GEMÄLDE ————— Ainsi et humblement donc, nous l’aurons compris, les moyens hightech ont insufflé à la photographie comme à la peinture contemporaines de nouveaux horizons en termes de possibilités formelles et de processus de création. Une hégémonie numérique cependant lassante, tant elle nous a été serinée sous des déclinaisons aussi démagogues que stériles. Pourtant, une fois assimilé plutôt que scruté, le propos s’enrichit pour passer d’une problématique triviale à une condition assumée. Les pièces de Bill et Horni sont des miroirs sans tain où il nous faut chercher loin derrière pour envisager l’image source. Les deux artistes inversent les hiérarchies et feintent l’ordre, pour accorder de la lumière à ce qui à priori, n’avait pas lieu d’en jouir. Des images créées sans parcimonie, en série, comme leurs échanges dans leur atelier commun à Bienne, ou virtuellement, lorsque l’un ou l’autre voyage. S’en suivent de longs moments de réflexion et d’observation autour de ces collages, scans et compositions, jusqu’à trouver la bonne image, celle qui convient, et qui générera la toile. La finesse du détail, l’énergie du binôme. La force du duo se déploie sans émotivité picturale ou ligne narrative. À travers un langage abstrait et franc, leur méthode s’apparente au jeu, à la collaboration amicale et à une manière de travailler subtilement avec la règle, la contrainte et le hasard. Ce qui ressort de leurs pièces, au delà d’une esthétique évidente, de gestes liés aux nouvelles technologies ou aux processus créatifs dans un contexte numérique, c’est l’ambition du dialogue, l’expression d’un vocabulaire commun. En utilisant les moyens à disposition pour conjuguer deux visions, leur travail signifie l’essence même de l’art : la transmission. D’humains à humains. L’art réaliste ou naturaliste avait occulté le médium, en utilisant l’art pour se dissimuler comme art ; le Modernisme utilisa son art pour attirer l’attention sur l’art. Les limites qui constituent le médium de la peinture – la surface plane, la forme du support, les propriétés du pigment – ont été traitées par les Maîtres Anciens comme des facteurs négatifs, qui ne se rencontraient qu’implicitement ou indirectement. Avec le Modernisme, ces mêmes limites furent considérées comme des facteurs positifs, et ont été ouvertement présentées. Et l’insistance sur l’inéluctable planéité de la surface [flatness of the surface] fut le point le plus fondamental dans les processus critiques par lesquels l’art de la peinture chercha à se définir au cours du Modernisme. Car la planéité était le seul élément exclusif de l’art pictural. Le format de la toile était certes une condition limitante, voire une norme, mais elle était partagée avec l’art du théâtre ; la couleur était une norme et un moyen que connaissaient non seulement le théâtre, mais aussi la sculpture. Parce que cette planéité était la seule condition que la peinture ne partageait avec aucun autre art, la peinture moderniste se tourna d’elle-même vers la planéité comme vers aucune autre chose. Les Maîtres Anciens avaient pressenti la nécessité de préserver ce qu’on appelle l’intégrité du plan de l’image [picture plane] : c’està-dire de signifier la présence durable de la planéité en-dessous et par-dessus l’illusion la plus éclatante d’un espace tridimensionnel. Le succès de leur art, comme de tout art pictural, tenait essentiellement à cette apparente contradiction. Les modernistes n’ont ni refusé ni résolu cette contradiction ; bien plutôt, ils en ont inversé les termes. La planéité de leurs tableaux frappe l’observateur avant, et non plus après, la découverte du contenu de cette planéité. Alors que chez un Maître Ancien on a tendance à voir ce qui est peint avant de voir le tableau lui-même, on voit un tableau moderniste d’abord comme un tableau. Il s’agit là, bien sûr, de la meilleure façon de regarder tout tableau, ancien ou moderniste, mais le Modernisme l’impose comme la seule et nécessaire voie du regard, de sorte que le succès du Modernisme consacre le succès de l’auto-critique. La peinture moderniste, en sa plus récente phase, n’a pas abandonné par principe la représentation d’objets reconnaissables. Ce qu’elle a abandonné par principe, c’est la représentation d’un certain type d’espace dans lequel des objets reconnaissables peuvent habiter. En soi, l’abstraction (ou la non-figuration) n’a toujours pas prouvé qu’elle était un moment absolument nécessaire de cette auto-critique de l’art pictural, même si des artistes aussi éminents que Kandinsky et Mondrian le pensaient. En soi, la représentation et l’illustration ne s’opposent pas à la spécificité de l’art pictural ; ce qui la contrarie, ce sont les liaisons entre les choses représentées. Toutes les choses reconnaissables (y compris les tableaux eux-mêmes) existent dans un espace tridimensionnel, et la moindre suggestion d’une chose reconnaissable suffit à convoquer les relations tridimensionnelles de ce genre d’espace. La silhouette fragmentaire d’une figure humaine, ou d’une tasse de thé, engendrera ce type d’espace relationnel, et, ce faisant, dénaturera l’espace pictural en lui ôtant sa stricte bidimensionnalité qui est pourtant la garantie de l’indépendance de la peinture comme art. Car, comme cela a déjà été dit, la tridimensionnalité est le royaume de la sculpture. Pour parvenir à l’autonomie, la peinture a surtout eu à se départir de tout ce qu’elle pouvait partager avec la sculpture, et c’est dans cet effort pour y parvenir – et pas tellement, je le répète, en excluant la représentation ou la fiction – que la peinture s’est faite abstraite. 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Image sans titre Carton d’invitation au vernissage de l’exposition «Fundamentals», Lokal Int, Bienne. Acrylique et sérigraphie sur toile Vue d’exposition à Passerelle. Page 12 Page 2 Texte d’Asiah Payne Vue du montage à Passerelle et du catalogue Gemälde. Gemälde, p. 91, 2015 240 x 170 cm Image extraite du Turbo Magazine #41. Suite de l’extrait de «La peinture moderniste», Clément Greenberg. Page 8 Page 3 Gemälde, p. 199, 2016 200 x 150 cm Gemälde, p. 215, 2016 200 x 150 cm Page 13 Sculptures, Bronze Age Editions 2012 Sculptures, p. 2, 2014, vue de l’installation copié, copié, copié à la Villa Bernasconi, Grand-Lancy 2014 Page 9 Page 4 Jon Rafman, extrait de la série «9 eyes» Images en noir et blanc tirées du catalogue Gemälde. Page 14 Article extrait du Bieler Tagblatt. Scott Sinclair, captures d’écran d’une des vidéos du «Botborg». Vue d’exposition à la galerie Allen, Paris. A droite, détail de Gemälde, p. 115, 2016. 260 x 330 cm Page 5 Page 10 Page 15 Elegy to the Spanish republic n°132, Robert Motherwell - 1975-85 Images en noir et blanc extraites du catalogue de la série «Fundamentals». Texte extrait de «La peinture Vue d’exposition au Lokal Int, Bienne. moderniste», Clément Greenberg, 1978, traduction P. Krajewski. Photographies de Brett Weston. À gauche: Dune, White Sands, 1975. À droite: Tide pool and kelp.
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