériste.
Pour Vitruve, sa cabane correspond à l’habitat primitif, œuvre humaine qui s’apparente aux huttes
de feuilles ou loges creusées : elle légitime certaines règles architecturales. Elle se traduit par un abri
qui résulte d’une œuvre spécifiquement humaine conditionnée par la maîtrise du feu par les
hommes, le rassemblement en société, et l’habitat en un même lieu. (extrait de La cabane primitive
ou les origines de l’architecture par Alain Douangmanivanh, 29 mars 2004).
Pour Gilles A. Tiberghien la cabane permet une vie contemplative, vouée à être « habitée
passagèrement ». Elle est l’antithèse de l’habitat traditionnel, maison durable, familiale, chargée
d’histoire. Elle permet d’habiter le paysage vernaculaire, d’explorer de nouveaux paysages, ceux de
nos lectures, qui nous font voir autrement le monde. Elle permet l’expression mentale comme
Thoreau l’exprime depuis sa cabane de Walden. Elle permet l’expérience de la langue, expérience de
l’usage des mots, expérience du monde.
Autre particularité de la cabane qui brouille le rapport intérieur/extérieur, abolit la notion de seuil
qui caractérise la maison. Ainsi « la nature étend indéfiniment l’espace de la cabane : la nature
devient d’une certaine façon la cabane ». « La cabane a quelque chose à voir avec le corps mobile et
itinérant, avec le corps que nous sommes, la maison avec le corps que nous avons ».
C’est une machine à rêver.
Une cabane
Cabane qui appartient au paysage. Cabane qui appartient à l’histoire, celle du monde rural, de ses us
et coutumes à travers les siècles.
Signe, trace d’abris… d’une vie rythmée sur les saisons de ces paysans ou de ces bûcherons qui
avaient besoin de s’abriter, s’alimenter, se reposer entre deux labours aux champs, entre deux
labeurs en forêt.
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Nos campagnes en sont parsemées. Certaines sont encore debout, d’autres peinent à tenir encore
sur leurs piliers, le poids des ans et la disparition de nos ancêtres ne leur ayant pas permis de résister
aux intempéries, à l’outrage du temps.
Autrefois placées à la croisée des chemins, aujourd’hui à la croisée de deux époques de transition,
coincées entre ruralité et « rurbanité », ces cabanes tendent à disparaître peu à peu par manque
d’attention, parce que pas toujours placées à la croisée des enjeux économiques et touristiques de
nos territoires.
Hommage perdu. Dommage…
La cabane
Ce lieu de vie ou petit habitat, sommaire, qu’il soit primitif ou de tradition, est synonyme de ruralité.
De la préhistoire au Moyen-Age, cet abri rustique a permis aux populations de vivre, se reposer, se
sustenter à l’abri des prédateurs, des intempéries, dans des lieux parfois stratégiques pour la
protection du foyer familial (grottes, cavernes, types troglodytes…) ou encore en milieux plus
ouverts, sur des zones géographiques de transit, de passage… . C’était alors une sorte de refuge
permettant ponctuellement de se reposer, s’organiser, reprendre des forces, morales et physiques.
Cabanes perdues dans la nature, éparses de par leurs fonctions premières, elles s’effacent peu à peu
de nos mémoires. Perdues en raison des multiples remembrements et partages des familles, sans
projet, sans visite, sans restauration, tombées en désuétude, parmi éboulis, ronces, lierre, mousses…
Souvent à l’abri des regards, elles sont parfois devenues de simples traces, tas de pierres, souvent en
pleine forêt, sur des promontoires, comme retirées du monde, retirées de notre monde
contemporain davantage investi sur le paysage du net et des espaces virtuels.
Aux abris circulaires, auges, soucoupes, empreintes de dépressions circulaires primitives de nos
ancêtres, ont succédé chez nous les cluzeaux puis des structures plus géométriques, de plan
rectangulaire, traduisant une intervention humaine plus académique basée sur les règles
architecturales. De une à cinq ou six pièces, elles témoignent de ces refuges qui, lors des conflits
(invasions, guerres, pillages de l’époque moyenâgeuse, résistance…) ont permis aux femmes et aux
hommes de survivre, de se cacher, de s’organiser, trouvant là des forces pour repartir… dans la vie,
une nouvelle vie ?
