ORAISON Contemplative malgré elle ! 1. Je me sentais si fortement attirée à l’oraison, que cela me faisait beaucoup souffrir de ne savoir ni pouvoir apprendre comme il la fallait faire, n’ayant aucune fréquentation des personnes spirituelles ; et je n’en savais autre chose que ce mot d’oraison, qui ravissait mon cœur. Et m’étant adressée à mon souverain Maître, il m’apprit comme il voulait que je la fisse, ce qui m’a servi toute ma vie. 2. Il me faisait prosterner humblement devant lui, pour lui demander pardon de tout ce en quoi je l’avais offensé, et puis, après l’avoir adoré, je lui offrais mon oraison, sans savoir comme il m’y fallait prendre. Ensuite il se présentait lui-même à moi dans le mystère où il voulait que je le considérasse, et il appliquait si fort mon esprit en tenant mon âme et toutes mes puissances englouties dans lui-même, que je ne sentais point de distractions, mais mon cœur se sentait consommé du désir de l’aimer, et cela me donnait un désir insatiable de la sainte communion et de souffrir. 3. Mais je ne savais comment faire. Je n’avais pas d’autre temps que celui de la nuit ; j’en prenais ce que je pouvais, et quoique cette occupation me fût plus délicieuse que je ne le peux exprimer, je ne la prenais pas pour une oraison, et me sentais continuellement persécutée de la faire, lui promettant qu’aussitôt qu’il me l’aurait apprise, j’y emploierais tout le temps que je pourrais. 4. Néanmoins, sa bonté me tenait si fort dans l’occupation que je viens de dire, qu’elle me dégoûta des prières vocales : lesquelles je ne pouvais faire devant le saint Sacrement, où je me sentais tellement tout appliquée, que jamais je ne m’y ennuyais. Et j’y aurais passé des jours et des nuits entières, sans boire ni manger, et sans savoir ce que je faisais, sinon de me consommer en sa présence comme un cierge ardent, pour lui rendre amour pour amour. […] 5. Comme je priais [ma maîtresse des novices] de m’apprendre à faire l’oraison, dont mon âme sentait une si grande faim, elle ne voulut point croire qu’étant venue en la religion à l’âge de vingt-trois ans, je ne la susse point faire ; et après l’en avoir assurée, elle me dit pour la première fois : « Allez vous mettre devant Notre-Seigneur comme une toile d’attente devant un peintre. » Mais j’aurais voulu qu’elle m’eût expliqué ce qu’elle me disait, ne le comprenant pas, et je ne lui osais pas dire; mais il me fut dit : « Viens, Bulletin mensuel d’aide à la vie spirituelle www.paroisseetfamille.com N° 189 février 2015 Abonnement annuel (12 numéros) : France 30 € ; étranger 35 € je te l’apprendrai. » Et dès que je fus à l’oraison, mon souverain Maître me fit voir que mon âme était cette toile d’attente, sur laquelle il voulait peindre tous les traits de sa vie souffrante, qui s’est tout écoulée dans l’amour et la privation, dans la séparation, dans le silence et le sacrifice. Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), Autobiographie, (éd. Gauthey, pp. 37s, 56) L’AUTEUR Cinquième enfant d’une famille bourgeoise de Bourgogne, orpheline très tôt, Marguerite Alacoque aura une enfance et une adolescence difficiles, du fait de sa mauvaise santé et des vexations reçues de son entourage. Très sensible religieusement, elle se consacre à Dieu dès l’âge de 5 ans, mais ce n’est qu’à 24 ans qu’elle entrera à la Visitation de Paray-le-Monial. Favorisée de visions du Christ dès son enfance, c’est en juin 1675 qu’il lui montre son cœur, « ce cœur passionné d’amour pour les hommes ». Confortée dans sa vie intérieure par son ami le bienheureux Claude La Colombière, elle sera dès lors à l’origine d’un puissant et nouvel élan de la dévotion au Sacré-Cœur. LE TEXTE Il nous reste de Marguerite-Marie environ 150 lettres, diverses notes spirituelles, et surtout une autobiographie d’une petite centaine de pages, rédigée au soir de sa courte vie sur ordre de l’un de ses directeurs. La naïveté en est charmante, et les deux passages que nous citons montrent encore une fois que la contemplation est un don de Dieu, qui peut être vécu par ceux qui en bénéficient sans qu’ils sachent l’identifier, et sans que ceux qui devraient les y aider ne l’identifient