Bartabas se met au diapason du flamenco d’Andrés Marín pour un GOLGOTA en état de grâce. Sarabande dans le ciel au Grand Théatre avec le français Cascadeur et les belges de Girls in Hawaii, en version unplugged… En contrebas, des montagnes, des plaines, des fleuves, des volcans. FRAPPE LE CIEL, ÉCOUTE LE BRUIT Alexandre Longo, alias Cascadeur, raconte volontiers qu’à ses débuts, il avait toutes les peines du monde à monter sur scène jusqu’à ce que le port du casque et le voile d’un pseudo ne lui permettent de se libérer en s’effaçant : « L’art me construit et me fragilise. Je me déguise pour pouvoir être moi-même.», confiait-il à l’hebdomadaire Les Inrockuptibles à ses débuts. Longtemps seul sur scène dans une formule piano-voix des plus minimalistes, le natif de Metz, s’entoure désormais d’une formation élargie pour porter les symphonies de poche de son deuxième opus sorti l’année dernière. Un Ghost Surfer porté par des rivières de cordes, des nappes de claviers et un casting de luxe (Christophe, Stuart Staples des Tindersticks, Eric Pulido et Tim Smith du groupe Midlake), deux ans après un premier album (The Human Octopus) qui trahissait déjà, sinon la même ampleur, du moins une empreinte, une tonalité, une même brillance triste et lumineuse. En attendant de fomenter de nouvelles odyssées en montagnes russes, celui qui s’identifie volontiers à « un Casper des temps modernes » transportera ses acrobaties vocales dans une mise en scène soignée, habillée de projections, sur la scène du Grand Théâtre de Lorient qui accueillera ce soir-là le festival Les IndisciplinéEs de MAPL. Fleuron de la pop continentale, le sextet Girls in Hawaii qui se produira juste après le Français a lui aussi tiré profit de la belle marge de progression entrevue sur Found in the Ground — The Winter, EP en 2003. L’escadrille belge n’a en effet jamais cessé de franchir de nouveaux paliers au fil d’albums publiés avec parcimonie (tous les trois ou quatre ans) mais qui ont régulièrement gagné en puissance et en densité. Entre Deus, Grandaddy et les Posies pour situer le groupe sur la carte, entre power-pop addictive et folk-rock impressionniste, on a ici affaire à un répertoire d’humeur changeante, sur courant alternatif, où l’insouciance se teinte régulièrement de gravité. Depuis la mort accidentelle de Dennis Wielemans, batteur et frère d’un des compositeurs du groupe, Girls in Hawaii porte ses blessures en bandoulière — Everest, le premier album du groupe après le drame se parant d’un lyrisme et d’une noirceur supplémentaire et portant tout entier la trace de la perte. Aujourd’hui, le groupe bruxellois choisit de porter plus 10 Novembre 2014 franchement encore le clair-obscur CASCADEUR/ de ses compositions sur scène, en GIRLS IN HAWAII optant pour un show unplugged – UNPLUGGED qui s’annonce plus intimiste mais, à FESTIVAL LES INDISCIPLINÉES coup sûr, aussi vibrant qu’à l’accouGRAND THÉÂTRE >> VOIR P.32 tumée. J-F DUCROCQ 30 LE THÉÂTRE DE LORIENT UNE PRIÈRE POUR GOLGOTA Le cavalier est, selon une légende, solitaire : Bartabas, le créateur du théâtre équestre Zingaro n’a eu de cesse de faire mentir cette idée reçue au long des années — et des créations. Avec son équipe bien sûr qui parfois s’enrichit d’interprètes venus d’Inde, du Tibet ou du Mexique. Mais tout autant dans les projets plus personnels de Bartabas comme Le Centaure et l’Animal où il partageait la scène avec Ko Murobushi fabuleux soliste butoh ou avec ce récent Golgota. Dans cette aventure Andrés Marín est l’autre, un double ou un compagnon de route. Un danseur en liberté pour sûr. Le flamenco dont Marín est l’un des plus fiers représentants actuels n’est pas étranger à la culture de Bartabas qui en aime les éclats, la richesse, la force. À propos de sa rencontre avec Andrés Marín, Bartabas est éloquent : « Voilà qui tout d’un coup m’intéresse : quelqu’un avec qui je peux faire ressortir ce que je recherche dans le flamenco comme dans l’art équestre. À savoir une approche fondée sur le corps, sur l’écoute, sur le rythme, sur le tride même. On parle souvent à propos du flamenco de duende mais pour moi le flamenco ce n’est pas du tout cela : c’est d’abord ce qu’ils appellent le compas, plus que le rythme c’est la recherche du tempo, de la pulsation exacte. » Golgota est tout entier dans cet échange qu’accompagnent les motets pour voix seule de Tomas Luis de Victoria magnifiés par le contre-ténor Christophe 28–30 Novembre 2014 Baska. S’inspirant de l’iconoGOLGOTA graphie des Semaines Saintes et BARTABAS ANDRÉS MARÍN de la peinture espagnole, cette GRAND THÉÂTRE >> VOIR P.33 création ose le sacré et le profane, la montée à la croix et le pas de l’âne. En seigneur des chevaux — quatre montures ici, les fidèles Horizonte, Le Tintoret, Soutine et Zurbaran — Bartabas adresse une prière qui est aussi une œuvre de l’esprit. Il y a du tableau vivant dans ces processions répétées ou la vision d’un animal étendu au sol, dans ce bonnet pointu porté avec désinvolture également. « Marc Chagall voyait la crucifixion comme un cirque » commente Bartabas. Lui s’est souvenu des messes de son enfance même si il s’avoue athée, de sa découverte des motets de Tomas Luis de Victoria polyphoniste de la renaissance espagnole et prêtre catholique. Le flamenco d’Andrés Marín apporte à Golgota cette dimension chorégraphique : du bout des doigts ou mieux sur l’assise d’un étrange fauteuil-trône, Marín danse comme s’il était tout entier traversé par la passion de son art. Débarrassée d’un quelconque folklore, sa gestuelle au cordeau va à l’essentiel : occuper l’espace du théâtre et toucher le spectateur au cœur. Ce Sévillan qui chante (presque) aussi bien qu’il danse sait à nul autre pareil dompter le compas (structure rythmique du genre flamenco). Bartabas a trouvé en Andrés Marín un égal — ou un frère. Golgota est un acte de foi… mais aussi et surtout le dialogue de deux artistes en état de grâce. PHILIPPE NOISETTE AUTOMNE 2014 PHOTOGRAPHIES : DOMINIQUE GAU, OLIVIER DONNET, NABIL BOUTROS FOCUS
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