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Ma cabane
La cabane de mes rêves. Rêve de cabane. Rêver sa cabane. Rêver vivre… autrement, autre chose…
parfois survivre, aujourd’hui encore. Survivre pourquoi ? A quoi ?
Pourquoi vouloir tant construire une cabane ?
Enfant, terrain de jeu, la cabane est tout indiquée. Mais adulte, en quoi une cabane peut-elle nous
donner des idées, des envies ? De jouer, de partager ? Se terrer pour se cacher, s’isoler pour se
reposer? De quoi, de qui ? De nous-mêmes ? Pour nous protéger, nous ressourcer, des angoisses
issues des agressions de notre société, de notre mode vie de plus en plus pressant, exigeant… à en
oublier notre vie familiale ou nos liens de voisinage. Un lieu privilégié, pour nous ? Pour nos enfants ?
Une sorte de respiration géographique, environnementale et temporelle.
Cabane : signe des temps. Concevoir, penser une cabane… c’est à ma portée : papier, crayon, bois,
forêt, chemins… les ressources sont dans la nature. Tout mène à ma cabane : celle faite de mes
mains, prolongement de mes pensées, celle qui traduit ma vision, mes utopies, mes envies, cette
autre façon de me présenter au monde et d’observer ce monde. Sinon, m’observer moi-même.
Cabane contemporaine, reflet de moi-même, de mes origines, pas celles du monde mais bien celles
qui m’ont façonné, corps et âme, cœur et esprit. Cette cabane qui m’inscrit définitivement dans ce
paysage qui m’a vu grandir, après tant d’années passées à imaginer cette nature, terrain d’une
symbiose totale… corps, esprit, air, vent, senteurs multiples d’un tableau vivant, micro cosmos. Aux
douces heures de prédilection, les lectures mêlent les aventures de Curwood et Hemingway, les
pensées de Thoreau et Tiberghien, les observations philosophiques de Fabre et de Clément, les notes
naturalistes de Linné et de Buffon, les visions artistiques de Chambost et Pouchol.
Comment ne pas avoir envie de liberté, de retour à nos racines (celles que nous offre la nature) de
nature indemne par endroit, doucement sillonnée par les rivières et ruisseaux du Périgord central,
vallonnée aussi de reliefs qui retournent en friches ou en forestation d’origine en raison d’une
déprise agricole galopante. Mais où sont ces champs, prairies, forêts, chemins… narrés par Georges
Sand et décrits par les poètes, peints et immortalisés par les impressionnistes ?
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La cabane des trois airs
Ralentir. Ralentir le temps. Ralentir la déforestation et la monoculture du pin.
Respirer. Respirer de l’olfactif et du visuel. Prendre le temps. Poser un autre regard. Se poser devient
un luxe. La cabane contemporaine ? Un luxe pour contrecarrer l’effervescence de notre époque, la
vitesse, notre fuite en avant, celle du temps qui file, en réaction aux pressions impalpables mais
omniprésentes, de l’entreprise, de la vie citadine, de l’hyper communication (Petite Poucette nous
dit Michel Serre).
Revenir. Retour à la terre, à la nature, à ce monde rural. Ne sommes nous pas tous, ou pour la
plupart, issus de cette ruralité ? Mais de nos familles rurales, mutantes du 20 ème siècle, que reste-til ? Quelques traces, comme ces cabanes. Oubliées, comme oubliées les odeurs : foins, pollens,
veaux, vaches, cochons, poules, chiens. La « rurbanité » nous envahit. Les traces disparaissent, leurs
senteurs avec.
La pause cabane
Mondialisation, échelle planétaire, concurrence internationale, environnement dépérissant, pollué,
oppressant… environnement social envahissant, phobies citadines, entreprise, internet, mails, sms,
tchat, twitt… tout cela est omniprésent, nous semble devenu indispensable. Tout concourt au
surmenage, à la perte de repères qui, nouveaux, sont déjà passés à l’obsolescence. Fuite en avant
technologique qui nous précipite dans un dédale de labyrinthes physiques, cognitifs, émotionnels,
sans fin, sans fond.
