Coup de projecteur sur deux communautés

MERCREDI 19 FÉVRIER 2014 LE JOURNAL DU JURA
ACEYOUNG 21
TRAMELAN (3/3) Coup de projecteur sur deux communautés religieuses
Sectaire ou exemplaire?
LES JEUNES À LA PAGE
Chaque mois, la page Faceyoung offre à des jeunes la
possibilité de s’exprimer sur le
sujet de leur choix. Réalisée par
des élèves du Gymnase français de Bienne, sous la houlette
de leurs professeurs Vital Gerber et Nicolas Louvet, cette
page clôt une enquête qui a
permis d’évaluer la réalité de la
situation religieuse à Tramelan,
en mettant à mal le mythe de
«Tramelan, capitale suisse des
sectes». NH
OCÉANE GERBER ET ALEX KIENER
En 1990 déjà, le «Canard Enchaîné» défrayait la chronique
suite à la parution de son article
sur Tramelan, le faisant passer
pour un village sectaire. Réalité
ou exagération? Cette réputation ne s’est créée que dans la
confusion et l’ignorance. A Tramelan, il y a actuellement neuf
communautés religieuses actives. Nous avons choisi de parler
de deux d’entre elles, parce
qu’elles sont représentatives: la
communauté mennonite et l’Assemblée des Frères ou darbystes,
qui est à notre sens la plus méconnue du public.
Les mennonites
Qu’est-ce qui caractérise les
mennonites? C’est d’abord le fait
qu’ils ne se baptisent qu’à l’âge
adulte, une fois leurs convictions
assez développées pour pouvoir
faire le choix de rejoindre cette
Eglise par leur propre volonté.
Les mennonites trouvent leur
origine dans le mouvement anabaptiste («baptiser à nouveau»),
né vers 1525 dans le prolongement de la Réforme protestante.
Suite à des persécutions, une
partie de l’anabaptisme est réorganisée par Menno Simons, dont
les mennonites tirent leur nom.
La présence de mennonites
dans les montagnes du Jura bernois est due à l’exode des Emmentalois vers cette région à partir du
17e siècle, en raison de la persécution dont ils étaient victimes. En
visitant les Archives mennonites
suisses se trouvant à Jean Guy, entre Tramelan et Tavannes, nous
nous sommes entretenus avec
Michel Ummel, historien et mennonite lui-même, ce qui nous a
permis de comprendre un peu
mieux le fonctionnement de cette
communauté.
Quelles convictions fondamentales distinguent le mouvement
mennonite des autres Eglises?
Les mennonites sont traditionnellement considérés comme la
première Eglise de professants (à
laquelle on adhère par choix, indépendante de l’Etat) et comme
Eglise historique de paix. «Nous
sommes pacifistes et c’est pour cela
notamment que nous ne nous reconnaissons pas dans la réforme de
Zwingli. Nous avons préféré suivre
une voie dérivée, non-violente»,
explique Michel Ummel.
Cette Eglise bénéficie-t-elle de
subventions? «Non, pas du tout,
ce sont uniquement les dons des
personnes de notre communauté
qui font survivre l’Eglise. Nous ne
savons pas quelle personne donne
combien d’argent, ce qui permet
d’assurer une égalité de traitement
entre tout le monde.»
Et concernant la fréquentation
des cultes, qu’en est-il? D’après
Michel Ummel, le nombre de
gens se rendant au culte le dimanche, dirigé par des laïques
ou des professionnels assistés
par les membres de la communauté, est assez important et stable. D’autres activités, comme
des études bibliques ou des activités musicales et de jeunesse
sont mises en place tout au long
de la semaine.
Il est vrai aussi que les mennonites entretiennent de bons rapports avec à peu près toutes les
autres communautés de la ré-
Eglise...
CATHOLIQUE
ROMAINE
Reconnaît l’autorité du pape.
Premières traces à Tramelan en
1172. Une communauté se
forme à nouveau au 19e siècle,
érigée en paroisse du diocèse
de Bâle.
www.cathberne.ch/tramelan
RÉFORMÉE Eglise majoritaire
à Tramelan, qui passe à la Réforme en 1530. Les paroisses de la
région sont aujourd’hui réunies
au sein du Par8. www.par8.ch
MENNONITE Première Eglise
de professants, née au 16e siècle
(anabaptisme). Pacifiste, elle
trouve refuge sur les hauteurs jurassiennes.
www.menno-sonnenberg.ch
BAPTISTE
DESSSIN: ALEX KIENER
gion et ont l’habitude de célébrer des cultes œcuméniques.
Les Frères ou «darbystes»
Dans les années 1830, John
Nelson Darby, un prêtre anglican, commence à contester certains dogmes de son Eglise. Il rejoint une assemblée dissidente,
avant de voyager en France, en
Allemagne et en Suisse, rassemblant autour de lui des dissidents des Eglises établies.
Quelques caractéristiques de
ceux qu’on appelle aussi «darbystes»: la Bible est interprétée
de manière littérale, tout membre peut prêcher sans avoir fait
d’études de théologie, la Cène
est réservée aux membres.
En 1865, une scission a conduit à la création de deux branches, les «Frères étroits» et les
«Frères larges», plus ouverts à
l’œcuménisme. A Tramelan, ce
deuxième courant a donné naissance en 1961 à l’Eglise du Figuier, appelée d’abord Assemblée évangélique.
Les «Frère étroits» sont restés
réunis quant à eux au sein de
l’Assemblée des Frères. Mais elle
ne met jamais ce nom en avant:
son lieu de réunion à Tramelan,
à la rue Virgile-Rossel, ne mentionne aucun nom d’Eglise.