davantage. Le premier épisode se situe vers les 15 ans de Marguerite, le second lors de son noviciat à la Visitation. § 1-2. Dieu nous a aimés le premier, nous dit saint Jean. Et c’est cet amour prévenant qui explique l’attrait de Marguerite pour l’oraison, dont elle savait seulement qu’elle avait rapport avec son « souverain Maître ». Et parce que son éducation lui avait par ailleurs fourni les données essentielles de toute prière chrétienne, elle entre presque spontanément dans la logique de l’oraison : mise en présence de Dieu, puis considération du Christ dans l’un de ses mystères. Et là où la plupart des commençants se mettent alors à méditer, Marguerite est immédiatement portée dans la contemplation du mystère lui-même : « il appliquait si fort mon esprit en tenant mon âme et toutes mes puissances englouties dans lui-même, que je ne sentais point de distractions.» § 3-4. Bel exemple de malentendu sur ce qu’est la contemplation : on est tellement habitué à «faire», dans la prière comme ailleurs (« je ne savais comment faire »), que l’on ne reconnaît pas Dieu quand il nous demande de le laisser faire et qu’il nous met en repos. On se culpabilise d’être inefficace, et c’est comme cela que bien souvent on tue la contemplation dans l’œuf, par volonté de trop bien faire. Mais Dieu est plus fort que Marguerite, et l’oblige à se taire et à se laisser aimer, ce qui est la meilleure façon de « lui rendre amour pour amour ». § 5. Dix ans plus tard, Marguerite aura eu la chance de tomber sur une maîtresse des novices qui aura reconnu en elle une vie fortement contemplative, tout en s’étonnant qu’elle y ait été conduite sans que personne ne lui en explique la logique. Moyennant quoi, Marguerite aura beau continuer d’essayer d’appliquer les méthodes d’oraison qu’une bonne novice devrait suivre, elle n’y parviendra pas, et l’on voit d’ailleurs que ses supérieures y renonceront vite, préférant la laisser suivre sa voie. L’IMITATION de Jésus-Christ traduite et commentée pour les lecteurs d’Oraison Des tentations (suite) III, 35. Que l’on ne peut être à l’abri de la tentation en cette vie Le Seigneur : Mon fils, tu n’es jamais en sûreté en cette vie ; mais tant que tu vivras, les armes spirituelles te seront toujours nécessaires.1 Tu avanceras au milieu des ennemis, et tu seras assailli par la droite et par la gauche ; donc, si tu ne te protèges pas partout du bouclier de la patience, tu ne resteras pas longtemps indemne. De plus, si tu ne fixes pas ton cœur en moi, avec une volonté entière de supporter toute chose à cause de moi, tu ne pourras pas supporter cet assaut, ni obtenir la palme des bienheureux. Il te faut donc traverser toute chose virilement, et aborder les obstacles de main forte. En effet, c’est au vainqueur que la manne est donnée (Apoc 2, 17), et bien des misères sont laissées au paresseux. Si tu recherches le repos en cette vie, comment parviendras-tu ensuite au repos éternel ? Que ton souci ne soit pas de beaucoup te reposer, mais d’être très patient. Recherche la paix véritable, non pas sur terre, mais aux cieux ; non pas chez les hommes ni dans les autres créatures, mais en Dieu seul. Pour l’amour de Dieu, tu dois supporter volontiers toutes choses, les épreuves comme les douleurs, les tentations, les vexations, les angoisses, la pénurie, les infirmités, les injures, les contradictions, les reproches, les humiliations, les abaissements, les corrections et les mépris : ces choses-là servent à la vertu, elles vérifient le disciple du Christ et composent la couronne du ciel. Moi, je donne une récompense éternelle pour une courte épreuve, et une gloire infinie pour un abaissement passager. Penses-tu toujours avoir quand tu le voudras des consolations spirituelles ? Mes saints n’en ont pas toujours eu, mais plutôt de nombreux fardeaux et de multiples tentations, ainsi que de grandes désolations. Mais ils se sont supportés eux-mêmes en tout cela, se confiant en Dieu plutôt qu’en eux-mêmes, sachant que les douleurs d’ici-bas sont sans proportion avec la gloire future qui les récompensera. (Ro 8, 18) Voudrais-tu avoir tout de suite ce que beaucoup n’ont obtenu que de justesse après bien des larmes et de grandes épreuves ? « Attends le Seigneur, sois fort et prends courage ! » (Ps 26, 14) Ne crains pas, ne renonce pas, mais expose-toi corps et âme avec constance pour la gloire de Dieu. Ma récompense est surabondante, je serai avec toi en toute tribulation. 