La réduction des risques au féminin

Initiatives
Addictions
La réduction des
risques au féminin
FORMATIONS
– Les 15 et 16 mai 2014,
à Paris
Ces mères « veilleuses » et
leurs enfants au temps des
addictions, Fédération addiction, tél. : 01 43 43 72 38.
– Du 3 au 5 décembre 2014,
à Pantin
La réduction des risques
au féminin,
AFR, tél. : 01 41 83 46 87.
– Du 10 au 12 décembre 2014,
à Paris
Histoires(s) de genre ou les
femmes dans tous leurs
« états »,
Fédération addiction,
tél. : 01 43 43 72 38.
E
lles restent peu visibles
des structures de réduction des risques liés à
l’usage de drogues. Les femmes y
sont en effet peu présentes : selon
une étude de la Fédération addiction (1), en 2012, elles représentaient
14 % des usagers des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques auprès des usagers de drogues (Caarud) ; et 25 %
de ceux des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en
addictologie (Csapa). Certes, elles
restent moins nombreuses que les
hommes à consommer des drogues,
mais cela n’explique pas leur faible
présence au sein des structures.
Ce public reste peu connu. « Quand
les femmes sont étudiées, c’est essentiellement sous leur identité de mère
TÉMOIGNAGE
Odile Vitte, directrice du Csapa APS Contact
à Provins (Seine-et-Marne), référente de la thématique
« femmes » à la Fédération addiction
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Approche genrée
« Cette attention envers les femmes
enceintes est essentielle, mais elle ne
suffit pas », juge Cécile Bettendorf,
chargée de mission à la Fédération addiction, où, depuis 2010, un
groupe de travail étudie la question de l’addiction par le prisme du
genre. « Femmes et hommes n’ont
pas grandi avec les mêmes représentations. Les femmes qui consomment sont souvent marquées par la
honte, la culpabilité, parce qu’elles
ne correspondent pas à l’image de la
femme “idéale” renvoyée par la société », avance Cécile Bettendorf. Cette
culpabilité est démultipliée quand
elles deviennent mères. « Dès lors,
elles tardent, plus que les hommes,
à accéder aux soins qui révèlent leur
consommation. »
Sur le terrain, certains Caarud et
Csapa tentent de créer des passerelles,
notamment en organisant des temps
réservés aux femmes. Depuis 2007,
au Caarud sida paroles, à Colombes
(Hauts-de-Seine), le jeudi matin est
consacré à l’accueil des consommatrices de drogues. Alain Soussi propose des soins du visage, des mains,
des cheveux et des pieds. « Un travail de lien et de confiance, lent et
long », témoigne le psycho-socioesthéticien. Et d’observer, après plusieurs années de présence, « une
écoute différente des autres professionnels. Je masse les personnes, je
les touche : cette proximité permet à
certaines de se laisser aller, et surtout,
de se réapproprier leur corps ».
Espace réservé
P. MARAIS
« Eviter la stigmatisation »
« Nous avons mis en place un accompagnement
individuel pour les femmes. Pour éviter la stigmatisation de celles qui sont enceintes, nous rencontrons régulièrement l’équipe de la maternité.
Le syndrome de manque du bébé, qui peut se manifester dans les jours suivant l’accouchement
et demande un protocole de sevrage particulier,
est souvent mal perçu par une équipe peu préparée.
Nous observions de nombreux signalements à la
naissance. Nous avons donc sollicité des pédiatres
spécialisés ; ils ont préconisé de laisser le bébé
le plus possible avec la maman, de favoriser
le “peau à peau”, afin que ce syndrome soit le moins
mal vécu par l’enfant, mais aussi par la mère,
souvent très culpabilisée. »
et des risques liés à la prise de toxiques
pour le fœtus durant la grossesse »,
notait Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l’Institut national de veille
sanitaire (2). La dernière initiative du
Réseau de prévention des addictions
(Respadd) va dans ce sens. Soutenu par la Mission interministérielle
de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), qui s’est engagée
dans son dernier plan (2013-2017)
à développer des interventions vers
les femmes, le Respadd vient de publier un guide pour les professionnels engagés dans la prise en charge
et le suivi des consommatrices de
drogues avant, pendant et après la
grossesse (3).
POINTS FORTS
◗ Des initiatives
qui rendent visibles
les femmes, et les
sécurisent, dans
des structures où les
usagers sont principalement masculins.
L’équipe a sciemment choisi un intervenant masculin, afin de bousculer les représentations liées au genre
et de proposer ces soins pendant
les temps mixtes. Quelques éducateurs ont montré l’exemple et, petit
à petit, des usagers ont formulé des
demandes, notamment pour leurs
mains, très abîmées par l’usage de
crack. « Les autres se sont d’abord
moqués », avant d’accepter, se souvient Alain Soussi. « L’équipe a été
très présente pour faire comprendre
que ce type de soins pouvait aussi
bien s’adresser aux hommes qu’aux
femmes. »
A Montpellier, l’équipe du Caarud
« réduire les risques » a fait un
N° 103 - Janvier 2014
◗ Un questionnement
sur les pratiques
professionnelles
et les représentations
de genre de chacun.