L’Assemblée des Frères est en effet plutôt discrète: ses membres
parlent peu de leur communauté en public. L’un d’eux a accepté avec gentillesse de répondre à
nos questions, mais n’a pas souhaité être cité nommément.
Pour pouvoir intégrer cette
communauté, un nouveau
membre sera toujours questionné par les Frères afin de savoir
s’il partage une foi pareille à la
leur. C’est une communauté qui
peut sembler fermée, mais qui
se veut cependant aussi ouverte
que n’importe quelle autre
Eglise. La fréquentation des cultes reste stable, contrairement à
la plupart des Eglises, où elle
baisse. Les fonds récoltés lors du
culte permettent à l’Assemblée
de subsister.
Et si les Frères ne participent
généralement pas aux cultes
œcuméniques avec d’autres
communautés, ils ne connais-
sent toutefois aucun conflit avec
d’autres groupes religieux.
Bilan?
Les nombreuses communautés religieuses qui se sont implantées à Tramelan font de
cette localité un endroit atypique par sa diversité. Mais aucune d’entre elles ne peut être
qualifiée de secte.
L’historien des religions JeanFrançois Mayer précise: «On observe aujourd’hui une normalisation des rapports vis-à-vis des
différentes Eglises évangéliques,
qui font désormais partie du paysage. Plus aucun observateur sérieux n’utilise le mot «secte» pour
les décrire. L’intérêt consiste davantage à les replacer dans leur généalogie, leur histoire.» Et puisque la rumeur a la dent dure,
faisons encore une fois le compte. Tramelan: 0 secte, 9 Églises,
22 bistrots.
www.journaldujura.ch
Pour avoir une vue d’ensemble, retrouvez le
premier et le deuxième volet de cette
enquête dans notre dossier «Faceyoung».
Naît en Angleterre, prônant le baptême à
l’âge adulte. Implantée en
1872, celle de Tramelan est la
plus ancienne de Suisse romande.
www.oratoiretramelan.ch
ARMÉE DU SALUT Fondée
pendant la révolution industrielle. Eglise à forte vocation
sociale, active à Tramelan depuis 1887.
www.ads-tramelan.ch
ASSEMBLÉE DES FRÈRES
Appelés communément «darbystes», en référence à John N.
Darby qui fédère au 19e siècle ce
mouvement d’orientation conservatrice et relativement fermé.
DU FIGUIER Née d’une scission d’avec l’Assemblée des Frères en 1961 («Frères larges» et
«Frères étroits»). S’inscrit dans la
mouvance évangélique modérée.
www.lafree.ch
POUR CHRIST
Appelée parfois «Cœurs purs», en raison de
ses règles morales. Son origine
remonte à 1909 dans l’Emmental
(Brüderverein). www.gfc.ch/fr
DE LA TANNE De tendance
charismatique, située entre
Tramelan et Tavannes, elle apparaît dans les années 1960.
www.latanne.com
= A TRAMELAN, IL Y A PLUS DE BISTROTS QUE D’ÉGLISES. BOIRE OU PRIER: FAUT-IL VRAIMENT CHOISIR?
Lionel Houlmann, propriétaire du célèbre Music Bar, le Glatz à Tramelan situé dans le bas du village.
«Je tiens le Glatz depuis 14 ans maintenant. Donc la réputation de Tramelan, village de sectes, je la connais. Toutefois, je
n’appellerais pas les différents mouvements établis au village des sectes, plutôt des communautés religieuses à cause
des divisions protestantes. Dire qu’il y a plus d’églises que de bistrots est juste une expression comme ça. L’influence
des églises sur le village ne se ressent pas beaucoup. Certains fidèles ne sortent pas, et c’est vrai que le Glatz est
considéré par quelques-uns comme un endroit de fête un peu frivole. Avant, les anciennes générations se montraient
peut-être un peu plus strictes sur certains principes mais maintenant ça s’est effacé. Affiliées à une église ou non, les
nouvelles générations sortent moins de manière générale dans les petits villages. C’est comme ça et je ne comprends
pas vraiment pourquoi les jeunes ne sortent pas plus. Le Glatz est le seul bar qui ferme à 3h du matin à Tramelan le
week-end et je pense qu’on peut redonner une certaine ambiance à ce village et peut-être avoir un changement.»
TEXTES ET PHOTOS: JORDAN MONBARON
Certains clients de bistrots ont également tenu à s’exprimer. «Les sectes, on les voit pas trop ici c’est surtout
à l’extérieur du village qu’on en parle. Mais de manière plus générale, certaines personnes, religieuses ou non,
ne sortent pas. Donc certainement que les églises ont ici une influence sur la vie nocturne.» «Il y a un malaise
à Tramelan et les gens sortent peu. Le problème vient plus de la commune que des églises, selon moi, parce
que la commune a un peu peur de bousculer les gens en organisant des soirées et en les faisant sortir. À
Saignelégier, les choses sont différentes, les bistrots sont tous pleins.» «Mais peut-être qu’il y a également le
facteur de la technologie qui fait que les gens parlent via internet ou via les natels et qu’il y a une perte de
convivialité. Aujourd’hui, on préfère rester chez soi, et pour ce qui est des petits commerces, puisque tout est
centralisé avec la Migros ou la Coop, les gens ne les fréquentent plus.» «Tramelan est un peu un village dortoir
où les gens ne s’intéressent plus à ce bourg en particulier. Puisque les gens ne se déplacent plus, c’est les
petits bistrots locaux qui en sont touchés et ça serait pas mal que plus de monde sorte dans la localité.»