Et si je laissais filer ? Le lâcher prise…
Intrigues familiales, professionnelles, maladies, disparitions, conflits, risques… nous ne nous sentons
pas vraiment en sécurité non plus. Nos bases selon Maslow en prennent un coup.
Sommes-nous en capacité de saisir et d’actionner les freins de processus qui nous paraissent
irrémédiables et souvent destructeurs. Et si tout cela concourait à notre perte d’identité dans un
monde où l’individu cherche aussi à se démarquer, à laisser une empreinte ?
Ma cabane, que peut-elle être ? Un refuge, un antidote, un équilibre, un but, une douce utopie
apaisante, un lieu de replis, une ponctuation signant une posture à un âge où réfléchir s’impose, visà-vis de soi, des autres, du monde et de cette nature qui nous entoure, généreuse de ses paysages,
de ses essences, de ce monde vivant et qui nous offre tant à voir, entendre, sentir et rêver.
Et si ce retour en arrière avec moins de luxe, moins d’espace, moins de commodité et de connexion
au monde subitement offrait une parenthèse avec davantage de simplicité et de frugalité esthétique
et fonctionnelle et permettait ce retour mental et psychologique sur soi et ce rapport aux autres et à
notre environnement ?
« Montre moi ta maison et je te dirai qui tu es ». Montre moi plutôt ta cabane me semble plus à
même de renseigner sur la véritable identité de l’occupant des lieux.
Ma cabane comme fait social pour un nettoyage de l’esprit, un remue-méninges qui permet
d’accéder à une autre image du monde, d’autres représentations, de notre état d’être, notre état
d’humain.
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Dormir en sécurité, manger, rêver, subvenir à ses besoins, avant tout. Et après ? Pouvoir évoluer,
grandir dans son esprit, aller vers les autres … ou plutôt faire venir les autres vers ce monde naturel,
inviter à porter le regard sur l’espace… champ, verger, forêt.
Entrez-entrez ! Marquez une pause, observez. Ecoutez l’autre, la nature, le paysage. A défaut de
comprendre l’autre vous en sortirez peut-être avec une vision différente sur ce qui vous entoure.
Souffle du vent, feuilles qui vibrent, bruissements, crissements sous vos pieds… un monde vous
entoure, un monde à percevoir, à écouter, fragile…
Cabanes de mutants
Mais y a-t-il une place pour passer des cabanes de nos ancêtres aux cabanes des mutants ?
Nous, mutants, comment pouvons-nous nous accaparer sans vergogne ces quelques lambeaux
préservés de paysages encore indemnes ?
La cabane, un fait social en réponse aux difficultés de notre temps. Tentes, roulottes, yourtes, habitat
participatif, éco ou écho-hameaux, camouflés, récupérés… autant de réponses contemporaines à des
principes d’urbanisation stéréotypés. Notre société aspire à autre chose qu’à des maisons de cartonpâte. Notre ruralité aspire à autre chose que des dortoirs industriels posés sur des terres historiques
ou agricoles.
La cabane ? Une réponse en réaction à cette urbanisation galopante et inadaptée de nos campagnes,
à l’assaut des bourgs et hameaux pittoresques?
Saint-Jean d’Estissac, le 28 décembre 2013
Philippe Chambost
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La cabane de l'architecte Batave Piet Hein Eek
Conçue à la demande du compositeur et
humoriste Hans Liberg, cette cabane, ou cet
abri
de
jardin,
est
un
studio
d'enregistrement. Il offre tout le confort
moderne.
Le
musicien
s'y
rend
régulièrement pour travailler sans être
dérangé et surtout, sans déranger...
Installé à l'orée de la forêt, son havre de paix
est parfaitement dissimulé quand les
fenêtres sont fermées.
Dessin d'une cabane dans les arbres, qui sert de
maison de jeu pour les enfants, une cabane en
planches dans un arbre "www.luxe-campagne.fr
Maisons contemporaines, « esprit cabane » …