1. On aura déjà remarqué combien l’auteur de l’Imitation se perçoit dans un environnement hostile, celui des difficultés de l’époque : guerre de Cent ans, épidémies de peste, dislocation des institutions religieuses, etc. Dans ces conditions, le combat spirituel sera moins un affrontement qu’une résistance, dont le secret est dans l’union à Jésus. Parce que les temps sont mauvais, la vertu qui domine l’Imitation est la patience, et si le vocabulaire de l’ascèse ou de la mortification en est pratiquement absent, le mot supporter (pati) et ses composés revient plus de deux cent fois. Ne pas se mêler des affaires des autres III, 24. Qu’il faut éviter d’enquêter avec curiosité sur la vie d’autrui. Le Seigneur : Mon fils, ne sois pas curieux, et garde-toi des vaines préoccupations. Que t’importe ceci ou cela ? Toi, suis-moi ! (Jn 21, 22) Que t’importe, en effet, que celui-là soit tel ou tel ? Ou que celui-ci fasse ou dise d’une manière ou d’une autre ? Tu n’as pas besoin de répondre pour les autres, mais tu rendras compte pour toi-même ; alors, de quoi te mêles-tu ? Voici que moi, je connais tout homme, et je vois tout ce qui se passe sous le soleil ; et je sais ce qu’il en est de chacun, ce qu’il pense, ce qu’il veut, et à quelle fin se dirige son intention. Il faut donc s’en remettre à moi pour tout, tandis que toi tu dois te garder en bonne paix. Et laisse s’agiter autant qu’il le voudra celui qui s’agite : que vienne sur lui tout ce qu’il fera ou dira, de toute façon, il ne peut me tromper.2 Ne te soucie pas d’avoir un nom prestigieux, ou d’être le familier de beaucoup, ou d’entrer dans l’intimité des gens. Ces choses-là engendrent les distractions et obscurcissent grandement le cœur. Volontiers je t’adresserais ma Parole et te révèlerais des choses cachées, si tu guettais soigneusement ma venue, et m’ouvrais la porte de ton cœur. Sois vigilant et veille dans la prière, et humilie-toi en toute chose. (Eccl 3, 20) III, 36. Contre les vains jugements des hommes Le Seigneur : Mon fils, jette-toi de tout cœur dans le Seigneur, et ne crains pas le jugement humain là où ta conscience témoignera de ta piété et de ton innocence. Il est bon et heureux d’en souffrir, et cela ne sera par lourd pour celui qui est humble de cœur, et qui se confie davantage en Dieu qu’en lui-même. Beaucoup disent beaucoup de choses, et c’est pourquoi il faut n’y prêter que peu de foi. Mais il n’est pas possible de satisfaire tout le monde. Quoique saint Paul se soit appliqué à plaire à tous dans le Seigneur, et se soit fait tout à tous (I Co 9, 22), il ne s’en est pas moins fort peu soucié du jugement des hommes (I Co 4, 3). 2. Encore un thème dominant de l’Imitation : le jugement de Dieu, et d’abord le jugement dernier, celui des danses macabres qui se multiplient sur les murs des églises en ce siècle de fer. Thomas a Kempis n’en ignore pas l’aspect menaçant : « Sois dans la crainte des jugements de Dieu ; redoute la colère du Tout-Puissant ! » (III, 4) auquel est consacré un chapitre entier du premier livre (I, 24), avec un vocabulaire provenant directement du Dies irae. Et pourtant, même dans cette description impressionnante, le jour du jugement est d’abord celui de la consolation et de la récompense pour l’ami de Jésus : « Alors, tous les serviteurs de la croix, qui se seront conformés au Crucifié ici-bas, avanceront vers le Christ Juge avec grande confiance. » (II, 12) En attendant, c’est à cette justice que l’ami du Christ doit mesurer toute chose, car « autres sont les jugements de Dieu, autres ceux des hommes » (I, 7), et son amitié ne diminue en rien son autorité : « Mes jugements sont à craindre, et non à discuter. » (III, 58) Association Paroisse et Famille, 36230 Mers-sur-Indre Père Max de Longchamp, directeur de la publication Imprimerie Chagnon, 36400 Montgivray Dépôt légal à parution © février 2015 ISSN 2115-4015
© Copyright 2025 ExpyDoc