POINTS FAIBLES
◗ Une stigmatisation
toujours très forte par
de nombreux soignants.
◗ Une vision des femmes
particulière, difficile
à changer.
P. MARAIS
Des structures s’adressent exclusivement aux
consommatrices de drogues, trop peu visibles,
ou développent des outils en leur direction.
Analyse
Certains Caarud et Csapa réservent des temps aux femmes, afin de gagner leur confiance.
choix plus radical : depuis septembre 2000, il accueille exclusivement les femmes. Un espace dans
la salle principale est réservé aux enfants ; et toutes les actions de réduction des risques s’effectuent dans la
pièce voisine. Monique Douguet,
directrice, en a eu l’initiative, choquée par les nombreuses invectives
des hommes envers les femmes lors
de l’accueil mixte. « Et puis, elles
avaient du mal à parler, parce que
leur compagnon était là, ou un copain du compagnon », témoigne
Monique Douguet.
Au départ, très peu de consommatrices franchissaient le pas. « Passer de trente hommes dans la salle
d’accueil à trois femmes, nous a
interpellés : le besoin était-il réel ?
Nous étions-nous trompés ? » Le
bouche-à-oreille a finalement
fonctionné, et aujourd’hui, la file
active compte 260 femmes. « Il fallait gagner leur confiance, témoigne
Monique Douguet. Passer la porte
d’un Caarud signale l’usage de drogues et, pour les mères, une question centrale se pose : “Va-t-on me
prendre mon enfant ?” » L’équipe
travaille sur ces sujets. « Nous ne ferons jamais de signalement sans que
la personne en ait été informée très
N° 103 - Janvier 2014
PAROLES DE FEMMES
« Je consomme… et alors ? » (1) L’association Aides a publié une brochure pour les consommatrices de drogues. Né d’un travail conjoint
des professionnels de la réduction des risques et des usagères de
l’association, l’ouvrage aborde de nombreux thèmes : accès aux
soins, impact des produits, sexualité, ou maternité. Les femmes sont
incitées, « dans une démarche d’empowerment », à s’approprier les
structures bas seuil (2) et de soins, explique Cynthia Benkhoucha,
chargée de mission « femmes » à Aides et coordonnatrice de la brochure. Le texte s’adresse également aux professionnels « pour casser les représentations qui excluent ces personnes parce qu’elles
sont des femmes. Le choix d’une couverture neutre vise à attirer
les hommes, qui doivent absolument être associés à ces questions.
La brochure doit être un support à la discussion pour qu’enfin nous
avancions sur la prise en compte des spécificités féminines ».
(1) Disponible sur www.aides.org
(2) C’est-à-dire qui n’imposent pas le sevrage comme condition d’accès au dispositif
de prise en charge et de soins.
en amont, sans avoir épuisé toutes
les ressources possibles », avance
Monique Douguet. Et cette dernière
d’assurer avoir beaucoup appris des
usagères, alors qu’au départ « nous
pensions travailler de la même manière qu’avec les hommes ». L’importance des violences conjugales,
parfois liées à la consommation de
produits psychoactifs, a très rapidement interpellé l’équipe ; la question
de l’accompagnement des femmes
enceintes également. Aussi le personnel sensibilise-t-il ses parte-
naires, les soignants notamment, à
ces problématiques spécifiques.
Sur ce point, il reste du chemin à
parcourir. C’est pourquoi Monique
Douguet et Rosine Réat, psychologue clinicienne et intervenante
au Caarud sida paroles, proposent,
depuis deux ans, dans le cadre de
l’Association française de réduction
des risques, une formation intitulée
« RDR au féminin ». Celle-ci s’appuie sur des expériences de terrain,
« même s’il n’existe pas de recette »,
prévient Rosine Réat. La pédagogie,
inductive, engage les professionnels
à questionner leurs propres représentations liées au genre, ainsi que
leurs pratiques.
Appropriation
Pourquoi parler de préservatif féminin aux femmes dans les Caarud
et pas de préservatifs aux hommes ?
Pourquoi les interventions d’une
esthéticienne restent-elles réservées aux femmes ? « Comment, finalement, réussir à s’intéresser aux
besoins des femmes, sans être pris
dans nos propres représentations ?
Notre volonté est de réduire les inégalités d’accès, pas de les entretenir », analyse Rosine Réat. Aux yeux
de la psychologue clinicienne, ce
piège peut être évité si les initiatives
réservées aux femmes restent un
moyen pour, qu’au final, elles se sentent mieux dans les temps mixtes,
s’approprient les lieux, prennent de
l’espace et puissent faire entendre
leurs besoins. ■
Marianne Langlet
(1) « Femmes, genre et addiction », étude de
l’union régionale IDF de la Fédération addiction
avec les étudiants de l’ETSUP, janvier 2013.
(2) « Femmes et addiction », numéro thématique
du BEH n° 10-11, 10 mars 2009.
(3) Guide concernant l’usage de substances psychoactives durant la grossesse, Respadd, juin 2013,
Disponible sur www.respadd.org
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